Octobre 1997 - n°21

Le Laboratoire de Chimie des Substances Naturelles du Muséum National d'Histoire Naturelle

Fort de son histoire prestigieuse, le Muséum National d'Histoire Naturelle, héritier du Jardin royal des plantes médicinales, est aujourd'hui le lieu privilégié d'une recherche trans-disciplinaire entre les Sciences de la Vie, les Sciences de l'Homme et les Sciences de la Terre. (cf notre article dans La Gazette du Laboratoire d'avril 97).

Acteur de première importance au cœur de ce potentiel de recherche considérable, le Laboratoire de Chimie du Muséum National d'Histoire Naturelle nous ouvre ses portes...

La chimie au Jardin des Plantes: une histoire de 360 ans...

Dès la création du Jardin royal des plantes médicinales en 1635, un enseignement de la chimie y est organisé au côté de ceux de botanique et d'anatomie.

Au XVIIIème siècle, le laboratoire du Jardin devient l'un des centres d'enseignement de la chimie les plus vivants, grâce en particulier à la personnalité de Guillaume-François ROUELLE, nommé Démonstrateur par BUFFON en 1743 et dont les cours ont été suivis par une foule d'auditeurs, parmi lesquels des élèves fameux comme LAVOISIER, MACQUER, DIDEROT, MALESHERBES, ROUSSEAU...

Après le 10juin 1793, le Jardin du Roy étant devenu le Muséum National d'Histoire Naturelle, la chimie a continué à se développer sous deux chaires: l'une consacrée à la "Chimie Générale", l'autre aux "Arts Chimiques", renommées dès 1850: "Chimie appliquée aux Corps Inorganiques" et "Chimie appliquée aux Corps Organiques".

A la tête de ces chaires, se succèdent des titulaires aussi illustres que FOURCROY, VAUQUELIN, GAY-LUSSAC, CHEVREUL, FREMY..., marquant l'histoire du Muséum de découvertes majeures pour la chimie et la biochimie moderne:

- la définition de la nomenclature chimique (FOURCROY, LAVOISIER),

- la découverte du chrome, de la glucine et de la nicotine dans le tabac (VAUQUELIN),

- l'isolement des principaux acides gras et l'invention de la bougie stéarique (CHEVREUL),

- la définition de l'ozone (FREMY)...

Le Laboratoire de Chimie des Substances Naturelles conserve encore aujourd'hui, au sein de son propre Musée, de nombreuses traces de ce patrimoine historique tout-à-fait étonnant; plus de 5000échantillons de produits chimiques et de résines y sont en effet répertoriés, dont le premier échantillon de cholestérol isolé au monde.

Le laboratoire aujourd'hui : recherche et enseignement sur la Chimie des substances naturelles...

Associé au CNRS, le laboratoire de Chimie du Muséum constitue aujourd'hui l'URA401 "Structure, Synthèse et Bioactivités des Substances Naturelles".

Il compte près de 50personnes, dont 30permanents -enseignants-chercheurs, ingénieurs, techniciens...-, sous la direction de MrBODO et de MmeGUYOT.

Très actif sur le plan de l'enseignement, le Laboratoire participe notamment aux cours de l'Ecole Doctorale du Muséum ainsi qu'au DEA "Activités biologiques des substances naturelles: reconnaissance moléculaire et communication cellulaire".

Ses activités de recherche, à la pointe de la pharmacologie et de l'écologie, sont axées sur la chimie des substances naturelles biologiquement actives et s'articulent plus précisément autour de cinq thèmes principaux:

1 - La phytochimie, fondée sur l'étude de plantes sélectionnées selon trois approches : les plantes utilisées dans la pharmacopée traditionnelle et les plantes toxiques pour l'identification des constituants bioactifs, les plantes appartenant à des familles d'espèces célèbres pour avoir fourni des médicaments -et ceci dans l'optique d'isoler des substances naturelles avec des activités antitumorale, antivirale ou immunomodulatrice-.

Les recherches menées dans ce domaine sont souvent effectuées en collaboration avec des pays étrangers, à l'exemple de la récente coopération avec l'Institut Agronomique et Vétérinaire de Rabat (Maroc) pour expliquer la toxicité des férules; ces plantes nocives par ingestion provoquent en effet une fluidification du sang, d'où de dangereuses hémorragies.

2 - Les peptides naturels bioactifs, notamment les peptides amphipathiques, immunomodulateurs ou antimicrobiens d'origine fongique et bactérienne

En collaboration avec un groupe industriel français, cette équipe a, entre autres, étudié un champignon du sol, pour une utilisation éventuelle en tant que biopesticide. Le travail du laboratoire a permis d'isoler les différents types de molécules émises par cette espèce et d'en comprendre le mécanisme d'action. Il a ainsi été découvert que la capacité de ce champignon à inhiber le développement d'autres micro-organismes vient d'une synergie entre de nombreuses molécules produites: des enzymes attaquent les parois des micro-organismes cibles, tandis que des groupes de peptides organisés en hélices très hydrophobes, perturbent leur re-synthèse...

3 - Les substances d'origine marine, sont le plus souvent extraites d'invertébrés (éponges, tuniciers, coraux, etc...), et présentent des activités biologiques remarquables: agents antibiotiques, antitumoraux, inhibiteurs d'enzymes. Ces substances ont des structures très originales et sans équivalents dans le monde terrestre. Les micro-organismes marins, associés ou libres sont également étudiés pour les substances qu'ils produisent. Ainsi, une collaboration en cours avec l'ORSTOM et l'IFREMER porte sur l'étude de bactéries productrices d'antibiotiques, et une autre avec l'Université de Singapour sur des champignons microscopiques marins.

4 - La chimiothérapie antipaludique, axée sur:

- la recherche et le développement de molécules d'origine naturelle possédant des propriétés antipaludiques et/ou modulatrices de la résistance,

- l'étude des constituants chimiques de plantes utilisées dans des pharmacopées d'outre mer (Madagascar) pour tenter d'isoler des agents actifs.

Des travaux portent ainsi actuellement sur des alcaloÏdes naturels, modulateurs de la résistance au paludisme et à certains cancers...

5 - La biochimie, soit plus précisément la caractérisation biochimique et structurale de systèmes protéiques en relation avec des substances naturelles

Cette équipe intervient notamment pour la détermination de séquences de macro-molécules et l'isolement de protéines ou de peptides, à l'exemple des recherches menées actuellement sur des peptides antimicrobiens produits par une bactérie, la microcine...

Spécialiste de l'identification de substances naturelles biologiquement actives, le laboratoire développe donc des thèmes extrêmement variés, selon une méthodologie commune :

- extraction, séparation et purification des constituants -chromatographie en phase gazeuse et liquide (d'exclusion, d'échanges d'ions...)-,

- définition de la structure moléculaire, par spectrométrie de masse, RMN, spectrophotométrieUV, IR...

- approche du mode d'action par mesure de l'activité biologique (en collaboration notamment avec des groupements de recherche du CNRS tel que celui, créé il y a un an, pour faciliter l'évaluation des activités antivirales, antitumorales, antiparasitaires...),

- synthèse ou hémi-synthèse de la molécule isolée.

30 molécules naturelles originales sont ainsi, en moyenne, isolées chaque année au sein du Laboratoire, à partir de plantes, de micro-organismes et d'organismes marins.

Ces dix dernières années, 6brevets ont été déposés en partenariat avec des laboratoires publics (ORSTOM, IFREMER, Institut Pasteur...) et des sociétés privées (grands groupes industriels, mais aussi PME-PMI).

Fidèle à sa double vocation de recherche et d'enseignement, le Laboratoire de Chimie des Substances Naturelles du Muséum s'est fixé un objectif au-delà de ses activités internes: créer, en collaboration avec d'autres laboratoires du Muséum, un Centre de Recherche et d'Enseignement sur les substances naturelles, visant à étudier leur rôle dans les interactions entre les espèces vivantes et leur utilisation possible en thérapeutique, et largement ouvert aux chercheurs des Pays en voie de développement.

 

S.DENIS