Janvier 1998 - n°24

Le Laboratoire Pierre SÜE - Laboratoire mixte CEA-CNRS

Laboratoire mixte CEA-CNRS, le Laboratoire Pierre SÜE est implanté sur le site CEA de Saclay. A l'image du célèbre scientifique dont il porte le nom, le Laboratoire Pierre SÜE se démarque par son expertise dans l'usage des radioéléments artificiels pour des applications tant chimiques que géologiques ou biologiques et de façon générale, dans la détermination des éléments constitutifs de la matière. Accueillie et guidée au sein du Laboratoire par plusieurs membres de son personnel, La Gazette vous propose de découvrir les différentes facettes de cette unité de recherche, dont les compétences très diversifiées et les puissants moyens d'analyse constituent des atouts majeurs.

Deux articles leur seront consacrés, directement liés aux techniques de pointe utilisées; le premier dédié à l'A.A.N. -Analyse par Activation Neutronique- et le second à la microsonde nucléaire...

L'Analyse par Activation Neutronique à l'origine du Laboratoire Pierre SÜE

Créé en 1969, le Laboratoire Pierre SÜE avait pour mission de faciliter l'accès des réacteurs nucléaires du Centre d'Etudes de Saclay aux équipes de recherche employant l'analyse par activation neutronique.

Aujourd'hui encore, à l'heure où d'importants travaux de rénovation viennent d'être achevés pour une mise en conformité totale avec les normes actuelles pour les Installations Classées pour la Protection de l'Environnement (I.C.P.E. radioactive), l'analyse par activation neutronique représente indéniablement l'un des points forts du laboratoire.

Un peu de physique...

"Souvent considérée comme méthode de référence, l'A.A.N. est une technique d'analyse multi-élémentaire, particulièrement adaptée à la recherche des traces et ultra-traces, de la dizaine de milligrammes par gramme au nanogramme par gramme", nous confie Mme AYRAULT, ingénieur CEA du groupe Activation Neutronique.

L'analyse par activation neutronique se base sur la mesure du rayonnement émis par la matière après bombardement neutronique.

"Les neutrons transmutent les noyaux des atomes, produisant ainsi des radio-isotopes qui, pour revenir à un état énergétique stable, émettent des rayonnements*", explique Mme AYRAULT. "Chaque radio-isotope est alors identifiable par l'énergie du rayonnement émis et par sa période de décroissance. Ces deux quantités permettent une identification et une analyse quantitative de quelques soixante éléments, d'où l'appellation d'analyse multi-élémentaire".

Autre point important, l'A.A.N. s'impose également pour son aspect quantitatif; la radioactivité produite par un radio-isotope étant en effet proportionnelle à la quantité de l'élément source.

La zone chaude

Le Laboratoire Pierre SÜE est relié aux deux réacteurs expérimentaux du Centre d'Etude de Saclay (OSIRIS et ORPHEE) dont les caractéristiques de flux de neutrons sont très différentes. Unique en France, un tel centre d'activation donne accès à une large gamme de conditions d'irradiation et permet ainsi l'étude de 60éléments du tableau périodique.

"ORPHEE, avec son flux de 1,3 1013 neutrons cm-2.s-1, utilise l'eau lourde. Il est très bien thermalisé et ne produit pratiquement que des neutrons thermiques", précise Mme AYRAULT. "OSIRIS, beaucoup plus puissant, émet un flux de neutrons dix fois plus fort et peu thermalisé: et permet l'obtention de radio-isotopes différents...".

Partant de la zone de haute radioactivité du laboratoire -la zone chaude- vers les réacteurs, les échantillons sont introduits dans des navettes en plastiques ou en aluminium, selon la durée programmée de l'irradiation. Ils empruntent alors un réseau de convoyeurs hydrauliques (en direction d'OSIRIS) ou pneumatiques (en direction d'ORPHEE) et sont ainsi conduits au cœur du réacteur.

Une fois irradiés, ces échantillons de quelques cm3, sont ré-expédiés selon les mêmes procédés en zone chaude, au sein de cellules blindées. La radioactivité des échantillons est alors mesurée soit directement, soit après traitement chimique pour isoler un radio-isotope particulier.

"Des pneumatiques internes sont utilisés pour le transfert rapide des échantillons de la zone chaude vers les laboratoires et les salles de mesure", précise M.BERTHIER, Chercheur CNRS, Directeur Adjoint du Laboratoire Pierre SÜE. "Il est ainsi possible de quantifier les radio-isotopes dont la période varie de la minute à plusieurs heures".

Les Laboratoires de Radiochimie

Les deux laboratoires de radiochimie visent avant tout à isoler les éléments intéressants de ceux susceptibles de produire des phénomènes de radioactivité "parasite".

Chromatographie sur résines échangeuses d'ions, extraction liquide-liquide..., les techniques utilisées sont diverses et les installations ont tout naturellement été rénovées pour une adaptation aux recherches en cours.

Les salles de comptage

Situées en sous-sol aux murs couverts de craie, sol en marbre et piliers de bois, la salle de comptage ont été construites avec toutes les précautions nécessaires, pour limiter les perturbations par la radioactivité naturelle, sur les analyses effectuées.

Plusieurs spectromètres *, équipés de passeurs d'échantillons et de logiciels informatiques spécifiques permettent une analyse des échantillons irradiés ; les énergies des rayonnements *, émis par les noyaux et caractéristiques de ces atomes, sont mesurées et transcrites sous forme d'histogrammes pour une interprétation à la fois qualitative et quantitative des éléments qu'ils contiennent.

Des domaines d'applications très variés...

Méthode d'excellence pour l'analyse de traces et d'ultra-traces au niveau global, l'A.A.N. intéresse des domaines d'application extrêmement variés: Sciences de la Terre, Sciences de l'Environnement, Matériaux, Biologie, Archéologie, Criminologie...

Citons à titre d'exemples:

- l'analyse des contamination dans des matériaux ultrapurs (aluminium, silicium...),

- l'évaluation de la pollution atmosphérique dans les lichens (dans le cadre d'un projet à l'échelle européenne sur la pollution de fond),

- mais aussi, la recherche de trace d'arsenic, dans les cheveux de Napoléon afin d'étayer la thèse de son assassinat par empoisonnement progressif!!

"Le domaine de la Géochimie des éléments en trace et la Volcanologie représentent une part importante des activités de recherches fondamentales du Laboratoire Pierre SÜE . L'analyse par activation neutronique est une méthode de choix pour arriver à définir un large spectre des distributions des éléments chimiques présents dans le système Terre", fait remarquer M. TREUIL, responsable du groupe Géochimie, Professeur à l'Université Pierre et Marie Curie.

Les applications sont : les études de la composition et de la zonation Géochimique du manteau de la Terre, des modalités de genèse et de transfert des magmas à travers la lithosphère, de la migration des éléments en trace dans la croûte terrestre, des gisements métallifères.

"L'objectif majeur, précise M. TREUIL, est de pouvoir décoder le langage chimique des objets géologiques qui porte témoignage de toute la Géodynamique Chimique, depuis la formation des éléments à l'échelle de l'univers par la nucléosynthèse jusqu'aux transformations les plus récentes des matériaux de la croûte terrestre".

Effectuées dans le cadre de prestations ou de collaborations scientifiques, les analyses par activation neutronique sont reconnues pour leur très haut niveau et sont notamment très demandées pour la mise au point ou l'étalonnage de méthodes industrielles.

Soulignons que pour parfaire son domaine de compétences dans l'analyse élémentaire, le Laboratoire Pierre SÜE s'est doté de moyens complémentaires de caractérisation: microscope électronique à balayage avec analyseX, électrophorèse capillaire, microscopie à infra-rouge, ICP/MS...

L'ICP/MS, méthode d'analyse non nucléaire permet, en particulier, de doser des éléments tels que le plomb et le bismuth pour lesquels l'A.A.N. n'est pas appropriée...

Enfin, là où l'efficacité des autres techniques demeure limitée, la microscopie nucléaire, second grand domaine d'expertise du Laboratoire Pierre SÜE, offre des possibilités d'analyses supplémentaires, en particulier sur le plan de l'analyse locale des échantillons à l'échelle du micron.

A suivre...

 

S.DENIS