Septembre 1997 - n°20

Le test d'Ames ou Mutatest

1. Historique

La Toxicologie Génétique est une discipline relativement récente qui vise à évaluer les dangers génétiques potentiels éventuels chez l'Homme d'un agent physique ou d'un produit chimique à partir des effets sur un système modèle. Dans les années70, le seul système disponible était un test de cancérogénèse à long terme sur l'animal. Ce système était long à mettre en œuvre, coûteux et parfois difficilement interprétable. Heureusement, l'idée d'un parallélisme entre pouvoir cancérogène et pouvoir mutagène commençait à s'imposer. Une étape majeure a été franchie par le Prof. B.N.Ames lorsqu'il a pu mettre au point un test basé sur l'utilisation de souches bactériennes hypersensibles aux mutagènes et donc aux cancérogènes.

2. Principe

Les test d'Ames est un test de mutagenèse proprement dit. Il consiste à examiner si une substance chimique ou un agent physique est capable d'induire des mutations spécifiques chez différentes souches de Salmonella typhimurium. Les souches utilisées dans le test sont des souches porteuses d'une mutation dans un des gènes gouvernant la synthèse de l'acide aminé histidine. Cette mutation His- rend les souches incapables de pousser sur un milieu sans histidine. Avec une fréquence très faible, ces mutations His- reversent spontanément vers His+ et donc les cellules retrouvent leur capacité à pousser sur un milieu dépourvu d'histidine. Cette fréquence de réversion peut augmenter en exposant les bactéries His- à des agents mutagènes. Ainsi, le test d'Ames permet de quantifier l'induction de ces mutations réverses His+.

His- * His+

mutagène

3. Souches bactériennes

Plusieurs souches bactériennes de nature génétique différente sont utilisées. La batterie classique inclut les souches TA97a, TA98, TA100 et TA102. Ces souches sont porteuses de mutations His- différentes qui permettent de tester des agents mutagènes variés (Tableau1). En plus de ces mutations spécifiques sur l'opéron His, ces souches possèdent des caractères génétiques qui permettent d'augmenter leur sensibilité à l'agression génotoxique:

* la mutation rfa qui affecte la structure de la membrane externe et augmente la perméabilité des souches aux molécules de masse moléculaire élevée,

* la mutation uvrB qui bloque le processus de réparation des lésions par excision-resynthèse et augmente la réparation fautive SOS,

* les souches sont transformées avec le plasmide pKM101 qui contient deux gènes amplifiant le processus SOS de réparation responsable de la mutagenèse induite,

* la souche TA102 porte la mutation HisG428 sur le plasmide pAQ1. Ce plasmide est présent dans la souche en multicopie (20-60), ce qui augmente le nombre de cibles. De plus, cette souche contient un gène uvrB fonctionnel qui autorise la détection de produits hautement toxiques pour les trois autres souches (anticancéreux, peroxydes).

4. Le S9 Mix

La grande majorité des produits pénétrant dans un organisme humain sont détoxifiés afin d'être rapidement éliminés. Les systèmes enzymatiques qui interviennent dans ces réactions se situent principalement au niveau du foie et exigent des cofacteurs (oxygène et NADPH). Ils sont aussi inductibles. Dans le test d'Ames, ce métabolisme est mimé en mélangeant un homogénat de foie de rat (S9) avec les bactéries et les cofacteurs nécessaires (Mix). Un traitement préalable par un inducteur (généralement l'Aroclor 1254) assure la présence de tous les systèmes enzymatiques.

Tableau 1. Caractéristiques génétiques des souches utilisées dans le test d'Ames

pb : paire de bases

5. La technique

Le test d'Ames consiste à préparer une série de mélanges d'une quantité constante d'une des souches et des quantités croissantes du produit à tester et à les étaler sur des boîtes de Petri contenant un milieu minimal. Ce milieu autorise la croissance des mutants His+ uniquement. Afin d'augmenter la sensibilité du test, une trace d'histidine est ajoutée qui permet la croissance de 2à 3générations de His- et amplifie l'apparition des mutants. Après incubation pendant 48h, le dénombrement des mutants His+ est effectué. Ceux-ci apparaissent sous la forme de colonies sur un tapis cellulaire translucide.

Une courbe dose-réponse est tracée en portant en ordonnées le nombre de His-/boîte en fonction des doses testées. Le pouvoir mutagène est défini comme la pente de la région ascendante de la courbe (nombre de His+/µg ou nmole).

* Plusieurs techniques sont disponibles pour effectuer le test d'Ames

* Le spot-test qui est un pré-test. Le produit en solution est déposé sous forme de goutte sur le milieu minimal préalablement ensemencé avec la souche. Cette technique permet d'évaluer rapidement les doses à tester par les autres techniques.

* La méthode standard. Le mélange produit-bactéries est étalé directement sur boîte de Petri. C'est la méthode de référence.

* La méthode avec préincubation en milieu liquide (30-90min). Les bactéries sont placées en contact avec le produit en milieu liquide. Cette méthode permet de détecter certains produits qui sont négatifs par la méthode standard.

* La microméthode. C'est une méthode avec préincubation en milieu liquide (60min) qui utilise moins de produit et aussi moins de S9 tout en étant 5à 7fois plus sensible que la méthode standard.

6. Domaine d'application

Les test d'Ames a été utilisé pour évaluer la mutagénicité et l'antimutagénicité de molécules pures.

De part sa rapidité et sa simplicité, le test a été adapté pour détecter la mutagénicité de mélanges d'origine naturelle (atmosphères, sédiment marins) et biologiques (sang, urine, fèces, lavages bronchiques). Lorsque la mutagénicité est confondue avec les propriétés biologiques des molécules (nitro-aromatiques, anticancéreux), ce test devient un outil puissant pour les chimistes dans les études de relations structure-activité.

7. Développement du test

Les récents développements du test portent principalement sur la construction de nouvelles souches capables de détecter avec une plus grande sensibilité certains types de mutations ou certaines familles de produits. Ainsi, des souches ont été modifiées pour détecter des amines aromatiques et des nitro-aromatiques que l'on retrouve fréquemment dans des mélanges complexes. Dernièrement, six nouvelles souches ont été construites pour préciser la nature de certaines mutations.

8. Avantages et inconvénients du test d'Ames

Le succès du test d'Ames vient de sa simplicité d'exécution et de son coût modique. De plus, ce test est rapide (48h) et sensible. Il donne une réponse quantitative permettant des études comparatives. Sa souplesse dans les différents protocoles lui permet de s'adapter à des échantillons variés. Son pouvoir prédictif (mutagènes qui sont cancérigènes) est de 70-90% selon les études. De part sa simplicité et son faible coût de revient, le test d'Ames est le plus utilisé des tests de Toxicologie Génétique. Parmi tous les tests disponibles, sa banque de données est certainement la plus importante. Enfin, il a été validé dans de nombreux pays.

Cependant, le test d'Ames est un test bactérien. Il représente une simulation approximative de ce qui peut se passer chez l'homme (métabolisme, système de réparation de l'ADN, systèmes de toxification, conditions d'exposition et de diffusion des produits dans l'organisme cible). La présence d'histidine dans des échantillons biologiques peut induire de fausses réponses positives et certains produits bactéricides (antibiotiques) peuvent induire des fausses réponses négatives. La sensibilité (cncérigènes qui sont mutagènes) est de 40-50%. Les souches bactériennes sont génétiquement instables. Ce test exige un équipement de laboratoire qui est propre à un laboratoire de bactériologie. Ceci peut être un investissement initial important pour un laboratoire non équipé. a

Références :

Maron, D. and B.N. Ames. 1983. Revised methods for the Salmonella mutagenicity test. Mutat. Res., 113: 173-215.

De Méo, M., M. Laget, C. Di Giorgio, H. Guiraud, A. Botta, M. Castegnaro and G. Duménil. 1996. Optimization of the salmonella/mammalian microsome assay for urine mutagenesis by experimental designs. Mutat. Res., 340: 51-65.

Souche Gène affecté Type de mutation Réparation Lipopolysaccharide Plasmide

détectée

TA97a HisD6620 décalage (-1 pb) uvrB rfa pKM101

TA98 HisD3052 décalage (+1 pb) uvrB rfa pKM101

TA100 HisG46 base uvrB rfa pKM101

TA102 HisG428 base + rfa pKM101

(pAQ1) pAQ1

Trucs et astuces

1. Pour effectuer le test, il vaut mieux posséder une solide formation de bactériologiste.

2. Mis à part l'équipement de base d'un laboratoire de bactériologie, il faut penser à l'achat d'un compteur automatique de colonies performant.

3. Si vous partez des souches congelées pour une série d'expériences, la croissance en milieu liquide dépend de l'agitation.

4. Si vous utilisez les souches congelées pour les tests, il n'est pas nécessaire de vérifier les caractères génétiques systématiquement.

5. Le bon fonctionnement des souches se contrôle par les fréquences spontanées de réversion (contrôle solvant) et un contrôle positif spécifique pour la souche et si nécessaire un contrôle positif pour leS9Mix.

6. Le comportement des souches dans le test est étroitement lié au type d'agar (agent gélifiant) utilisé. Le seul type acceptable est celui de Difco (Bacto agar).

7. La fabrication du S9 est toujours une étape délicate. Prévoir un lot de cinq rats mâles de 180-200g. Après induction par l'Aroclor1254, le poids des foies doit être >=13g (le poids d'un foie non induit est ~10g). Les foies non induits doivent être rejetés.

8. Le calibrage du S9 est une étape souvent négligée. La concentration finale en protéines doit être de 30-40mg/ml. Le pourcentage de S9 change en fonction des techniques utilisées. La méthode standard S9Mix (10%S9), BaP (5µg) donne 300-400 révertants/boîte. La microméthode S9Mix (4%S9), BaP (0,5µg) donne 400-600 révertants/boîte.

9. Une courbe dose-réponse interprétable doit inclure 3 contrôles solvant, un contrôle positif et 4doses du produit testé en double.

 

par Michel De Méo
Laboratoire de Biogénotoxicologie et Mutagenèse Environnementale