Mars 1998 - n°26

Le centre d'immunologie de Marseille-Luminy

Existence d'un mécanisme majeur de neutralisation du VIH-1 par inhibition de la fixation du virus sur CD4 et ses corécepteurs

Depuis l'émergence de l'épidémie du SIDA, le but poursuivi par de nombreuses équipes du monde entier consiste en l'élaboration d'un vaccin. L'équipe du centre d'immunologie de Luminy démontre l'existence d'un mécanisme majeur de neutralisation du VIH-1 par les anticorps anti-gp120 à l'étape de fixation du virus.

Le centre d'immunologie de Luminy
Ce centre d'immunologie (INSERM 136-CNRS UMR145), né en 1976, regroupe 160personnes dont 120chercheurs répartis en 16équipes. Quatre grands thèmes sont abordés:
- l'étude des cellules du système immunitaire (lymphocytes T et B),
- l'étude de souris présentant certaines déficiences génétiques affectant le système immunitaire (identification des gènes),
- les réseaux de communication intra et inter-cellulaires,
- l'immunologie des infections par le VIH: le mécanisme de fixation et de fusion du VIH et le rôle des lymphocytes dans les défenses antivirales.
Le financement de ces recherches se partage en sources publiques, associatives et industrielles.
Le centre est installé sur deux bâtiments. Fin janvier verra la réception d'un nouveau laboratoire de transgénèse (300m2). Et, prochainement, dans le cadre d'un IFR, un autre bâtiment de transgénèse, plus imposant (600m2) que le précédent, sera sans doute construit.

Neutralisation du VIH-1 par les anticorps anti-gp120
Dans l'équipe s'intéressant à l'infection par le VIH, Quentin Sattentau se consacre plus particulièrement aux étapes de fixation à la molécule CD4 située à la surface cellulaire et de fusion du virus . L'action conjuguée de deux glycoprotéines (gp120 et gp41), insérées dans la membrane de la cellule virale, se trouve à la source de l'infection de la cellule cible par le VIH-1:
- la gp120, protéine globulaire de structure mal connue, est essentielle pour la fixation du virus sur la molécule CD4 et sur les corécepteurs de la cellule,
- la gp41 déclenche la fusion entre les membranes de la cellule virale et de la cellule infectée.
Il existe chez l'homme des anticorps dirigés contre la gp120, certains sont neutralisants c'est-à-dire qu'ils empêchent l'infection. En effet, dans une étude récente aux Etats-Unis, l'injection d'anticorps neutralisants à une souris démontrait un effet protecteur, mais le mécanisme de neutralisation demeurait inconnu.

Depuis de nombreuses années, de nombreux tests ont été réalisés pour connaître l'action d'anticorps neutralisant dans la fixation sur la cellule cible. Ces expériences ont utilisé la gp120 soluble c'est-à-dire dissociée du virus, se présentant en forme monomère. Or, cette forme ne constitue pas une représentation réelle du virus car la gp120 existe à l'état naturel en trimère sur la cellule virale. De plus, l'affinité entre la gp120 et la molécule CD4 s'avère totalement différente selon qu'elle se présente en monomère ou trimère. Forte dans le cas de monomère, elle devient plus faible dans le cas de trimère. En plus, d'une affinité moins élevée entre la gp120 et CD4, la forme trimère induit un nombre de sites d'interaction beaucoup plus important que dans le cas de monomère. En effet, à la surface du virus, il existe environ 70trimères de gp120 donc 210molécules.

Pour mieux comprendre le mécanisme de neutralisation, Sophie Ugolini, dans l'équipe de Quentin Sattentau, réalise des tests avec une particule virale portant la gp120 en trimère. Des anticorps anti-gp120 sont introduits dans la solution, ils réagissent avec la gp120 contenue à la surface du virus. L'ensemble est mis en présence de cellules. La quantité de virus fixés sur les cellules s'évalue indirectement de la façon suivante: quand le virus bourgeonne, il incorpore des protéines HLA-DR. Il suffit donc de placer des anticorps anti-HLA-DR fluorescents dans la solution pour mettre en évidence le virus. Ces anticorps seront détectés par cytométrie en flux. La méthode est interdite mais, on ne peut détecter le virus directement à partir d'anticorps anti-gp120 car en plus de la gp120 fixée sur le virus, on détecterait la gp120 soluble (dissociée naturellement du virus) restant dans la solution.

Le résultat de ces tests permet de décrire, pour la première fois, la liaison spécifique existant entre la gp120 trimère et la molécule CD4 sur la cellule. Il révèle un phénomène inattendu: tous les anticorps anti-gp120 testés inhibent la fixation du virus. Ce fait s'avère d'autant plus imprévisible que: d'une part certains de ces anticorps associés à la gp120 soluble ne bloquent pas sa fixation. et d'autre part, jusqu'à maintenant, on pensait que les anticorps spécifiques de la boucle V3 inhibaient au niveau de la fusion or ce test le contredit. La boucle V3 consiste en une région particulière de la gp120. De plus, la période où les anticorps neutralisants agissent est maintenant déterminée: c'est l'étape de fixation.

Sophie Ugolini a observé ce phénomène avec deux souches de laboratoire, c'est une première étape. La vision de cette équipe va plus loin: "Si on sélectionne une ou deux régions de la gp120 qui sont des cibles pour les anticorps neutralisant et qui sont bien conservées entre les différentes souches du VIH, on pourrait envisager de faire un vaccin. Il faut cependant isoler ces sites du reste de la molécule" déclare Quentin Sattentau. Pour atteindre un tel objectif, il faudra franchir de nombreuses étapes, la première étant de réaliser les mêmes tests avec des isolats primaires ou des isolats cliniques.

J. SILVY