Juin 2001 n°59

La nouvelle réalité pour la commercialisation de l’instrumentation et des services

par Pierre CAUDY , Blossom Partners SAS - www.blossom-partners.fr

Pierre CAUDY , Dr ès Sciences, a développé et dirigé pendant une vingtaine d’années des filiales de sociétés d’instrumentation en France avant de créer sa propre société de consultants (Recrutement et formation aux techniques de vente ) Blossom Partners SAS. Fervent défenseur du tout commercial.

 

Aujourd’hui, trouver un client devient une mission difficile car les données ont évolué d’une façon incroyable depuis ces dix dernières années, en matière de disponibilité, de travail effectif, d’efficacité et de gestion du temps . Les sociétés clientes ou commerciales se sont adaptées aux nouvelles donnes d’une manière empirique et souvent sans réaliser que leurs mutations internes ne correspondaient pas à la réalité nécessaire pour optimiser les résultats ou les attentes de leur entreprise ou des autres sociétés.

 

Les nouvelles donnes

- Au niveau industriel, elles proviennent des directives européennes, de l’harmonisation des règles et applications des contrôles qualité ; Ainsi la qualification des instruments amène obligatoirement les sociétés d’instrumentation à former des spécialistes, qui doivent posséder une palette d’appareils certifiés, utilisés avec le logiciel approprié pour contrôler en séquence les différents modules du système d’analyse.

- Elles sont liées aux 35 heures, qui modifient le rapport client vendeur, mais également la vie des commerciaux .

Le rapport client vendeur se trouve directement aliéné par le fait que les vendeurs d’aujourd’hui ont des quotas doublés par rapport à ceux d’il y a vingt ans et des temps de contact moitié moindre avec leurs clients . Le client est en réunion le lundi matin, les responsables féminines souvent absentes le mercredi, et le vendredi après midi beaucoup ne travaillent plus . Dans ces conditions les commerciaux doivent opérer le reste du temps, loin des conditions offertes en 1980, avec la possibilité de prospection en usine dès 7 heures le matin pour terminer dans les facultés toujours accessibles jusqu’à des heures tardives le soir .

Aujourd’hui, les clients sont beaucoup moins facilement démarchés car, dès dix huit heures, les règles de sécurité s’appliquent, les digicodes entrent en action et interdisent toute activité commerciale sans rendez-vous . C’est l’adaptation aux nouvelles règles de sécurité, nécessaires mais passablement contraignantes .

Notre commercial se doit de s’organiser en rendez-vous, stricts, précis, rapides et surtout très organisés. Finie l’improvisation que tous pratiquaient il y a encore pas si longtemps .

Les approches nouvelles du marché

Pour le client, il y a aujourd’hui beaucoup moins de fournisseurs, suite aux rachats et fusions . Toute société peut être achetée, fusionnée, restructurée... combien ont disparu de ce fait ?

En 1980, il n’y avait pas moins de 40 sociétés commercialisant l’HPLC, une des techniques majeures qui évolue, s’adapte et croît . Aujourd’hui il en reste moins de dix .

On note l’Importance grandissante des acheteurs, qui ne pourront malheureusement pas connaître tous les produits ou services qu’ils négocient .Dans ce domaine leur rôle consiste à obtenir les meilleures conditions de prix et de termes de paiement .

Pour les termes de paiement, nous restons d’ailleurs atypiques, avec des termes hors normes, qui relèvent plus de la mauvaise gestion que de la nécessité - la France se distingue sur ce point parmi les pays évolués .

Combien de petites sociétés de services ou d’instrumentation souffrent ou disparaissent de par l’action conjuguée des remises associées à des paiements impossibles ?

Il est d’ailleurs paradoxal de constater que parmi les plus mauvais payeurs, outre les organismes publics et para publics très exigeants quand eux doivent être payés ( EDF, GDF, Hôpitaux, CNRS etc…), les plus grosses structures industrielles pharmaceutiques , agro-alimentaires etc.. se distinguent également dans ce domaine .

Les restructurations

Beaucoup de changements structurels s’opèrent. Ainsi, les restructurations, achats ou fusions qui aboutissent uniquement à la disparition de grande marques et aux licenciements de nombreuses personnes. Aucune ne semble réellement réussir, du moins dans l’instrumentation, car les groupes qui, pour des raisons financières, pratiquaient la fameuse croissance externe, ont surtout pratiqué un court terme profitable avant de perdre beaucoup d’argent . Nous reviendrons sur ce point en fin d’article .

Combien de produits sont encore commercialisés aujourd’hui sans mémoire réelle au sein de l’entreprise, sans compétence au niveau des produits ? C’est un des résultats de ces changements .

Les fusions ne sont qu’une des composantes de ces changements structurels qui devaient à l’origine éliminer le ou les concurrents et assurer un retour sur investissement plus élevé .

Les données économiques

Toutes les évolutions envisagées dans les cerveaux des grands managers avaient pour but d’éliminer le concurrent pour imposer un prix de vente . Malheureusement ou heureusement, miracle du marché, rien n’a fonctionné comme prévu . Les marges n’ont cessé de diminuer . Les prix de vente semblent établis et baissent à chaque introduction de nouvelle génération . Les manufacturiers doivent fabriquer mieux et surtout moins cher . Pour cela, ils délocalisent et tentent de standardiser au maximum . Quant à la qualité, ils savent qu’un appareil fiable peut leur faire économiser jusqu’à 25% du prix de revient, c’est une raison de l’introduction du défaut zéro de Spectra-Physics, vers les années 86 .

Ces données économiques imposent également une restriction des degrés de liberté autorisés aux vendeurs. Dans le futur, les négociations pour les prix seront encore plus limitées . Ainsi le commercial, pour atteindre son quota, devra faire très attention aux remises, car chaque remise l’obligera à trouver une ou plusieurs affaires avec les difficultés signalées précédemment pour joindre et trouver les clients

En plus, les frais d’approche ont considérablement augmenté. Il n’est pas rare de constater que l’expédition d’un accessoire coûte aussi cher que l’accessoire lui-même, sans compter pour les importations les frais de douane, les TVA, les frais de changes, les assurances et frais de dossier des importateurs ou transporteurs . Pour s’en rendre compte, imaginons l’évolution du prix du gas-oil depuis vingt ans .

Enfin nous ne pouvons envisager la commercialisation sans aborder le commerce associé à la revente . Devant les difficultés économiques - diminution des marges, frais en hausse (charges sur salaires, frais d’approche etc..) - les manufacturiers ou fabricants ont tenté de réduire les marges accordées aux revendeurs. Le résultat est apparu rapidement : seuls ceux bien établis ou ceux vivant à l’économie, c’est à dire à faibles revenus, ont réussi à se maintenir . Les grosses structures évoluent mal, voire très mal, et seront amenées à disparaître, si elles ne restructurent pas. Aujourd’hui, avec 25 ou 30% de marge, il devient impossible de " bien vivre", surtout si vous souhaitez être présent par votre marketing ( salon, séminaires, publi-routage ….), par votre SAV ou si vous procédez à des démonstrations et souhaitez payer convenablement vos vendeurs .

Comment rentabiliser ?

Par le développement de l’approche commerciale de l’entreprise ou en introduisant le tout commercial, " c’est une équipe qui gagne " .

C’est en quelque sorte le concept que nous développons chez Blossom Partners autour des démarches d’intégration des techniciens et ingénieurs SAV dans l’enchaînement de l’acte de vente .

C’est ce même concept qui m’a permis de développer Spectra Physics Analytical, devenue première filiale en Europe et numéro deux en France dans le domaine de l’HPLC.

Pour ce faire, il est indispensable d’utiliser l’ensemble des forces disponibles au sein d’une même entreprise et de les former à utiliser leur énergie, leurs contacts clients pour optimiser le travail de tous . Ainsi la secrétaire par son amabilité, sa qualité d’accueil et sa sympathie apportera le contact initial, valorisant nécessaire pour donner une bonne image .

Les services supports, techniques et après vente, de par leur diligence et leur intelligence à obtenir des informations, seront les alliés indispensables du commercial par leur contribution à la prospection .

Aujourd’hui une grosse structure a en moyenne deux personnes aux services par vendeur, aussi leur rôle devient primordial pour combler en partie les défaillances terrain des vendeurs limités par le temps .

Par la diminution des frais

Réduction des territoires afin de limiter au maximum les temps de transport et surtout les dépenses inhérentes aux déplacements, cela se traduira :

- par la diminution de la puissance des véhicules utilisés (de toute façon avec les limitations de vitesse, le commercial doit être très prudent).

- par des salaires en fonction du nombre de commerciaux. Il faudra plus de gens sur la route pour bien couvrir le territoire national, d’où réduction des salaires, en conséquence des marges plus serrées et du temps de travail effectif. Par contre, cela développe le commerce de proximité et facilite les relations avec les clients .

Une autre possibilité est l’augmentation de la part variable du salaire, associée aux résultats ou à la marge brute avec le risque du quota qui augmente . Le salaire pourrait être fonction du résultat, quota élevé = salaire élevé et inversement .

Une autre option est la diminution des supports techniques et la limitation des services, dont la rentabilité est liée à leur bonne gestion .

Les manufacturiers ont cherché à maintenir leurs marges par la diminution des coûts de production .

Pour cela, ils ont délocalisé leur fabrication et souvent standardisé les productions ; Ainsi, au lieu d’une gamme avec trois modèles, vous avez maintenant une gamme avec un modèle, qui élargit ses possibilités par addition d’interfaces ou de modules. Ou encore l’utilisation de composants dont la qualité fluctue d’une année sur l’autre car les manufacturiers ont acheté leurs composants au " moins disant " quelque part dans le tiers monde .

La course effrénée au moins cher amène aujourd’hui à penser que beaucoup de sociétés n’évoluent plus. Le retour sur investissement et le profit gèrent la recherche et le développement, qui seront fonction du résultat net ... conséquence des masses d’argent issues des fonds de pension et qui exigent " two digits ", c’est à dire deux chiffres en terme de bénéfices .

Ainsi si les produits évoluent, les techniques réellement nouvelles et innovatrices demeurent limitées. Les sociétés cherchent à développer les marchés captifs, à travers les consommables et accessoires en associant à chaque instrument un " package " complet avec la maintenance . Cela est plus facile aujourd’hui, notamment en milieu pharmaceutique, où la qualification des instruments se fait obligatoirement tous les ans .

Les sociétés d’instrumentation s’orientent beaucoup vers la vente de la matière grise, - formation à la technique ou à l’utilisation du système, commercialisation de tel ou tel logiciel, prestations de services à la carte ou bien sous forme de contrats -. Ce type de vente présente l’avantage d’être très profitable ou très rentable dans la mesure où il n’y a pas de matériel .

Le e-business, formule attractive tout d’abord pour les acheteurs et sur des marchés peu ou pas techniques, (consommables, accessoires, petits matériels etc ..) se développe et intéressera rapidement les laboratoires de groupes organisés .

La concurrence dans ce domaine risque d’être dangereuse, par la bataille des prix, les risques de baisse de la qualité, et les protagonistes impliqués. Comment fera un petit fournisseur qui sera limité dans sa gamme pour répondre à un appel d’offres, même si ses produits sont très bons ?

A court terme, seules les grosses structures nationales devraient tirer leur épingle du jeu .

Enfin la rentabilité passe par la suppression des agences dont les coûts ne se justifient plus .

Pourquoi avoir une agence, quand on sait que les commerciaux et les techniciens n’y sont jamais ?

L’agence est un simple lieu de stockage onéreux , avec la plupart du temps - pour la protéger - une secrétaire dont le travail pourrait être assuré du siège social . Aujourd’hui, avec les moyens téléphoniques, les renvois, les téléphones portables... tout le monde peut joindre tout le monde rapidement.

Le travail à partir de chez soi se généralise et cette délocalisation permet des réductions importantes de dépenses . Finis les locations, taxe professionnelle locale, charges, stock intermédiaire, assurances etc… L’avantage à court terme est évident . Par contre, les employés sont totalement isolés, coupés des sources d’information, du relationnel et de la culture de l’entreprise, il est donc important de réunir régulièrement les différentes familles composant les services, pour qu’elles se connaissent .

En conclusion

En France, l’approche commerciale traditionnelle évolue vers l’abandon de cet esprit latin qui veut qu’il existe une relation client vendeur . Par souci de rentabilité, pour obtenir le meilleur prix, il faudra s’adapter à l’achat sur catalogue, à la comparaison sur papier, au e-business , à l’achat subjectif.

Notre société change, notre état d’esprit, nos façons, nos habitudes doivent s’adapter . Une démonstration d’une journée coûte entre 2000 et 2500 Fr, si l’on ne compte que les dépenses inhérentes au vendeur , et plus du triple si l’on considère les autres dépenses (appareil déprécié, consommables, documents, frais de structure etc..). Les sociétés clientes paient en moyenne à 70 jours . Qui peut survivre à de telles charges ?

Plus de deux mois de trésorerie, des impôts qui, eux , arrivent avec beaucoup de régularité avant que le client n’ait payé.... En Allemagne ou en Angleterre, les paiements se font à 30 ou 45 jours avec un grand respect pour le fournisseur.

Ces deux exemples montrent que nous avons encore beaucoup à faire pour améliorer notre commerce en réduisant les démonstrations à des appareils réellement valorisables et en incitant nos clients, surtout dans le domaine public ou dans les grosses structures industrielles, à respecter leurs fournisseurs .

Combien de sociétés d’instrumentation vont encore disparaître parce que nous ne pouvons plus joindre les clients et du fait de la diminution des marges beaucoup trop faibles ?

Cette situation ne répond plus aux attentes des investisseurs qui vont de ce fait s’orienter vers d’autres marchés plus attractifs .

Les croissances externes qui se sont développées des années 90 à ce jour se limitent, faute de sociétés à racheter, et surtout devant le triste bilan qui en ressort .

Actuellement, quelques gros groupes souvent généralistes demeurent, puis un ou deux groupes moyens, ensuite il y a un grand vide avant de trouver de petites sociétés souvent récentes .

La redistribution du marché a fait disparaître des sociétés innovatrices moyennes mais financièrement faibles, acquises par des groupes qui pensaient utiliser le savoir-faire de ces sociétés à leur profit . Aujourd’hui, elles vont réapparaître pour recréer un cycle d’innovations, se développer avant d’être rachetées à nouveau pour constituer un nouveau groupe. En Allemagne ou en Angleterre, on voit déjà poindre ces sociétés d’instrumentation .

L’Histoire est un éternel recommencement....