Juin 1997 - n°19

Le Candidat Médicament

Entre le moment où naît dans l'esprit du chercheur l'idée qu'une nouvelle entité chimique pourrait constituer un projet thérapeutique et le moment où cette molécule est susceptible d'arriver sur le marché, il faut compter en moyenne de sept à douze ans.

Sept à douze ans au cours desquels il s'agit de démontrer, dans l'état actuel de la science, que le produit testé offre au futur consommateur un rapport efficacité/tolérance globalement favorable, c'est-à-dire que les avantages procurés par le candidat médicament l'emportent, dans l'intérêt des patients, sur les inconvénients liés à ses effets indésirables souvent inévitables.

Sept à douze ans d'un parcours du combattant, semé d'embûches éliminatoires, dont moins d'une molécule sur mille sortira vainqueur.

Les obstacles à franchir, au cours du développement, sont essentiellement ceux de l'expérimentation animale (étape préclinique, dite des prérequis) et ceux des essais cliniques sur l'homme.

1- L'expérimentation animale

Expérimenter sur l'animal des produits susceptibles de devenir des médicaments répond, en fait, au souci de ne pas exposer des humains en première ligne. A ce stade précoce du développement du produit, on ne peut faire que des hypothèses sur sa tolérance. Et, on n'a encore d'idées précises ni sur la façon dont les organismes vivants le transformeront (le métaboliseront), ni sur la fourchette des doses utilisables sans danger, ni même sur la voie d'introduction la mieux adaptée (voie buccale, percutanée, intramusculaire...).

C'est ainsi que l'expérimentation sur des espèces animales judicieusement choisies, dans le cadre précis de la mise au point des médicaments à usage humain (mais aussi vétérinaire) a un triple but:

- acquérir des données de base indispensables en terme de métabolisme et d'efficacité,

- arrêter, dès ce stade, le développement de certains produits dont les effets délétères sur l'animal ne laissent présager aucune sécurité d'emploi chez l'homme,

- cibler les organes de l'homme sur lesquels le produit testé pourrait avoir une toxicité non rédhibitoire.

2- Les essais cliniques

Les essais sur l'homme ne peuvent être entrepris que si les résultats de l'expérimentation animale ont été jugés "favorables", c'est-à-dire prometteurs et sécurisants.

Ils se dérouleront en quatre phases successives dont seules les trois premières participent à la constitution du dossier de demande d'Autorisation de Mise sur le Marché (A.M.M.). Ils obéissent à des règles méthodologiques strictes leur conférant la rigueur des expériences de laboratoire.

2.1- La chronologie en quatre phases des essais cliniques

- La phaseI est celle de la première administration à l'homme, généralement un petit nombre de volontaires sains (mais, quelquefois des malades, comme par exemple en cancérologie) dans des centres de pharmacologie clinique agréés, dotés de personnels spécialisés, expérimentés et de matériels performants.

On étudie sous haute surveillance la tolérance du produit, son devenir dans l'organisme et l'on détermine la plage des doses susceptibles d'être utilisées par la suite pour démontrer l'efficacité du produit.

- La phaseII est destinée à vérifier l'hypothèse d'efficacité du produit et détermine les meilleures modalités d'administration, en particulier la dose à prendre en compte pour la phaseIII.

- La phaseIII, de confirmation, porte sur quelques centaines, voire plusieurs milliers de patients. Elle est la phase des "essais thérapeutiques" souvent internationaux. Ces essais permettent d'apprécier, s'il existe, l'effet thérapeutique du nouveau produit et ses effets indésirables les plus fréquents, par rapport à un placébo ou à un produit de référence judicieusement choisi. C'est au terme de cette phase qu'est évalué le bilan efficacité/sécurité, c'est-à-dire le rapport bénéfices/risques de la molécule testée, en fonction duquel sera accordée ou non l'A.M.M..

- La phaseIV ne concerne que les produits ayant obtenu l'A.M.M. et se déroule tout au long de leur carrière commerciale. Elle permet d'affiner les connaissances, de mieux évaluer la fréquence des effets indésirables (et de mettre en évidence les effets indésirables rares), de mieux préciser les modalités et les conditions d'utilisation, par exemple dans des groupes de patients à risque, et enfin de mieux "situer" le produit au sein de notre arsenal thérapeutique parmi les substances d'action comparable.

2.2- La méthodologie d'évaluation d'un nouveau médicament

Sans renier pour autant l'héritage, par exemple de l'aspirine et de la colchicine dont l'efficacité a permis de s'imposer par empirisme, la variabilité qui règne dans les sciences du vivant requiert que la démonstration de l'efficacité d'un candidat médicament passe par le recours à une méthodologie rigoureuse.

Cette méthodologie permettra de savoir si la probabilité de guérison est plus forte avec le nouveau traitement qu'avec l'ancien. Pour comparer ces deux probabilités, la seule approche valable est l'approche statistique qui repose sur l'application de trois principes: la comparaison, la signication et la causalité.

- La comparaison :

Les résultats d'un groupe de patients recevant le traitement à évaluer, dit groupe traité, sont comparés à ceux d'un groupe témoin soumis à un traitement déjà validé, en principe le meilleur traitement connu, dit traitement de référence. (S'il n'existe pas de traitement actif, le groupe témoin reçoit un placebo).

- La signification :

La différence observée entre les résultats des deux groupes recevant les deux traitements comparés est-elle réelle? La simple confrontation des pourcentages de succès obtenus dans les deux groupes de patients ne suffit certainement pas; il faut en effet "s'assurer", en utilisant des tests statistiques appropriés, que la différence observée ne résulte pas du simple hasard.

- La causalité :

A supposer que la différence observée ne soit probablement pas due au hasard (la différence est alors dite significative), on ne pourra l'imputer aux effets du traitement que si la comparaison a porté sur des groupes comparables à tous points de vue, hormis pour le traitement reçu.

Le tirage au sort de l'attribution des traitements (randomisation) et les procédures d'insu ou aveugles sont alors indispensables; il est en effet essentiel que non seulement le patient (méthode dite en simple aveugle), mais aussi le médecin (double aveugle) ignorent lequel des deux traitements est pris.

D'autre part, le nombre de sujets nécessaires à un essai ne doit pas être fixé "au petit bonheur"; plus le gain d'efficacité espéré par l'emploi du nouveau produit est grand, moins on aura besoin de patients pour le mettre en évidence. Mais, dans les faits, on ne peut avoir la même confiance dans des résultats observés après avoir testé un produit sur 4000ou 40personnes.

En définitive, le test statistique n'est pas un jugement de certitude, mais seulement de vraisemblance. Il est toujours assorti à des risques d'erreur que la multiplication des essais tend à minimiser.. au prix d'un nombre de sujets plus élevé, donc d'un investissement plus lourd...

Une fois franchis ces obstacles de l'expérimentation animale et des essais cliniques sur l'homme, la naissance du médicament ne sera effective, en France, qu'au moment précis où lui est octroyée l'A.M.M. A suivre...

 

par Vincent LIMOUSIN
Association INTERCHIMIE 99