Avril 1999 - n°37

La Chromatographie de Partage Centrifuge (CPC) : un nouvel outil au service de la séparation de molécules

La chromatographie de partage centrifuge (CPC) est une technique de séparation liquide-liquide. Ancienne par son principe, la CPC a connu ces dernières années un important essor technologique qui offre désormais aux chromatographistes une alternative intéressante aux méthodes de séparation classiques.

Principe

Comparable à d'autres techniques de chromatographie, la CPC s'en distingue principalement par l'absence de support solide au niveau de la colonne. En effet, quelle que soit la configuration de cette colonne -on distingue des appareils à disques et des appareils à bobines- la CPC n'utilise pas de support solide. Le principe de séparation repose sur le partage de solutés entre deux phases liquides non miscibles. L'une de ces phases dite stationnaire est maintenue dans la colonne chromatographique grâce à un champ de forces centrifuges puissant alors que l'autre, mobile, percole à travers.

Dans le cas des appareils à double bobine comme le Kromaton III (figure ci-dessous), la colonne est un tube de PTFE enroulé en couches multiples autour d'un axe de rotation. Cet enroulement constitue la bobine. Chaque bobine est animée d'un mouvement de rotation autour de son axe propre et tourne également autour d'un axe de révolution central. Ce mouvement conjugué (rotation/révolution) génère un champ de forces centrifuge radial puissant permettant de maintenir la phase stationnaire dans la colonne chromatographique. En outre, chaque bobine comporte deux colonnes de volume respectivement 200 mL et 1 L. Cette particularité offre au chromatographiste plusieurs volumes de colonne variant entre 200 mL et 2,4 L. Il est ainsi possible de réaliser la mise au point de méthodes à l'échelle analytique (200 mL) et de réaliser un changement d'échelle sur le même chromatographe pour effectuer des séparations préparatives sur une colonne de 2,4 L.

Choix des solvants

Le choix des solvants est l'étape cruciale pour la réussite d'une séparation par CPC. Une comparaison peut d'ailleurs être établie entre la CLHP et la CPC. Dans les deux cas, le choix d'un couple colonne-éluant (CLHP) ou d'un système de solvant (CPC) relève du même exercice et se caractérise par les mêmes implications quant au succès de la séparation.

Un grand nombre de systèmes biphasiques ont été décrits dans la littérature scientifique et sont désormais utilisables. Ils sont constitués dans leur grande majorité de l'assemblage de trois solvants. Cependant certaines combinaisons résultent du mélange de quatre solvants ou plus. La réussite d'une séparation réside en grande partie dans le choix du système de solvants. Celui-ci doit être adapté, par modifications des proportions des solvants, aux propriétés intrinsèques de l'échantillon à traiter et en particulier à celles de la molécule à purifier. La solubilité de l'échantillon, sa charge, sa capacité à former des complexes ou à précipiter ainsi que la polarité des solvants sont des critères primordiaux et influent sur le choix du système et de la combinaison définitive.

Avantages

L'absence de support solide confère à la CPC de nombreux avantages comme une capacité de charge importante, un entretien de la colonne négligeable, l'absence de perte d'échantillon, une possibilité d'utiliser tous types de systèmes de solvants procurant ainsi un large champ d'applications. La consommation en solvants est par ailleurs beaucoup moins importante qu'avec d'autres techniques chromatographiques. Ces différents avantages réduisent notablement le coût des séparations et améliore la productivité.

Modes d'élution

Il existe différents modes d'élution de la phase mobile en CPC. Classiquement la phase mobile peut indifféremment être la phase supérieure ou inférieure d'un système-solvant biphasique.

L'élution en mode double (dual mode) est une particularité intéressante de la CPC. Son principe repose sur la possibilité d'alterner les phases stationnaire et mobile en cours de séparation. Il est ainsi possible de rendre mobile la phase stationnaire et inversement de rendre stationnaire la phase mobile. Cette propriété permet de séparer finement des composés de structure très proche.

L'élution graduée se traduit par la réalisation de gradients d'élution lors de l'utilisation de certains systèmes biphasiques. La contrainte majeure de ce mode d'élution est que la composition de la phase stationnaire ne doit pas varier alors que celle de la phase mobile évolue.

La chromatographie de déplacement (pH zone refining) est bien adaptée à la séparation des molécules ionisables. Ce type de développement axé exclusivement sur la séparation des composés acides ou basiques, met en oeuvre un reteneur basique (ou acide) et un déplaceur acide (ou basique), introduits en faibles concentrations, respectivement dans la phase stationnaire et la phase mobile. L'action conjuguée du reteneur, du déplaceur, des coefficients de partage, du système de solvants et de multiples transferts entre les deux phases, suivant leur acidité et leur polarité, permet de bonnes séparations selon l'acidité et l'hydrophobicité des composés.

Applications

La séparation de composés par CPC a fait l'objet de nombreux travaux. L'absence de spécificité des colonnes chromatographiques a ainsi permis la purification d'une très large gamme de composés tant organiques qu'inorganiques. Le tableau ci-dessous regroupe quelques exemples de substances naturelles purifiées, relevés dans la littérature scientifique. La purification de composés à activité biologique issus de plantes terrestres supérieures a longtemps représenté la grande majorité des travaux publiés. Tout au moins les molécules purifiées pouvaient être classées dans une gamme de "polarité" assez proche. Depuis quelques années, les travaux se sont ouverts à de nouveaux champs d'applications comme les peptides, les protéines, les hormones ainsi que les composés inorganiques. Et plus récemment, certaines équipes se sont orientées vers l'utilisation de la technologie CPC en tant que réacteur enzymatique ou chimique.

Quelques exemples de développements

La CPC suscite un vif intérêt tant dans les centres de recherche industriels que parmi les laboratoires universitaires. L'Institut Français de Recherche et d'Exploitation de la Mer IFREMER travaille ainsi depuis plusieurs années à la purification de molécules marines par CPC. De même, le centre technique ID MER à Lorient a récemment purifié par cette technique un actif marin particulièrement intéressant.

Des recherches plus théoriques sont actuellement développées en collaboration avec l'équipe du Pr Berthod du laboratoire des Sciences Analytiques de l'Université de Lyon (Une partie de ces travaux a du reste été présentée durant le congrès Lyonnais SEP 99).

Hors de l'Hexagone, la société Novartis à Bâle s'est équipée il y a quelques mois d'un chromatographe CPC. L'Université de Gent en Belgique (en collaboration avec la firme Tibotec) a également investi dans cette technologie. De nouvelles collaborations industrielles sont attendues prochainement.

Conclusion

La CPC est donc un nouvel outil dans le large éventail des technologies chromatographiques. Bien que dotée d'un fort potentiel, cette technique est encore mal connue. Cependant, le nombre croissant des travaux publiés associé à des appareils désormais accessibles à l'ensemble des chromatographistes devrait permettre l'essor de cette technologie.