Février 1996 - n°5

A 100 ANS DE LA DECOUVERTE DES RAYONS X, QU'EN EST-IL AUJOURD'HUI DE LA SPECTROMETRIE DE FLUORESCENCE X ?

Le 8 novembre 1895, Wilhelm Conrad RÖNTGEN découvrait de mystérieux rayons (d'où l'appellation X) qui ont eu pour notre société du vingtième siècle un retentissement extrêmement important. Nul n'ignore aujourd'hui l'existence de la radiographie médicale ou encore le contrôle des bagages avec des machines utilisant des rayonnements du domaine des X. Pour faire un peu plus connaissance avec la technique analytique de Fluorescence X, il est important de se souvenir que tout rayonnement quel qu'il soit, interagit avec la matière.

Ainsi, on peut rapidement rappeler qu'un rayonnement d'une longueur d'onde donnée * est assimilable à un paquet d'énergie E dont on peut déterminer la valeur par la simple relation : E = h.c / * (ou h est la constante de Planck et c la célérité de la lumière). Plus la longueur d'onde augmente et plus l'énergie diminue et inversement. Des plus énergétiques aux moins énergétiques, on distingue successivement les rayons gamma, les rayons X, puis les Ultra Violet, suivis de la bande du visible pour se continuer par l'Infra Rouge. Chaque domaine énergétique interagit avec une région spécifique de la matière. Ainsi les rayons * correspondent à un domaine d'énergie concernant le noyau atomique et les UV -Visible- IR permettent-ils de caractériser les liaisons chimiques et donc les liaisons entre les électrons externes. Les rayons X s'intéressent quant à eux aux électrons internes de la matière. Ils couvrent le domaine 0,1 à 100 Å ou encore en énergie de 100 à 0,1 KeV.

L'expression "fluorescence" employée pour la technique analytique de "Spectrométrie de Fluorescence X" (SFX) provient traditionnellement de la définition "Rayonnement induisant des Rayonnements" : la SFX est donc engendrée par des rayons X.

Un appareil de SFX est constitué à la base par deux parties principales : la source et le système de détection.

La source est généralement un tube à rayons X primaires qui "illumine" l'échantillon induisant alors une excitation des couches internes électroniques des atomes constituant celui-ci par absorption d'énergie. Certains appareils utilisent les rayonnements excitateurs issus de sources radioactives (55Fe, 109Cd...). Les atomes de l'échantillon ainsi excités vont tendre à retourner dans leur état fondamental, évolution correspondant en une libération d'énergie qui se fera lors des transitions des électrons plus externes vers la lacune créée par l'excitation. Chaque élément chimique émet alors un spectre de raies d'émission qui le caractérise à la fois qualitativement (par identification de leur existence simultanée) et quantitativement par l'établissement de la relation entre l'intensité d'une de ses raies (choisie généralement pour sa forte probabilité) et sa concentration dans l'échantillon.

La détection permet de trier l'ensemble des rayonnements issus d'un échantillon et permet de concrétiser l'analyse qualitative et quantitative. Il existe de nos jours deux principaux systèmes de détection: à traitement optique de dispersion en longueur d'onde et à diode dopée (généralement Si(Li)) à dispersion d'énergie.

La SFX a de très nombreux atouts analytiques comparativement aux autres techniques analytiques de laboratoire. C'est une technique de Spectrométrie Atomique dont le spectre analytique est très large: on peut en principe analyser tout élément chimique compris entre Z = 5 (le bore) et Z = 99 (l'uranium). La gamme dynamique de concentration est également intéressante puisqu'on peut analyser de 100% (un corps pur) jusqu'à des limites de détection classique de la ppm (ou 10-5 g/g) voire de 0,1 ppm. L'échantillon peut se présenter sous forme massive, en poudre ou liquide sans gêne aucune. Enfin, atout important, il n'y a ni destruction de l'échantillon, ni consommation. Il est simplement "éclairé" par des rayons X, un peu comme le malade qui passe sa radioscopie X ou comme nos bagages sur un tapis de contrôle de sécurité.

Il faut savoir que les constructeurs européens se sont historiquement spécialisés dans une technologie instrumentale basée sur la longueur d'onde. Trois grands constructeurs européens dominent la majeure partie du parc d'appareils : Philips, Siemens et Fisons Instrument ARL (suivis par le Japonais Rigaku). Par contre, les U.S.A. ont développé depuis longtemps la seconde technologie qui semble s'implanter plus fortement ces derniers temps, surtout depuis l'avènement de la micro-informatique pour le pilotage des appareils et le traitement des données. Les appareils dispersifs en énergie ont une mécanique interne plus restreinte puisqu'il n'y a pas de goniomètre optique, ils présentent donc un encombrement plus faible et se prête plus à la conception d'appareils portables ou de type "Table Top".

L'application la plus classique en SFX est l'analyse qualitative: identification des constituants élémentaires majeurs et mineurs, définissant ainsi le type de matériaux, d'un échantillon quelconque. L'opération consiste en une séquence d'acquisition d'un spectre couvrant la région élémentaire prédéfinie et permet dans un second temps d'identifier les raies spectrales présentes: un INOX sera caractérisé par un spectre assez bien caractérisé par les raies spectrales des éléments Fe, Ni et Cr par exemple.

Une fois le goniomètre calé sur l'une des raies d'un élément, la mesure du nombre de photons émis par seconde par l'échantillon, pour des conditions excitatrices données, est une fonction croissante de la concentration. La SFX permet donc d'analyser quantitativement la composition d'un échantillon, moyennant étalonnage évidemment. Néanmoins si cette présentation rapide peut donner l'impression au lecteur que la SFX est une méthode très simple, il faut savoir que la relation "Intensité mesurée" sur une raie spectrale d'un élément avec sa "concentration" n'est pas si directement proportionnelle.

Des effets d'absorption ou d'exaltation du signal mesuré viennent perturber une utilisation basée sur la simple proportionnalité. Cependant, les laboratoires et les constructeurs ont progressivement mis au point des algorithmes de correction de ces effets dits "de matrice", permettant de rendre exploitable quantitativement le traitement du signal. Trois types de méthode sont susceptibles d'être appliquées:

* des méthodes, historiques, dites de préparation et ayant pour inconvénient de justement nécessiter une préparation et dont le but est de tamponner l'effet de matrice (technique classique dans bon nombre d'autres méthodes) : vitrification dans un fondant adapté, avec ou sans ajout d'un "alourdissant" d'absorption,

* des méthodes dites mathématiques, basées sur un ensemble complet d'éléments analysés et intégrant un algorithme de calcul permettant de tenir compte de l'effet de chacun des constituants. Dans ce cas, l'échantillon est présenté à l'analyse directement sans aucune préparation (métallurgie ou alliages métalliques divers, liquides...),

* des méthodes basées sur la mesure de l'effet perturbateur, exploitant les lois de la diffusion des R.X. Ces méthodes sont souvent utilisées quand certains éléments ne peuvent pas être mesurés sur l'appareil considéré ou fondamentalement, hydrogène et oxygène des matrices organiques ou aqueuses par exemple.

Dans toutes ces méthodes, la précision analytique que l'on peut espérer est classiquement de 1% et peut être meilleure dans certains cas.

Les capacités de calculs et de traitements complexes accessibles aujourd'hui grâce à la micro-informatique permettent aux constructeurs de proposer une option d'analyse dite "Semi-Quantitative" : avec une séquence de mesures, pré-programmées sur près de 70 éléments potentiels, le traitement permet d'identifier la composition complète de l'échantillon avec une précision d'environ 5%, et cela sans préparation. Pour les utilisateurs qui souhaitent identifier la nature de matériaux très variés, cette possibilité est extrêmement intéressante, car sur quelques grammes de celui-ci, en moins de quarante minutes, il est identifié directement et rendu au demandeur. Aucune autre méthode aujourd'hui n'a une telle capacité.

En contrôle d'environnement, on peut pressentir que cette possibilité est très intéressante. Dans ce domaine d'ailleurs, il faut savoir que les échantillons sous forme d'une très petite quantité de matière, déposée sur un filtre (en film plastique ou en fibre de cellulose), permettent une analyse qualitative et quantitative encore plus rapide que sur échantillons massifs car il n'y a plus, dans ce cas, d'effets de matrice. Ainsi le Laboratoire des Systèmes Atmosphériques de l'Université Paris 7 - JUSSIEU - utilise-t-il cette capacité pour analyser classiquement la composition chimique sur 15 éléments, en routine, dans les poussières atmosphériques collectées un peu partout dans le monde : en milieu urbain (Paris, Créteil, Le havre, Rouen, Tours, Arles...), industriel (incinérateurs d'O.M., fonderies...), rural voire très peu pollué comme la côte bretonne, les Iles du Cap Vert, la Crète ou le Groenland. En ce qui concerne un polluant particulaire atmosphérique bien connu, le plomb, l'AFNOR a d'ailleurs mis en place la norme X 43027 permettant aux analystes de disposer d'un protocole normalisé pour la mise en œuvre de la méthode de SFX pour analyser cet élément. Elle est déjà à l'étude pour une généralisation à l'ensemble des éléments analysables qui peuvent être d'intérêt dans l'atmosphère: Soufre, Chlore, métaux lourds...

Mais on peut également déposer artificiellement une très faible masse de matière sur un filtre, de l'ordre du milligramme, et analyser cette matière avec les mêmes performances que sur un échantillon massif. Les seuils de détection sont classiquement de quelques nanogrammes élémentaires sur un filtre pour une masse déposée de l'ordre du milligramme (soit là encore une concentration limite de quelques ppm).

Les utilisateurs de la spectrométrie de fluorescence X sont nombreux et ses applications sont extrêmement variées. Cependant la SFX n'est pas une technique très répandue car il faut bien reconnaître qu'elle fait un peu peur (les Rayons X ont toujours inquiété les personnels) et elle a la réputation d'être chère. Il faut cependant savoir que son rapport Qualité/Prix est excellent. Certes elle est pénalisée par un investissement "équipement" de base qui peut sembler important mais elle propose un potentiel analytique sans comparaison et surtout un coût de fonctionnement extrêmement réduit. Il faut compter pour un équipement de base sérieux, un budget d'environ 250kF mais en fonction de la complexité et les performances souhaitées, il peut atteindre 1MF voire comme sur certains sites en contrôle de production, 3à 4MF.

Rassurons-nous, pour environ 1MF, on peut disposer d'un appareil très performant. Le coût moyen en fonctionnement n'est que de quelques francs par élément analysé.

Pour illustrer les possibilités analytiques de cette technique, voici quelques exemples d'applications très classiques:

Rappelons que l'analyse se fait sans destruction des échantillons. Cette capacité unique fait que nombre de laboratoires spécialisés particuliers sont équipés de SFX: le laboratoire de la police scientifique, le laboratoire des douanes ou encore ceux du musée du Louvre ou des Monuments Historiques. Tous doivent caractériser précisément des objets d'intérêt sans les détruire: pièces à conviction, objets d'import/export, œuvres d'art...

On voit ainsi qu'aucun type de matériaux n'est exclu a priori en SFX. Du moment que un ou plusieurs éléments chimiques y sont intégrés, elle pourra exploiter ses possibilités de caractérisation de manière très utile pour l'analyste, de façon conservative et en un temps extrêmement court.

On voit aussi apparaître sur le marché des instruments mixtes associant SFX et diffraction X pour une caractérisation simultanée de la structure. Alors si vous avez des produits ou matériaux incluant des éléments particuliers ou parasites, rien de plus facile en SFX pour répondre à vos problèmes.

Interrogez les laboratoires équipés, ils vous aideront sûrement et vous conseilleront efficacement!

 

Jean Paul QUISEFIT
Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques
Equipe Rayons X - Université Paris 7 Paris 12 URA CNRS 1404