Novembre 2003 - n°82

Les nanotechnologies

ANVAR, Direction de la promotion de l’innovation

Les nanotechnologies, qui reposent sur la connaissance et la maîtrise de l’infiniment petit, constituent un enjeu majeur pour l’industrie de demain. Actuellement, la somme des connaissances et des savoirs accumulés depuis plus de 20 ans et la convergence de la chimie, de la physique et de la biologie ouvrent la voie à de nombreuses applications potentielles : de la microélectronique aux sciences du vivant en passant par les nanomatériaux. Si certains marchés semblent identifiés (les nanomatériaux et la technologie de l’information, par exemple), les perspectives de certains secteurs, comme la biologie et les matériaux avancés, sont plus spéculatives et d’importants efforts en recherche et de développement sont nécessaires.

Les applications potentielles

=> des nanomatériaux :

La connaissance et la maîtrise de la matière ont atteint l’échelle du nanomètre, d’où le développement des nanotechnologies. Dans le domaine des matériaux, ce savoir-faire passe par la fabrication de nanoparticules et de dépôts nanométriques par assemblage d’atomes qui leur confère des propriétés optiques, mécaniques et chimiques.
Ce qui est en train de changer, c’est la capacité d’observer, de comprendre, voire de contrôler très finement les mécanismes qui interviennent à l’échelle atomique et de produire des nanoparticules et des composants massifs nanostruturés. L’objectif est de rendre les matériaux plus " intelligents ", autrement dit capables de réagir à une sollicitation extérieure donnée ou à une commande par une modification de leurs propriétés.
Dans le cas d’une surface plutôt que d’un matériau massif, on parle alors de surfaces fonctionnalisées. Celles-ci ont de multiples applications, notamment dans le domaine biomédical (surface à propriétés thérapeutiques, par exemple).
De façon plus générale, la possibilité d’organiser des molécules à l’échelle nanométrique, ouvre un champ d’application important en cosmétique, biologie, pharmacie, agroalimentaire. Il est désormais possible de construire des matériaux capables de transporter ou d’encapsuler des molécules et ensuite les libérer dans des conditions bien contrôlées.
Les travaux de R&D portent principalement sur les nanoparticules. Celles-ci peuvent être utilisées en tant que telles, à l’exemple d’un catalyseur. Elles peuvent aussi être incorporées dans des peintures ou des vernis (pour modifier leurs propriétés optiques, mécaniques…), dans des produits cosmétiques (crèmes solaires filtrant les UV), dans les matrices organiques ou minérales.

Si le potentiel d’utilisation des nanomatériaux dans les objets de notre quotidien est très important, il existe cependant un certain nombre de verrous aussi bien d’ordre scientifique que technologique ou économique, qui nécessite des recherches. Dans le domaine des nanocéramiques, notamment, pour lesquelles on ne sait pas encore conserver à l’échelle du matériau les propriétés des nanopoudres qui les constituent, ou encore, pour la réalisation de nanotubes de carbone… Les nanotubes de carbone seraient alors utilisés pour leurs propriétés mécaniques (certains nanotubes pourraient être employés comme fibres dans les composites), mais aussi pour leurs propriétés électriques (possibilité d’obtenir un seuil de percolation permettant une bonne conductivité sans altérer les performances mécaniques)…

=> Transport et traitement de l’information

Aujourd’hui, l’industrie de la microélectronique repose sur la filière " silicium " qui permet de fabriquer des circuits intégrés. Les composants électroniques de base de plus en plus miniaturisés (transistors, diodes…) et les interconnections sont intégrés sur un même support... Cependant, afin d’anticiper les limites physiques de la microélectronique, les chercheurs et les industriels recherchent une alternative à la filière silicium. Parmi les voies envisagées, l’électronique moléculaire ouvre de grandes perspectives, encore futuristes, mais prometteuses.
Pour l’électronique moléculaire ? Son développement est un véritable défi, car la difficulté majeure réside dans le développement parallèle de la science (chimie, phénomènes physiques…), à l’échelle de l’atome ou de la molécule, et du procédé industriel.
Deux approches existent. La première, qui présente le potentiel le plus intéressant, repose sur l’idée qu’une molécule peut constituer à elle seule l’ensemble du circuit électrique. De ce fait, une molécule unique pourrait traiter et stocker l’information.
Dans la seconde approche, dite hybride, l’objectif est de fabriquer des composants électroniques moléculaires de base, puis de les connecter entre eux ainsi qu’aux fils électriques constituant le circuit. La principale difficulté de cette deuxième approche est le passage des composants aux circuits fonctionnels. Les lois de la physique classique ne s’appliquent plus et il faut passer du comportement collectif des électrons au comportement de l’électron qui, quasi-isolé, obéit aux lois de la physique quantique. Il ne suffit donc pas simplement d’extrapoler l’ingénierie de la filière silicium, en remplaçant les composants classiques par des molécules de même fonction, mais en mettant en œuvre de nouveaux types d’architecture de traitement de l’information.

=> Sciences du vivant et biotechnologies

Dans le domaine des sciences du vivant, plusieurs voies sont explorées, en particulier les biopuces, biocapteurs et nouveaux modes thérapeutiques (adaptation de médicaments aux patients…). Pour l’ensemble de ces secteurs, il s’agit avant tout d’être capable de maîtriser l’interface entre le monde du vivant et des composants, capteurs, supports.
Parmi les applications " bio-analytiques " les plus prometteuses, les biopuces sont devenues depuis quelques années un véritable enjeu économique. Leur évolution est à la fois conditionnée par les progrès de l’électronique et la miniaturisation des techniques d’hybridation. L’atout majeur de ces biopuces ? Leur capacité à déceler une molécule biologique dans un échantillon qui peut en contenir des millions, par affinité spécifique avec une sonde moléculaire fixée sur la puce. Ces supports miniaturisés d’analyse sont couplés à un lecteur et à un système de traitement de données bio-informatiques.

Rappelons que trois catégories de biopuces sont actuellement développées ou en développement :
Les puces ADN : les puces américaines, considérées comme les pionnières, sont des produits standards à haute densité pouvant comporter 10 000 sondes et plus sur une puce. A l’inverse, les produits français ont des formats limités à quelques dizaines ou centaines de sondes, caractérisées par un contenu à forte valeur ajoutée. Elles peuvent ainsi être conçues sur mesure pour un coût abordable (support plastique à partir de gènes ciblés par le client).

Les puces à protéines permettent de cribler des mélanges complexes de protéines pour des interactions particulières : ADN-protéine, protéine-protéine, antigène-anticorps, enzyme-substrat. Les puces à protéines sont notamment utilisées pour cribler des molécules d’intérêt thérapeutique, établir un pronostic et faire le suivi thérapeutique de maladies telles que le cancer.

Les labos-sur-puces représentent de véritables micro-labos intégrant des fonctions de pompage, mélange, séparation, détection… Dans le domaine biomédical, on cherche à analyser des nanolitres, voire des picolitres. Ces dispositifs microfluidiques pompent des solutions au travers des canaux de moins de 100 micromètres de diamètre et contrôlent le flux grâce à des valves nanométriques et des champs électriques intenses. L’objectif est de réaliser des " laboratoires sur puce " capables d’effectuer plusieurs tests chimiques dans différentes chambres de réaction, à partir d’une quantité très faible d’échantillon. Il faut donc maîtriser aussi bien les technologies de la microélectronique pour la réalisation des canaux que celles de la microfluidique pour la circulation de fluide dans les micro et nanocanaux.

Les financements

On assiste depuis plusieurs années à une forte augmentation des financements gouvernementaux accordés aux nanotechnologies, notamment aux Etats-Unis, au Japon et en Europe, pour un total de plus de 2 milliards de dollars dans le monde, en 2002.
Dans le cadre de la mise en place de l’espace européen de recherche, et plus précisément du 6ème Programme Cadre de Recherche et Développement, la Commission européenne a d’ailleurs désigné les nanotechnologies comme l’un des sept domaines prioritaires auxquels a été alloué un budget de 1,3 milliard d’euros. L’effort financier européen est ainsi multiplié par 5 avec le passage du 5ème au 6ème PCRD.

Quant à la France, même si elle ne semble pas en retard au niveau technologique par rapport aux Etats-Unis, le rapport publié le 21 janvier 2003 par l’Office parlementaire de choix scientifiques et techniques (OPECST), relève que l’effort français est " trop timide ". Afin de renforcer son implication dans la recherche, la France a donc décidé de mener une politique technologique volontariste. Ainsi Claudie HAIGNERE, ministre délégué à la Recherche et aux Nouvelles Technologies, a annoncé le 23 janvier 2003 qu’une enveloppe de 50 millions d’euros allait être consacrée cette année aux nanotechnologies. Une somme de 12 millions d’euros sera affectée à un programme de recherche fondamentale (nanosciences), 30 millions d’euros au développement de 4 grandes centrales de technologies et 8 millions d’euros à la diffusion vers les PME.

Concluons en soulignant que depuis la création, en 1989, du Réseau Micra et Nano Technologies (RMNT), subventionné par les ministères de la Recherche, de l’Industrie et par l’Anvar, plus de 119 projets ont été déposés et 51 ont été labellisés. Parmi ces derniers, 50% concernent les nanotechnologies (26 % concernent les nanostructures et nanomatériaux et 24 % les technologies nanométriques).

D’intéressants développements en perspective, d’autant plus que depuis quelques années, en parallèle de l’intérêt que portent les grands groupes industriels aux nanotechnologies, on assiste à l’émergence de plusieurs start-up fort prometteuses, issues des laboratoires de recherche académique.

A suivre…