Octobre 1995 - n°1

ELECTROPHORESE BIDIMENSIONNELLE

L'électrophorèse bidimensionnelle des protéines dénaturées (EBD) selon 0'Farrell (J. Biol.Chem., 1975, 250, 4007) est, comme son nom l'indique, une combinaison de deux électrophorèses. La première, une isoélectrofocalisation (IEF), fait se déplacer tout polypeptide contenu dans l'échantillon jusqu'à une position fonction de son point isoélectrique (pl). La deuxième, une électrophorèse en présence de dodecyl sulfate de sodium (SDS), le fait se déplacer en fonction de sa masse moléculaire (MM). Ces deux électrophorèses, perpendiculaires l'une par rapport à l'autre, combinent deux critères indépendants, c'est ce qui rend cette technique particulièrement résolutive : plusieurs centaines des constituants d'un mélange de polypeptides peuvent être individualisés sous forme de spots sur un gel. Les applications sont multiples, depuis la vérification de la pureté d'un échantillon jusqu'à des études de variabilité génétique, en passant par le suivi des variations d'expression en fonction de différents facteurs : développement, différenciation, traitements (drogues, stress, hormones, etc).

La comparaison entre EBD permet en effet de révéler la variation en présence / absence ou la variation quantitative de protéines dans des échantillons provenant de génotypes ou de traitements différents. En ce qui concerne les variations génétiques, la technique donne aussi accès à la variation des gènes de structure codant pour les protéines révélées : la substitution d'un acide aminé neutre par un acide aminé basique par exemple se manifestera par le déplacement du spot dans le sens de l'IEF.

Le grand nombre de spots par gels, l'intérêt pour les variations quantitatives et la réalisation d'études portant sur un grand nombre de gels ont conduit plusieurs équipes à développer des logiciels d'analyse des gels d'EBD. L'analyse automatique représente un réel progrès par rapport au dépouillement visuel, en particulier pour l'analyse des variations quantitatives qui peuvent alors être traitées avec des outils statistiques appropriés : l'analyse de variance, par exemple, permettra de savoir si les variations observées sont significatives ou pas.

Un désavantage à priori de l'EBD est qu'elle ne donne pas la fonction des protéines révelées (sauf si l'on dispose d'anticorps). Cependant, l'identification est possible. La méthode encore la plus sûre reste le micro-séquençage, à partir de spots obtenus par des EBD réalisées en conditions préparatives : les homologies sont recherchées avec les séquences existant en bases de données. Plus récemment, d'autres techniques d'identification ont été proposées. Elles sont basées sur la composition (et non la séquence) en acides aminés, ou sur l'estimation très précise des masses moléculaires des peptides obtenus après digestion par une protéase (spectromètrie de masse). Les identifications obtenues par ces techniques sont en général moins certaines que celles obtenues par micro-séquençage, mais elles présentent l'avantage d'être moins coûteuses, en argent et en quantité de protéine nécessaire. Des laboratoires ont mis à disposition du public, par l'intermédiaire de WWW sur Internet, des images d'EBD sur lesquelles sont positionnées des protéines identifiées : on peut consulter par exemple le serveur ExPASy (URL : http://expasy.hcuge.ch/) pour les protéines de levure, de E. Coli, et de différents tissus et fluides humains. Il faut cependant noter que l'utilisation de ces données par d'autres laboratoires dépend grandement de la possibilité de réaliser des EBD comparables entre laboratoires, ce qui n'est pas encore tout à fait le cas... L'EBD est en effet une technique analytique très puissante, mais sa mise en oeuvre reste délicate. Nous survolerons les différentes étapes, en soulignant quelques points critiques.

L'EXTRACTION DES PROTÉINES

Les protéines doivent être dénaturées. La solubilité des polypeptides doit être maximisée, afin de favoriser leur entrée dans le gel. Il faut évidemment veiller à conserver l'intégrité des polypeptides : éviter toute interaction avec d'autres molécules qui modifieraient leur pI (carbamylations, complexation avec des phénols), les dégraderaient (protéases), tendraient à les faire précipiter (quinones) ou à perturber l'électrophorèse (chlorophylle, lipides, acides nucléiques, sels en excès, acidité). L'élimination de composants indésirables et la concentration en protéines peuvent être réalisées par précipitation (TCA, acétone,...) et reprise des protéines dans un tampon en général très proche de celui préconisé par O'Farrel.

L'IEF

Le gradient de pH peut être établi soit par l'utilisation d'ampholytes, qui créeront le gradient lors de l'application du champ électrique, soit par l'utilisation d'immobilines qui co-polymérisent avec les molécules d'acrylamide dans le gel d'IEF. Dans ce cas le gradient d'immobilines doit être constitué lors du coulage du gel. Les gels à immobilines ont de nombreux avantages par rapport aux gradients à ampholytes : en particulier, stabilité au cours du temps, bonne reproductibilité, grande capacité de chargement en protéines, possibilité d'obtenir des gradients de pH très étroits. Par contre il est plus difficile d'obtenir des gels d'EBD de bonne qualité.

Une grande attention doit être apportée au gradient de pH : quand une gamme de pH très large est utilisée, il arrive souvent que la plupart des polypeptides se concentrent dans une région du gel seulement : une grande partie reste inemployée et la résolution est mauvaise dans la partie utile. Il est donc le plus souvent nécessaire d'optimiser la séparation en choisissant une gamme de pH resserrée.

L'ÉLECTROPHORESE EN PRÉSENCE DE SDS

Le gel d'IEF peut être équilibré dans une solution appropriée avant d'être couché sur le gel de 2ème dimension. Cette étape est indispensable lorsque le gradient de pH est établi par immobilines, mais pas s'il est établi par les ampholytes et si le gel de première dimension est suffisamment fin. Le gel de concentration («stacking gel») est également inutile si les gels de première dimension sont assez fins. Un gel de séparation en gradient de concentration d'acrylamide dans des limites bien choisies améliore la résolution, mais la répétabilité du gradient n'est pas toujours excellente : il est souvent préférable d'utiliser une concentration uniforme (en général entre 10 et 15%).

LA RÉVÉLATION

Toutes les méthodes de révélation non spécifique des protéines sur gel de polyacrylamide peuvent être employées. Comme les concentrations en protéines dans les extraits sont souvent faibles, les méthodes de coloration au nitrate d'argent sont souvent utilisées, bien que leur reproductibilité soit difficile à contrôler.

La réalisation de «bonnes» EBD nécessite donc la plupart du temps une phase de mise au point, qui doit aussi optimiser la reproductibilité : par exemple, couler les gels en séries, contrôler la température en cours de migration, voire en cours de révélation. Le dispositif expérimental doit impérativement comporter des répétitions à partir d'échantillons différents, surtout pour mettre en évidence des variations quantitatives.

Les différentes innovations apparues depuis l'invention de l'EBD (logiciels d'analyse, colorations au nitrate d'argent, immobilines, identification des protéines) en font une technique de plus en plus précise. La qualité des informations que l'on peut en tirer justifie l'effort de mise au point nécessaire à son utilisation optimale.

Michel Zivy, CNRS
Laboratoire de Génétique des Systèmes Végétaux
Station de Génétique Végétale