Novembre1995 - n°2

DEGRADATION DES HYDROCARBURES D'ORIGINE PETROLIERE PAR VOIE MICROBIOLOGIQUE

La pollution par hydrocarbures en milieu marin et terrestre, qu'elle soit chronique ou accidentelle, pose d'importants problèmes d'élimination. Les voies d'élimination chimique et physique ont leurs limites du fait de leur coût ou de leur impact secondaire sur l'environnement. La voie biologique est actuellement en plein essor et suscite de très nombreux travaux de par le monde.

La dégradation d'un pétrole brut par des micro-organismes est un phénomène bien établi, bien que mal connu, et est considérée comme le mécanisme le plus efficace pour l'élimination de ce polluant.

Nous nous sommes intéressés à ce problème sur le plan de la recherche fondamentale comme industrielle.

Notre objectif était double :

1/ comprendre les mécanismes de la biodégradation des hydrocarbures,

2/ mettre au point des procédés fiables de biodégradation accélérée.

Ce travail nous a permis de démontrer l'efficacité de la biodégradation des hydrocarbures pétroliers par l'utilisation de souches bactériennes exogènes et complémentaires assemblées en consortiums.

Nous aborderons successivement :

1/ les hydrocarbures pétroliers et leur devenir

2/ notre recherche fondamentale sur la biodégradation de ces hydrocarbures

3/ un exemple d'application de nos précédés industriels.

1/ LES HYDROCARBURES PETROLIERS et leur devenir dans l'environnement :

on peut les classer en quatre familles principales qui sont présentes en proportions variables selon l'origine de l'hydrocarbure et son vieillissement :

a/ les hydrocarbures saturés : alcanes, cycloalcanes (30 à 70%)

b/ les hydrocarbures aromatiques et polyaromatiques (20 à 40%)

c/ les hydrocarbures polaires (5 à 25%)

d/ les asphaltènes (0 à 10%)

Ces hydrocarbures rejetés dans les océans s'étalent à la surface avant de subir une série de modifications par différents processus, parmi lesquels, les plus importants sont :

1-1/ Evaporation :

Elle touche les fractions de faible poids moléculaire (inf. à 12C).

Elle dépend des conditions atmosphériques (vent, vagues, température...).

Les composés ayant de 4 à 12 atomes de Carbone représentent près de 50% d'un brut moyen, il peut donc y avoir une pollution atmosphérique notable.

1-2/ Solubilisation :

La solubilité des hydrocarbures dans l'eau augmente avec la polarité des composés, c'est-à-dire quand leur poids moléculaire diminue.

Les composés aromatiques sont nettement plus solubles que leurs homologues saturés.

Il est important de noter que ces hydrocarbures solubles sont de loin les plus dangereux pour l'environnement, il sont difficiles à éliminer et sont absorbés par la faune et la flore.

1-3/ Emulsion :

Des émulsions eau-dans-huile ("mousse chocolat") et huile-dans-eau peuvent se produire. Elles sont facilitées par la présence d'agents tensioactifs à la surface de l'eau.

1-4/ Sédimentation :

Elle est le fait des fractions les plus lourdes et constitue un phénomène fréquemment observé sur les franges côtières.

La sédimentation conduit à la constitution d'agrégats de haute densité difficilement biodégradables par voie naturelle.

1-5/ Photo-oxydation :

Elle s'observe en surface mais aussi dans les vapeurs atmosphériques.

Elle touche plus particulièrement les composés aromatiques (non volatiles et photosensibles) et conduit à la formation de composés chimiques nombreux.

1-6/ Dégradation microbienne :

On a souvent dit que le pétrole brut est naturellement biodégradable et que les bactéries sauvages sont responsables de cette biodégradation. A la suite de nombreux travaux récents, il n'est pas certain que ce soit vrai, même si ce phénomène de biodégradation est le plus important mécanisme de dégradation naturelle des hydrocarbures.

Ce que l'on peut actuellement dire, c'est que les micro-organismes sont capables de dégrader certains constituants des pétroles, mais que les taux de décomposition dans les écosystèmes naturels sont encore très mal connus. Ceci est vrai tant pour les bactéries telluriques que pour les bactéries marines.

Ces dernières années, la recherche de micro-organismes utilisant des hydrocarbures s'est considérablement amplifiée avec plus ou moins de succès. La plupart des travaux effectués dans ce domaine sont réalisés en milieu fermé et donc difficilement utilisables à l'échelle industrielle.

Sur le plan technique, un des problèmes fréquemment soulevé était celui de la croissance des micro-organismes sur les hydrocarbures.

La question essentielle qui se posait lors des premières études, était de savoir comment se faisait le passage de l'hydrocarbure (du milieu de fermentation) vers l'intérieur des cellules en croissance.

2/ ETUDE DU TRANSFERT DU SUBSTRAT VERS LES CELLULES

Il s'agissait donc pour nous d'aborder la nature du transfert du substrat.

2-1/ Généralités

La fermentation sur hydrocarbures est réalisée dans un système comportant quatre phases :

* phase aqueuse renfermant les sels minéraux,

* phase hydrocarbure constituant la source de carbone,

* phase gazeuse qui fournit l'oxygène et

* phase solide représentée par des micro-organismes vers lesquels sont transférés tous les substrats contenus dans les autres phases.

Actuellement, il est établi que l'hydrocarbure pour être assimilé par la cellule, doit subir une transformation.

L'intervention des biosurfactants (molécules excrétées par les micro-organismes au cours de la croissance sur hydrocarbures) dans le phénomène de transfert du substrat vers l'intérieur de la cellule, est un fait actuellement admis par tous les spécialistes.

De nombreux chercheurs ont essayé d'identifier les biosurfactants (ou biotensioactifs). On peut résumer succinctement l'ensemble des travaux en disant que ces molécules sont extrêmement complexes et généralement constituées de sucres, de protéines et de lipides.

Leur composition varie en fonction des micro-organismes et de la nature de l'hydrocarbure. Par exemple chez la plupart des bactéries, les agents tensioactifs sont des glycolipides et/ou des glycoprotéines.

2-2/ Production de biosurfactants et biodégradation

Nous avons opté pour une culture continue : le renouvellement permanent du milieu de culture assure l'élimination des composés toxiques qui inhibent la dégradation des hydrocarbures et bloquent considérablement la prolifération cellulaire.

Nous avons utilisé une population bactérienne mixte naturelle prélevée dans un biotope pollué de façon chronique et de l'eau naturelle enrichie en éléments nutritifs et en pétrole brut peu soluble dans l'eau.

Dans le dispositif expérimental l'étape de préémulsification du pétrole est réalisée par une pompe centrifuge assurant un recyclage permanent du mélange eau-biosurfactants-substrats. Ces émulsions sont particulièrement stables.

L'accroissement de la biomasse dans le réacteur est assuré par un recyclage externe des cellules par ultrafiltration tangentielle, moins agressive vis-à-vis des cellules qu'une ultrafiltration classique. Ce procédé évite aussi le cisaillement des molécules fragiles. Le procédé de filtration que nous avons mis au point nous permet en outre de récupérer le surnageant particulièrement riche en biosurfactants.

RÉSULTATS

(Graphique 1)

Notre procédé de fermentation optimisé aboutit à la dégradation en continu du pétrole.

L'ensemble des fractions pétrolières était dégradé : 88% saturés, 78% aromatiques, 60% polaires et 75% asphaltènes.-Voir Graphique 1.

Ce modèle nous a permis de déterminer les conditions optimales pour une biodégradation globale et non selective des différentes fractions.

3/ PASSAGE AU PLAN INDUSTRIEL

Le passage au plan industriel nous a amené à travailler en étroite collaboration avec divers laboratoires universitaires (associés au CNRS) et des laboratoires privés ou institutionnels dans les domaines de la microbiologie, du génie biochimique, du génie des procédés et de la géologie et de l'environnement.

Nous sommes partis du principe de base consistant,

* d'une part, à saturer le biotope avec des consortiums soigneusement sélectionnés et adaptés, sans compter sur les flores microbiennes présentes dans le milieu à traiter,

* et d'autre part, à optimiser leurs activités par une biofixation sur supports (procédé Biosmose®) et l'utilisation de biosurfactants (procédé Biosurf®).

Notre approche scientifique est adaptée à chaque cas : pollution en milieu marin, en eau douce, en milieu tellurique...

Analyse des données, étude des objectifs, tests de faisabilité, test expérimental (pilote) précèdent le traitement sur site.

EXEMPLE D'UNE APPLICATION INDUSTRIELLE : BIOTRAITEMENT D'EAU DE MER CONTAMINEE PAR DES HYDROCARBURES.

(Graphique 2)

A/ Etat initial :

300 m3 de fuel (D = 1.02) se sont déversés accidentellement dans une cuvette de rétention d'un appontement pétrolier d'un port. Ce fuel dont la densité équivaut à celle de l'eau de mer a été repompé et mélangé à environ 9000 m3 provenant du déballastage de pétroliers.

Au total 9000 m3 d'eau de mer polluée avec un indice hydrocarbures compris entre 3000 et 5000 ppm.

B/ Mise en oeuvre du procédé biotechnologique :

B-1/ Utilisation des bassins existants :

Trois bassins représentent un volume total d'environ 1000 m3 utiles.

Mise en place d'un système simple d'aération dans les trois bassins (rampe d'arrosage percée, fixée au fond des bassins, alimentée par de l'air comprimé).

B-2/ Utilisation d'un bioréacteur :

Il s'agit en fait d'une simple cuve (1,7 m3) dont le rôle est de constituer une biomasse suffisante de micro-organismes sélectionnés et adaptés qui sera ensuite dispersée dans les trois bassins.

Bioréacteur (capacité 1,7 m3) constitué :

B-3/ Ensemencement :

Après épandage de produits biologiques nécessaires au rééquilibrage du milieu et aux conditions de biodégradation des micro-organismes, vidange du bioréacteur (dont la biomasse s'est développée pendant trois jours), dans les trois bassins.

C/ Résultats :

Trois à quatre jours après l'ensemensement : rejet en mer compatible avec la législation, sous contrôle de la DRIRE (indice HC<10 ppm).

Dr Georges MATTEÏ
BIONERGIES