Janvier 1999 - n°34

L'innovation au service de la microbiologie alimentaire

En microbiologie des aliments, les méthodes traditionnelles comprennent l'isolement et l'identification du micro-organisme.

Selon le germe en cause, le délai de réponse peut prendre plusieurs jours, voire une semaine. Parallèlement aux méthodes traditionnelles, se sont développées des méthodes alternatives, plus rapides et notamment tout un éventail de techniques moléculaires très sensibles et hautement spécifiques.

Depuis ces dix dernières années, les techniques de biologie moléculaire ont évolué rapidement et offrent aujourd'hui des perspectives très vastes dans la détection des micro-organismes pathogènes.

Ces techniques ont d'abord fait leur entrée dans le domaine médical et concernent aujourd'hui l'industrie agro-alimentaire. Les deux méthodes utilisées pour la mise en évidence des acides nucléiques sont l'hybridation moléculaire et l'amplification enzymatique de gène. Ces techniques mettent en évidence un acide nucléique, ADN ou ARN, comme marqueur de contamination d'une préparation alimentaire.

L'hybridation moléculaire

Le principe de l'hybridation moléculaire est basé sur la capacité qu'ont 2 brins d'ADN (l'ADN cible et l'ADN sonde), de s'apparier de façon spécifique par leurs bases complémentaires pour former un duplex.

Des possibilités de reconnaissance entre ADN et ARN sont également utilisés pour former un hétéro-duplex stable. Lorsque l'hybridation se produit, un signal permet de détecter le complexe formé.

La technologie des sondes utilise ce principe pour mettre en relation les brins cibles du micro-organisme à tester avec des brins marqués appelés sondes.

Du fait des inconvénients liés aux marquages isotopiques, se sont développés des marquages dits « froids ». D'énormes progrès ont été réalisés dans les systèmes de marquage non radioactifs : marquage enzymatique, par fluorescence et luminescence. L'acquis obtenu, il y a quelques années sur les systèmes de détection des tests immuno-enzymatiques, a permis ce développement rapide dans les systèmes de détection des acides nucléiques.

Parmi les tests actuellement commercialisés dans le secteur alimentaire, plusieurs kits utilisent une technique d'hybridation moléculaire qui détecte des séquences spécifiques portées sur l'ARN ribosomique. Ces tests mettent en évidence les principales bactéries pathogènes des aliments comme Listeria monocytogenes, Salmonella, Staphylococcus aureus, Escherichia coli, Yersinia enterocolitica, Campylobacter.

* Pour l'un de ces systèmes, l'ARN cible de la bactérie est reconnu par deux sondes spécifiques :

- une sonde de capture qui contient une séquence poly dA, qui permettra la fixation du duplex sur un stick porteur d'un oligonucléotide poly dT

- une sonde de détection qui utilise une activité enzymatique pour mettre en évidence le duplex ARN cible / ADN sonde. Le substrat chromogène de l'enzyme permet d'obtenir en final, une réaction colorée qui est détectée à l'aide d'un spectrophotomètre.

* Dans un autre de ces systèmes, l'ARN cible de la bactérie est reconnu par une sonde marquée par un ester d'acridinium. La réaction d'hybridation a lieu en solution (phase homogène), ce qui lui confère une cinétique extrêmement rapide (15 min). La sonde en excès ou la sonde libre qui n'a pas retrouvé sa cible est hydrolysée alors que la sonde engagée dans le processus d'hybridation n'est pas sensible à l'hydrolyse. La détection en final de la sonde marquée par l'ester d'acridinium est réalisée par un luminomètre. Ce test est extrêmement facile d'utilisation et se prête parfaitement au diagnostic de masse dans l'industrie agro-alimentaire. Il est notamment utilisé pour la recherche de Listeria monocytogenes dans les aliments.

Malgré les nombreuses améliorations apparues ces dernières années pour permettre notamment un gain de sensibilité, les sondes commercialisées pour le diagnostic microbiologique des aliments n'ont jamais pu être utilisées directement sur les échantillons alimentaires, car elles présentent comme inconvénient majeur d'avoir un seuil de détection trop faible, de l'ordre de 105 germes/ml. Ce manque de sensibilité qui pendant longtemps a représenté l'obstacle majeur, est à présent résolu avec l'apparition des techniques d'amplification génique.

L'amplification de gène

La PCR a été conçue par K. Mullis et R. Saiki au sein de la Cetus Corporation et le brevet a ensuite été racheté par Roche pour 300 millions de dollars. Les premiers kits PCR, Amplicor concernaient le diagnostic médical. Très récemment, Roche a accordé des licences PCR aux sociétés Sanofi Diagnostics Pasteur (Probelia™) et DuPont (Qualicon™) pour commercialiser des tests PCR destinés exclusivement au diagnostic alimentaire.

Le principe de la réaction d'amplification de gène est très simple. La méthode permet de recopier un segment d'ADN ou d'ARN en de nombreux exemplaires, grâce à une ADN polymérase thermostable extraite de Thermus aquaticus (la Taq polymerase) et à 2 amorces oligonucléotidiques qui encadrent le segment amplifié.

Comme le nombre d'exemplaires formés croît exponentiellement avec le nombre de cycles effectués, on peut en obtenir en quelques heures seulement plus de 100 milliards de copies. Le seuil de détection des techniques d'amplification génique est de l'ordre de 102 germes/ml.

En PCR comme avec les sondes nucléiques, les résultats sont obtenus après une phase d'enrichissement.

Un certain nombre d'impératifs sont cependant liés au diagnostic alimentaire à savoir :

- La nécessité de distinguer les bactéries vivantes des bactéries mortes

- Les prises d'essai très faibles utilisées dans ces tests

- Les nombreux inhibiteurs présents dans les aliments.

Ces impératifs interdisent toute utilisation en direct des tests génétiques dans les aliments.

Ainsi, après une phase d'enrichissement qui n'excède généralement pas 24 heures, un aliquot (1ml) est prélevé pour procéder à la lyse des cellules et à l'extraction des acides nucléiques. Plusieurs méthodes d'extraction sont disponibles, les plus rapides utilisent notamment des chocs thermiques en présence de résines chélateuses d'ions (chelex 100).

Survient ensuite l'étape d'amplification génique à l'aide d'amorces spécifiques pour détecter le microorganisme cible. De nombreuses publications font état d'oligonucléotides spécifiques des principaux microorganismes pathogènes d'intérêt diagnostique en hygiène alimentaire. Pour un germe donné, différentes séquences cibles peuvent être utilisées pour permettre tantôt un diagnostic d'espèce tantôt un diagnostic du genre. C'est le cas par exemple pour Listeria où la recherche spécifique de l'espèce monocytogenes est primordiale, alors qu'à contrario pour Salmonella il est important d'avoir un diagnostic au niveau du genre bactérien. Une des possibilités qui peut être appréciée également, réside dans la capacité de cibler un gène de pathogénicité précis codant pour une toxine (entérotoxine) ou un facteur de virulence. Ainsi, dans la recherche d'E. coli entérohémorragique 0157:H7, la seule mise en évidence du sérotype peut s'avérer insuffisante et une confirmation par la mise en évidence des gènes codant pour les vérocytotoxines s'avère déterminante.

Succédant à l'étape d'amplification, intervient en final l'étape de détection des produits amplifiés. La détection des produits d'amplification peut être réalisée par des techniques électrophorétiques avec des gels d'agarose colorés au bromure d'éthidium qui est un agent cancérigène et mutagène (Qualicon™). A cette technique qui est difficilement utilisable dans les laboratoires de routine, on préfère une identification par hybridation moléculaire à l'aide d'une sonde interne au fragment amplifié. La technique "sandwich" d'hybridation en solution semble prévaloir dans ce domaine car elle est automatisable, sensible et peut, par exemple, s'adapter sur des microplaques de type ELISA (Probelia™).

Très récemment, Perkin-Elmer Cetus a proposé un système d'amplification et de détection des produits amplifiés dans un même module et de façon simultanée (TaqMan™). Il est possible dans ce système très automatisé de suivre en temps réel le signal correspondant à l'amplification et de pouvoir ainsi agir encore plus précocement. Mais surtout, parce que l'ensemble des étapes jusqu'au résultat final s'effectue dans un circuit fermé on évite les risques de contamination qui surviennent lors de l'ouverture des tubes.

* La maîtrise de la contamination par de l'ADN exogène aérosolisé est un problème majeur pour le diagnostic de masse en PCR. Une organisation du laboratoire en deux zones: « zone pré-PCR » et « zone post-PCR » est recommandée, ainsi que l'utilisation de cônes à filtre pour le pipetage des réactifs. Mais, le système de prévention des contaminations qui est de loin le plus judicieux et le plus efficace, est celui proposé par Roche. Le système consiste à générer des produits d'amplification dans lesquels l'Uracile remplace la Thymine. De ce fait, tout produit de PCR potentiellement contaminant peut, à la différence de l'ADN naturel, être détruit par l'Uracil-N-Glycosylase (UNG) qui est incorporée dans le mélange réactionnel d'amplification. Les produits d'amplification contaminants deviennent donc non amplifiables, à la différence de l'ADN naturel. L'UNG procède à un véritable nettoyage - décontamination en amont de l'amplification et, comme elle est thermolabile, son inactivation lors du premier cycle de température à 95°C, permet à l'ADN nouvellement amplifié de rester intact.

* Des résultats faussement négatifs sont également décrits, dus essentiellement à des inhibiteurs de la Taq polymérase présents dans les prélèvements alimentaires. Ces « effets matrice » sont bien connus des microbiologistes alimentaires et se trouvent à l'origine de nombreux résultats faussement négatifs qui sont observés dans toutes les méthodes de diagnostic qui sont utilisées en hygiène alimentaire. Le gros avantage des techniques d'amplification génique par rapport aux autres méthodes est justement de pouvoir déceler la présence de ces inhibiteurs, grâce à l'ajout dans chaque échantillon testé d'un contrôle interne de la réaction d'amplification. Le résultat du test ne peut être validé que si le standard interne de la réaction a donné une réponse positive. Si la présence d'un inhibiteur est observée, il est conseillé d'effectuer des purifications supplémentaires de l'ADN ou de diluer les échantillons.

Jusqu'à une période récente, la technologie PCR restait l'apanage de laboratoires spécialisés et en général des laboratoires médicaux. Le développement de systèmes en milieu liquide qui peuvent être semi-automatisés, voire complètement automatisés (Probelia™, TaqMan™, Gen-Probe...) laisse entrevoir un essor des techniques moléculaires au moins aussi important que celui observé il y a une vingtaine d'années avec les tests immunologiques.

L'association de techniques d'amplification génique et d'hybridation en milieu liquide à l'aide de sondes froides, proposées sous formes de kits ou de trousses de détection doit permettre aujourd'hui à ces technologies de pointe d'entrer dans tous les laboratoires d'hygiène alimentaire.

Le brevet couvrant la PCR arrive à expiration au début des années 2000, ne doutons pas que dans les prochaines années de nombreux réactifs utilisant des techniques d'amplification vont être commercialisés... Le microbiologiste alimentaire ne doit pas avoir peur de cette évolution, mais doit en utilisant et en comparant ces nouvelles méthodes avec les méthodes plus conventionnelles définir raisonnablement les limites d'utilisation de ces nouveaux tests.