Octobre 1997 - n°21

Le Laboratoire de Géochronologie et Géochimie de l'Université de Montpellier II

Un laboratoire de datation absolue et de traçage des matériaux naturels (roches, minéraux, eaux) et artificiels

Le Laboratoire de Géochronologie-Géochimie-Pétrologie Structurale de l'Université des Sciences de MontpellierII (UMR5567 CNRS) est dirigé par JoëlLancelot, Professeur à l'Université MontpellierII et Responsable du second cycle universitaire "Sciences de la terre et de l'environnement". Le laboratoire s'est formé en 1975 dans le but de mettre au point des méthodes de datation absolue des roches et des minéraux.

"Ces méthodes sont maintenant réalisées en routine dans le laboratoire et, au-delà de la simple datation, l'évolution de la science permet maintenant de tracer l'origine des roches et des minéraux et de suivre les transferts de matière dans les grands processus géologiques. Les applications de ces techniques aux études sur l'environnement sont notamment très prometteuses" explique JoëlLancelot.

La présence depuis1994 sur la Faculté des Sciences d'une sonde ionique financée par le CNRS, l'Université MontpellierII, le BRGM, l'INRA et l'ENSAM a élargi les possibilités d'analyses, "les utilisations isotopiques sont infinies" confirme le Directeur de l'UMR5567, co-responsable avec Jean-MarcLuck de ce service commun national.

La datation des roches et des minéraux

Les couples chronomètres

La datation repose sur l'analyse isotopique par spectrométrie de masse de couples chronomètres, le couple uranium/plomb par exemple. Les isotopes de l'uranium se désintègrent en isotopes de plomb et cette désintégration est fonction du temps, un minéral initialement riche en uranium et sans plomb va peu à peu s'appauvrir en l'un et s'enrichir en l'autre, il est alors possible de le dater précisément en dosant l'isotope "père" et l'isotope "fils". Plusieurs couples chronomètres sont connus et utilisables conjointement ou séparément, les géochimistes choisissent une méthode selon la situation rencontrée, "nous nous rendons systématiquement sur place pour prélever l'échantillon " précise Joël Lancelot "les échanges d'informations entre les géologues et les géochimistes sont très importants, être sur le terrain nous permet de bien cerner le problème et de choisir au mieux la méthode, le minéral et la quantité de roche à prélever".

Une préparation minutieuse de l'échantillon

"De nombreuses étapes précèdent le dosage des isotopes par spectrométrie de masse et les deux tiers du temps de l'analyse sont consacrés à la préparation de l'échantillon" explique JoëlLancelot "à partir d'un échantillon de roche de plusieurs centaines de grammes, nous isolons par exemple un cristal de zircon de 250micromètres pour y doser les traces d'uranium et de plomb, la préparation de l'échantillon est très délicate et les précautions à prendre -pour éviter toute contamination par l'air ambiant, la verrerie, les réactifs ou le manipulateur- sont évidemment très strictes". Broyage de la roche, séparation des minéraux, pesée (quelques centaines de microgrammes) du minéral (zircon, monazite, uraninite...), dissolution dans l'acide, séparation des éléments chronomètres sur colonnes de résine... toutes ces manipulations se font dans une salle blanche en légère surpression avec filtration de l'air pour préserver l'échantillon des poussières ambiantes (la concentration en plomb de l'air ambiant est notamment plus élevée que celle de l'échantillon!), les récipients utilisés sont en téflon, l'eau et les réactifs chimiques sont distillés plusieurs fois, dans des distillateurs en quartz ou en téflon.

Le traçage des éléments

Les résultats obtenus par spectrométrie de masse permettent de dater précisément les roches, l'âge de leur cristallisation, de leur recristallisation, et de les caler ainsi dans l'évolution de la terre. Le rapport isotopique peut aussi être utilisé pour définir un composant et le suivre dans les grands processus géologiques, par exemple les transferts de matière au niveau de la croûte terrestre ou entre la croûte et le manteau, et les interactions eau-roche.

Application à l'environnement...

Le profil isotopique du plomb s'adapte aussi à des produits fabriqués par l'homme et se révèle ainsi être un bon traceur pour les études concernant l'environnement. Ainsi, le plomb contenu dans l'essence trace les effets polluants des autoroutes puisqu'il se retrouve à proximité dans le sol et les végétaux. Plus étonnant, le traçage isotopique a permis de montrer que tout l'hémisphère nord a été contaminé par ce plomb issu de l'essence. De même, des études ont récemment démarré pour connaître le devenir du plomb et de l'arsenic longtemps utilisés par les agriculteurs sous forme d'arséniate de plomb, les profils isotopiques du plomb issu de ce produit étant maintenant connus, les scientifiques vont pouvoir tracer ces deux éléments dans la nature.

... et à la détection de faux tableaux !

Une étude menée par Joël Lancelot -à la demande du laboratoire de recherche des musées de France, au Louvre- montre que le blanc de plomb utilisé dans les tableaux n'a pas le même rapport isotopique (Pb206/Pb204) selon les époques, le plomb étant issu de gisements différents mis en exploitation à des époques différentes. Il est ainsi possible de détecter un faux tableau par le profil isotopique du blanc de plomb, un faussaire talentueux pourra donc faire illusion auprès de spécialistes de la peinture mais ne pourra berner les géochimistes. "Le seul frein à ce type d'expertise était la méthode, elle est destructrive et difficilement applicable à des échantillons de référence prélevés sur des tableaux potentiellement de grande valeur" précise JoëlLancelot.

La sonde ionique

La sonde ionique répond à ce problème de destruction. Elle permet en effet une détermination du rapport isotopique sur une coupe mince d'un microéchantillon de peinture référencée, sans le détruire. De plus, la mesure étant assurée par un faisceau de 10micromètres de diamètre, plusieurs points d'analyse sont possibles sur une même microcouche de peinture. La sonde ionique est applicable à de multiples domaines, biologie, sciences de la terre, chimie... "Ce service commun national n'existe que depuis1994 et nous n'avons pas encore exploré toutes ses possibilités" confirme JoëlLancelot.

La sonde ionique ainsi que les méthodes "classiques" sont utilisées en routine pour la gestion des déchets et notamment des déchets nucléaires. C'est d'ailleurs dans ce domaine de l'environnement que Joël Lancelot prévoit des applications croissantes des techniques développées dans son laboratoire.

 

V.CROCHET