Février 2001 - n°55

Dioxines dans l'environnement - Quels risques pour la Santé?

Rédaction du dossier présenté assuré par le pôle Presse du Département de l'information scientifique et de la communication de L'Inserm.

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En octobre 2000, était publié par l'INSERM le rapport d'une expertise collective, intitulé : "Dioxines dans l'environnement. Quels risques pour la Santé?"

Les dioxines ont, en effet, suscité ces dernières années de nombreuses questions quant à leur dangerosité pour la santé. A la demande de la Direction générale de la Santé et du Ministère de l'Environnement, l'INSERM a donc conduit une expertise collective sur le sujet ; 15 experts, scientifiques et médecins, ont ainsi été réunis pour répondre à ces interrogations à partir de l'analyse de la littérature scientifique et de la prise en considération des données récentes d'exposition aux dioxines.

Gros plan sur les dioxines et les principales recommandations issues de cette expertise.

Les dioxines : 210 composés congénères classés en deux familles

Les dioxines font partie de la classe des hydrocarbures aromatiques polycycliques halogénés (HAPH).

Deux familles de dioxines, mises en évidence au début des années 80, ont suscité un intérêt particulier du point de vue de leur toxicité : les polychlorodibenzodioxines (PCDD) et les polychlorodibenzofuranes (PCDF) qui diffèrent par leur nombre d'atomes d'oxygène (2 dans le cas des PCDD, un seul pour les PCDF).

Ce sont des molécules peu volatiles, peu solubles dans l'eau, mais solubles dans les matières grasses. Leurs propriétés toxiques dépendent étroitement du nombre et de la position des atomes de chlore présents.

Des 210 PCDD et PCDF qui existent dans l'environnement - appelés congénères -, 17 molécules font l'objet d'une bioaccumulation intense dans les organismes vivants. Les composés qui comportent 4 atomes de chlore sont considérés comme les plus toxiques.

Soulignons que le produit appelé communément la dioxine (au singulier) désigne la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-para-dioxine (2,3,7,8-TCDD). Elle est la PCDD la plus toxique et constitue le congénère de référence pour l'évaluation du potentiel toxique des autres composés.

Propriétés toxiques des dioxines et évaluation dU risque

Les dioxines ont fait l'objet d'intenses recherches pour étudier leur toxicité au cours des dernières années.

' La toxicité des PCDD et des PCDF a été démontrée expérimentalement sur de nombreuses espèces animales, mais la plupart des études de toxicologie ont été réalisées avec la 2,3,7,8-TCDD.

Les effets toxiques observés varient fortement en fonction de l'espèce et de la souche, mais aussi du sexe, de l'âge et de la voie d'administration.

' En ce qui concerne l'Homme, le suivi épidémiologique des populations exposées par le passé (à des niveaux 100 à 1000 fois plus élevés que la population générale d'aujourd'hui) constitue également une source d'information sur les effets toxiques des dioxines.

C'est à partir de ces données expérimentales et épidémiologiques qu'une évaluation du risque peut être réalisée. On distingue actuellement deux approches de l'évaluation des risques vis-à-vis des dioxines en cas d'exposition chronique à faibles doses :

- d'un côté, le modèle déterministe selon lequel les effets nocifs ne sont présents qu'à partir d'une certaine dose seuil ;

- de l'autre, le modèle stochastique qui admet qu'il n'existe pas de dose, si faible soit-elle, à risque nul.

En ce qui concerne le cancer, l'OMS (1998) retient le modèle déterministe et conclut qu'aux doses d'exposition quotidiennes, le risque de survenue de cancer est nul.

L'US EPA (l'agence américaine de protection de l'environnement) propose un modèle stochastique : par une série de modélisations prenant en considération les données animales et épidémiologiques, elle calcule un excès de risque unitaire vie-entière (d'une durée de 70 ans par convention) de l'ordre de 10-2 à 10-3 pour une exposition de 1pg TEQ/kg/j.

Les dioxines dans l'environnement

Les dioxines sont produites naturellement au cours de processus biologiques, chimiques et photochimiques. La part de ces sources naturelles reste difficile à évaluer et des recherches sont en cours.

On admet que la majorité des émissions de dioxines résulte aujourd'hui des activités humaines liées au secteur de la métallurgie-sidérurgie et à l'incinération industrielle et domestique des déchets ménagers. Cependant, des sources diffuses (combustion du bois par exemple) demeurent encore mal connues.

Notons qu'en France, les émissions industrielles ont diminué de 50 % entre 1997 et 1999, grâce à l'amélioration des procédés et aux réglementations en vigueur (norme européenne de 0,1 ng/m3 pour les fumées d'incinérateur).

Néanmoins, les sols et les sédiments marins et aquatiques contaminés par le passé représentent aujourd'hui des réservoirs de dioxines susceptibles d'être transférées dans la chaîne alimentaire.

L'alimentation, voie majeure de contamination pour l'Homme

L'exposition des populations aux dioxines se fait donc essentiellement (à 95 %) par voie alimentaire.

En France, d'après les données récentes de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), la valeur médiane de l'exposition par l'alimentation de la population adulte est estimée à environ 1,3 pg TEQ/Kg/jour, avec pour 95 % de la population des valeurs de concentrations inférieures à 2,6 pg TEQ/kg/jour.

Selon la nomenclature 1997 de l'OMS, qui prend en compte dans le calcul du TEQ la concentration en certains PCB (polychlorobiphényles), cette valeur médiane d'exposition serait plutôt de 2 pg TEQ/kg/jour.

Ces taux sont compatibles avec la DJA recommandée par l'OMS (entre 1 et 4 pg TEQ/kg de poids corporel/jour).

En France, les produits d'origine bovine (lait et dérivés, viandes et abats) contribuent à environ 50 % des apports quotidiens en dioxines chez l'Homme ; les produits de la mer (poissons, crustacés, coquillages) intervenant pour 26,2 % dans la dose absorbée.

En conséquence, les experts engagent les pouvoirs publics à maintenir les plans de surveillance de la chaîne alimentaire, en portant leur attention sur ces vecteurs alimentaires.

Les principales recommandations issues de l'expertise collective menée par l'INSERM

Etant donné le mode de transfert des dioxines le long de la chaîne alimentaire, le groupe d'experts recommande une surveillance de l'alimentation animale et un renforcement des contrôles de certification des sols.

Plus précisément, ces recommandations préconisent de :

' Poursuivre la réduction des sources pour diminuer la contamination alimentaire

La contamination des sols se fait par dépôt des particules atmosphériques. Des concentrations variables sont notées selon les régions françaises (entre 0,02 et 1 pg TEQ/g de sol en zones rurales ; de 0,2 à 17 pg TEQ/g en zones urbaines, et entre 20 et 60 pg TEQ/g en zones industrielles).

Les bovins en pâture sont exposés aux dioxines par l'ingestion d'herbe ou de foin contaminés. Au cours de la lactation, les dioxines -fixées dans les réserves adipeuses- sont mobilisées et se retrouvent en fin de chaîne alimentaire dans le lait.

Afin de réduire les niveaux de contamination en dioxines, il est donc nécessaire de surveiller les sources connues d'émissions de dioxines et d'identifier les sources et réservoirs potentiels de polluants. Est ainsi conseillée la réalisation d'un état des lieux de la contamination de l'environnement en France, en particulier par la reconstitution historique du milieu ambiant (inventaire des sols et campagnes d'échantillonnage à partir d'herbiers ou de sédiments).

' Décrire précisément le niveau d'imprégnation de la population française

Le suivi de diverses populations au cours des deux dernières décennies a clairement mis en évidence une diminution importante (de près de 50 %) du degré moyen d'imprégnation de la population générale en Europe. En France, une étude parue en juin 2000, portant sur 244 échantillons de lait maternel prélevés sur l'ensemble du territoire, a retenu un taux moyen de 16,5 pg TEQ/g matières grasses, comparable à celui des autres pays européens.

Aujourd'hui, ces données constituent une base de travail indispensable au suivi de l'imprégnation des populations. Toutefois, si le lait maternel est facile à prélever, il ne permet d'apprécier l'exposition que d'une partie de la population (les femmes allaitantes). Ainsi, le groupe d'experts recommande :

- d'effectuer une étude pilote prévoyant des dosages sanguins sur un échantillon d'hommes et de femmes âgés de 18 à 80 ans.

- d'évaluer par questionnaire alimentaire l'imprégnation de certaines populations potentiellement plus exposées en raison d'une alimentation particulière (consommation élevée de poissons et produits de la mer, par exemple).

- de porter une attention particulière à la population des nouveaux-nés et des nourissons, en approfondissant les connaissances sur leur niveau d'exposition en dioxines et autres polluants.

' Evaluer, prévenir les risques et intervenir en cas de surexposition aigüe

Dans le but de prévenir ce type de surexposition, les experts incitent à faire un état des lieux de toutes les sources potentielles de dioxines (stocks de PCB, par exemple) et à supprimer ou sécuriser ces sources.

Parallèlement, le CSHPF et le Comité d'experts de l'Afssa réfléchissent à la définition de niveaux de contamination, ou valeurs-limites, pour les aliments autres que le lait qui, en cas de contamination, devraient être retirés du marché.

Le groupe d'experts recommande, également, que les mesures prises soient adaptées à l'importance de l'exposition ; il préconise à la fois d'informer populations et personnels de santé, et d'organiser l'identification et le suivi des populations surexposées. Les experts insistent, dans cette optique, sur la nécessité d'utiliser des modèles de toxicocinétique pour déterminer la durée pendant laquelle il faudra suivre les sujets contaminés pour que leur taux de dioxines revienne à la normale et évaluer l'impact d'une telle exposition sur la charge corporelle vie entière.

' Mener des recherches pour mieux comprendre les mécanismes moléculaires d'action des dioxines

La compréhension des mécanismes d'action des dioxines, au niveau cellulaire, doit également contribuer à une meilleure définition du risque et aider, par conséquent, à la mise en place des politiques publiques de sa gestion.

L'implication du récepteur Ah dans le médiation de la plupart des effets toxiques de la dioxine est acquise depuis plusieurs années. Mais, il apparaît que l'activation par la dioxine de ce récepteur n'est pas suffisante pour expliquer, à elle seule, l'ensemble des effets toxiques et ne permet pas de comprendre les disparités de sensibilité à la dioxine entre différentes espèces.

Parmi les mécanismes de la toxicité des dioxines les plus étudiés : le déclenchement d'un stress oxydant résulte de l'induction d'enzymes (appelées cytochromes P450) impliquées dans le métabolisme de nombreux xénobiotiques et de l'oestradiol... une voie qui peut conduire, dans certains cas, à la formation de métabolites potentiellement génotoxiques et qui pourrait expliquer l'existence d'une susceptibilité différente selon les individus.

Le groupe d'experts recommande donc d'étayer, sur le plan moléculaire, l'origine fonctionnelle des observations cliniques et épidémiologiques des effets des dioxines. De même, à propos de la variabilité inter-espèces et interindividuelle de ces effets chez l'Homme, afin d'aboutir à une meilleure adéquation entre les mécanismes démontrés et le choix de modèles en évaluation du risque...

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l'expertise collective publiée aux Editions Inserm sous le titre : "Dioxines dans l'environnement : quels risques pour la santé?"

Editions Inserm, octobre 2000. (Tel : 01.44.23.60.82 / E-mail : durrande@tolbiac.inserm.fr)

TEF et TEQ : des outils au service de l'évaluation du potentiel toxique des dioxines

Le Toxic equivalent factor (TEF) est utilisé pour donner une valeur toxicologique à un mélange de composés chimiquement proches. Un TEF est attribué à chaque congénère de dioxines par rapport au TEF de la 2,3,7,8-TCDD qui est fixé à 1.

TEF = potentialité toxique d'un congénère/potentialité toxique de la 2,3,7,8-TCDD.

L'International toxic equivalent quantity (I-TEQ) constitue la somme des TEF multipliés par la concentration des différents congénères présents dans un milieu (par exemple : fumées, sols, aliments).

Il évalue la quantité de 2,3,7,8-TCDD nécessaire pour produire le même effet toxique que le congénère testé. Par exemple, 30 ng d'un congénère ayant un TEF de 0,1 ont le même effet que 3 ng de 2,3,7,8-TCDD.

Deux méthodes différentes de dosage des dioxines

Le dosage analytique est la méthode de référence. Il utilise la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie haute résolution. Le résultat de l'analyse est donné sous forme d'un profil chromatographique des différents congénères présents dans l'échantillon, et permet d'apprécier à la fois la quantité totale de dioxines et la proportion de chaque congénère. Les progrès récents de la chimie analytique séparative, qui contribuent à améliorer les phases d'extraction et de purification des dioxines, sont susceptibles de rendre ce type de dosage moins coûteux.

Le dosage biologique est fondé sur l'estimation de la fixation des dioxines au récepteur intracellulaire Ah (arhylhydrocarbon). Cette fixation entraîne l'expression d'un gène rapporteur dont on peut mesurer le produit. Le résultat, qui dépend de la nature des congénères et de leur proportion dans l'échantillon, permet d'évaluer la toxicité de ce dernier. Encore peu répandue, cette méthode, peu coûteuse, devrait se développer dans les prochaines années, en particulier dans la surveillance de la contamination des milieux.