Février 1999 - n°35

CAHIER DE LABORATOIRE :
UNE COMPOSANTE STRATÉGIQUE DE LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE

Le cahier de laboratoire est l'un des outils de travail essentiel du chercheur qui se préoccupe de ses droit de propriété intellectuelle. Il constitue une "main courante" permettant de dater les nouvelles idées, les résultats expérimentaux et toute création intellectuelle. Son rôle est d'apporter la preuve de la date, de l'origine et de la nature d'une innovation.

Traditionnellement, le cahier de laboratoire se présente sous la forme d'un registre relié, dont les pages sont remplies de façon manuscrite, datées et signées par l'opérateur et contresignées par un témoin. Les cahiers de laboratoires traditionnels ne permettent pas le report d'information à partir d'une imprimante.

Un nouveau type de cahier de laboratoire a été mis au point, sur la base de feuilles détachables permettant le report à partir d'une imprimante. Pour garantir l'absence de substitution de feuilles, un hologramme transparent scelle et authentifie le numéro de la page et du cahier. L'utilisation par le chercheur s'en trouve facilité, sans que la sécurité juridique ne soit affectée. Toujours avec l'objectif de faciliter le travail des chercheurs, l'élaboration d'un cahier de laboratoire numérique est à l'étude pour l'avenir.

Le cahier de laboratoire a aussi un but juridique :

il doit permettre de prouver de manière incontestable qu'à une date certaine, l'opérateur disposait des informations qui y sont reportées. Un minimum de formalisme est donc requis.

Une telle preuve produit des effets juridiques :

- pour poursuivre l'exploitation industrielle du produit ou procédé fondé sur l'idée telle qu'elle est exposée dans le cahier de laboratoire même si un tiers a déposé une demande de brevet, à condition bien sur que cette demande de brevet soit déposée postérieurement à la date d'inscription de l'idée dans le cahier de laboratoire (droit de possession antérieure),

- pour obtenir une situation de leader dans le cas d'une procédure d'interférence aux Etats-Unis,

- pour démontrer l'origine d'une idée dans le cas de coopérations techniques ou industrielles,

- pour déterminer la titularité des droits en cas de non-respect d'accord de confidentialité.

Ce qu'il faut noter dans un cahier de laboratoire :

- des informations relatives à un nouveau produit ou dispositif,

- des informations relatives à un procédé de fabrication,

- des éléments préparatoires à la conception d'un programme d'ordinateur,

- des schémas électroniques,

- des résultats expérimentaux....

Les effets juridiques ne se produisent que pour les informations effectivement transcrites dans le cahier de laboratoire. Les descriptifs doivent donc être détaillés pour exposer toutes les variantes envisageables. Toutefois, les informations banales et indiscutablement connues de l'homme de métier peuvent ne pas être mentionnées.

Lors de la Transcription des notes dans le cahier de laboratoire il est impératif :

- que l'opérateur signe immédiatement la page nouvellement remplie,

- que les passages barrés ou modifiés soient complétés par la date de la modification et la signature de l'opérateur dans la marge droite,

- que les pages remplies soient régulièrement contresignées et datées par un témoin,

- que les parties vides des pages soient clairement barrées,

- que le sommaire soit renseigné au jour le jour.

QUESTIONS FRÉQUEMMENT POSÉES SUR LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE

A quoi sert un brevet ?

Un brevet constitue un titre de Propriété Industrielle permettant de recourir à l'ordre judiciaire si un tiers enfreint le monopole reconnu au breveté.

Un brevet permet :

- d'interdire à un tiers de fabriquer ou de commercialiser, dans le ou les pays dans lesquels l'invention est brevetée, le produit défini dans les "revendications" du brevet, ou de mettre en oeuvre le procédé breveté, ou d'exploiter le produit directement issu de ce procédé,

- d'organiser l'exploitation de l'innovation brevetée par des partenaires, dans le cadre de licences, et d'en tirer un profit financier,

- de capitaliser le fruit des travaux de recherche, en vue d'une valorisation

- d'identifier le patrimoine intellectuel de la société avant l'engagement d'un programme de coopération, ou afin de délimiter le territoire technologique de l'entreprise par rapport à celui des concurrents.

Il a aussi un rôle d'intimidation et permet de conserver une avance commerciale, même si la validité du brevet est douteuse.

La durée de la protection est de 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande de brevet. Cette durée a été harmonisée, y compris pour les brevets américains (17 ans à compter de la délivrance autrefois).

Qu'est ce qui est brevetable ?

Tout produit (appareil, composé chimique ou biologique, circuit électronique, médicament....), procédé ou application nouvelle d'un produit connu est brevetable, à condition :

- qu'il soit nouveau : toute divulgation à une personne non tenue à la confidentialité détruit la nouveauté et entraîne la nullité du brevet qui serait déposé après cette divulgation. En particulier, une présentation dans un colloque ou un salon, à un visiteur, client ou sous-traitant non tenu à confidentialité ou un article scientifique publié avant le dépôt de la demande de brevet constitue une divulgation,

- qu'il soit inventif : pour être brevetable, il faut encore que l'invention ne découle pas de manière évidente des connaissances moyennes de l'homme de métier. Toutefois, l'invention ne doit pas relever du Prix NOBEL pour être considérée comme brevetable.

D'autres critères sont plus anecdotiques (possibilité d'une application industrielle, conformité aux bonnes moeurs...)

Il existe par ailleurs certaines exceptions catégorielles à la brevetabilité :

- Présentation d'informations (par exemple une fiche d'information),

- Méthodes commerciales, financières ou chirurgicales (mais les instruments pour mettre en oeuvre cette méthode sont brevetables),

- Créations esthétiques (si l'innovation porte exclusivement sur le "design"),

*Programmes d'ordinateurs (toutefois, dès que le programme produit un effet technique inventif, un brevet peut être envisagé : procédé de traitement d'images, protocole de communication, programme pour l'analyse ou le traitement de signaux numériques...),

- Races animales et obtentions végétales (mais les micro-organismes et inventions dans le domaine de la microbiologie sont brevetables).

A quel moment faut-il déposer une demande de brevet ?

Il s'agit d'une question essentielle dans la stratégie de protection de l'innovation. Une demande déposée trop tôt peut être insuffisante pour englober toutes les variantes et être facilement contournable. De plus, les échéances ayant des conséquences financières lourdes interviendront bien avant l'exploitation commerciale effective du produit correspondant au brevet. Une demande déposée tardivement peut être antériorisée par une autre demande déposée par une équipe ou un inventeur concurrent.

La réponse dépend des enjeux économiques liés à l'invention, de l'environnement concurrentiel, des moyens financiers du déposant et du temps nécessaire au développement industriel du produit.

A qui appartiendra le brevet ?

En France, la loi a organisé un régime des inventions de salarié. Les inventions réalisées par un salarié dans le cadre d'une mission inventive appartiennent à l'employeur. Ce dernier a la charge de prévoir une rémunération supplémentaire dont les montants et modalités sont laissés à l'initiative de l'employeur ou de la convention collective dont il dépend.

Les inventions considérés comme hors mission appartiennent au salarié qui a néanmoins l'obligation de notifier l'invention immédiatement à l'employeur. En cas de divergence sur la nature de l'invention, les parties peuvent saisir la Commission Nationale des Inventions de Salariés.

A qui appartient le résultat d'une étude ?

Dans le cas où une société confie à un tiers une étude, les inventions réalisées dans le cadre de cette étude appartiennent au commanditaire, sauf dispositions contractuelles particulières. Par contre, il est recommandé de citer comme "inventeur" la ou les personnes physiques ayant effectivement réalisé l'invention.

Il est toutefois de loin préférable de définir la propriété des résultats avant l'engagement d'une étude ou d'une coopération. Cette question donne souvent lieu à des litiges où chaque partie pense avoir agi de bonne foi.

A qui appartiennent les résultats lors d'une coopération ?

Les principes généraux restent valables en l'absence de dispositions contractuelles : l'invention appartient à celui qui l'a réalisée. Toutefois, dans le cadre de programmes de coopération, les échanges d'informations sont importants et rendent parfois difficile la recherche de la réelle paternité d'une invention. Un minimum de formalisme permet généralement d'éviter ces situations conflictuelles :

- Etat des lieux des savoir-faire respectifs avant l'engagement de la coopération (les cahiers de laboratoire facilitent la réalisation de ces états des lieux),

- Dépôt éventuel de demande de brevets sur les résultats suffisamment matures avant l'engagement de la coopération,

- Confirmation des échanges d'informations par un compte rendu écrit, portant la mention "CONFIDENTIEL", la mention de l'émetteur de l'information, de la date de la transmission, accompagné d'un bordereau de transmission signé par le récepissaire,

- Organisation contractuelle précise de la propriété et de l'exploitation des résultats.

La détention d'un brevet garantit-elle la liberté d'exploitation ?

Non, on peut détenir un brevet tout en étant contrefacteur d'un brevet plus ancien. Le brevet second est parfois appelé "brevet de perfectionnement". Un adage veut que "perfectionner, c'est contrefaire".

Est-ce que les informations décrites dans mon brevet seront immédiatement accessibles aux tiers ?

Dans la plupart des pays, la publication de la demande de brevet intervient 18 mois après son dépôt. Jusqu'à la publication, le contenu, et même l'existence de la demande, est secrète. La demande peut être retirée jusqu'à quelques semaines avant la publication pour éviter la publication de son contenu.

Après la publication, n'importe qui pourra accéder au texte de la demande. Cette publication constitue d'ailleurs la contrepartie de la situation de monopole temporaire reconnu par la Société au breveté.

Qu'arrive-t-il lorsque deux personnes ont eu simultanément la même idée ?

Dans la plupart des pays, excepté les Etats-Unis, le droit à l'invention appartient au premier déposant, c'est à dire au premier qui a accompli la démarche consistant à déposer une demande de brevet auprès d'un Office des Brevets. Cette solution est peut-être injuste dans certain cas, mais présente le mérite de la clarté

Une enveloppe SOLEAU peut-elle remplacer un brevet ?

L'enveloppe SOLEAU fait partie des grands mythes français... Elle constitue un moyen de preuve du contenu et de la date d'un document, dont le volume est limité à 4 pages.

Il s'agit d'un moyen de preuve au même titre que le cahier de laboratoire.

Une telle preuve permet de se prévaloir d'un droit de possession antérieure. Ce droit constitue une exception au monopole du breveté. Une personne pouvant prouver qu'elle a conçu une invention antérieurement à la date de dépôt d'une demande de brevet tierce peut exploiter personnellement cette invention telle qu'elle l'a décrite dans le document dans lequel elle a consigné son invention, nonobstant l'existence d'un brevet détenu par un tiers. Le cahier de laboratoire constitue un excellent moyen pour préserver la possibilité d'exploiter un jour une innovation que l'on a pas jugée utile de breveter ou de publier.

Combien coûte le dépôt d'une demande de brevet ?

En France, les taxes officielles s'élèvent à environ 5000 Francs, et les honoraires d'un conseil en Propriété Industrielle pour la rédaction de la demande et la prise en charge des procédures administratives entre 5000 et 15000 Francs H.T., suivant la complexité du domaine, la qualité des informations remises par l'inventeur, etc.

Un budget de l'ordre de 8000 Francs H.T. doit être prévu jusqu'à la délivrance qui intervient généralement au bout de 2 à 3 ans. Par ailleurs, chaque année, une taxe de maintien en vigueur de quelques centaines de francs doit être payée.

Pour un brevet européen, le budget pour le dépôt est de l'ordre de 25000 Francs, de l'ordre de 15000 Francs pour les procédures d'examen et au moment de la délivrance, un budget supplémentaire de l'ordre de 9000 Francs par pays doit être envisagé (notamment frais de traduction et taxes nationales).

Pour un brevet américain, le budget pour le dépôt est de l'ordre de 28000 Francs, de l'ordre de 30000 Francs pour les procédures d'examen et au moment de la délivrance, un budget supplémentaire de l'ordre de 9000 Francs.

Pour un brevet japonais, le budget pour le dépôt est de l'ordre de 40000 Francs, de l'ordre de 30000 Francs pour les procédures d'examen et au moment de la délivrance, un budget supplémentaire de l'ordre de 9000 Francs.