Mars 1998 - n°26

Université Pierre et Marie Curie, Paris VI
le Laboratoire de Physique Atomique et Nucléaire découvre l'effet trampoline : une véritable révolution technologique

Laboratoire mixte CNRS / Université, le Laboratoire de Physique Atomique et Nucléaire a été créé il y a plus de 20 ans au sein de l'Université Paris 6 - Pierre et Marie Curie.
Sous la direction de M. BRIAND -élève de F. JOLIOT-, il est aujourd'hui animé par une équipe de 12 personnes et compte à son actif des découvertes majeures dans le domaine très porteur de l'interaction des ions très chargés avec les surfaces.

De la physique atomique à la physique du solide : des recherches toujours très dynamiques

Géré comme une véritable PMI, le Laboratoire de Physique Atomique et Nucléaire s'est tout d'abord spécialisé dans le domaine de la recherche en physique atomique ; il a ainsi développé pendant 10 ans de solides compétences en spectroscopie X et faisceaux d'ions multichargés (depuis l'Argon en 1980 jusqu'à l'Uranium en 1990).

" Les ions multichargés sont des atomes auxquels on a retiré plusieurs électrons ", explique M. BRIAND. " La première technique utilisée pour produire des faisceaux d'atomes très ionisés est basée sur la méthode de Beam Foil. Des ions peu chargés sont accélérés à de très hautes énergies par des cyclotrons ou accélérateurs linéaires, et " épluchés " -c'est-à-dire débarrassés partiellement ou totalement de leur cortège électronique- par passage au travers d'une feuille très mince. Dans ce cas, les vitesses énormes données aux ions rendent leur étude très difficile...
Ce n'est que très récemment que l'on a su préparer, tout particulièrement en France, des faisceaux d'ions très chargés à basse vitesse. La méthode consiste à placer les atomes dans un faisceau d'électrons (source EBIS - Electron Beam Ion Source-) ou à l'intérieur de plasmas très chauds (source ECR - Electron Cyclotron Resonance-), et à les ioniser pas à pas par bombardement de ces électrons très énergétiques. On peut préparer, grâce à cette technique, des ions d'uranium nus en leur enlevant, un à un, leurs 92 électrons !
Outre l'intérêt économique de telles techniques, considérablement moins coûteuses que les grands accélérateurs, les ions très chargés extraits de ces sources à basse vitesse ont des propriétés particulièrement intéressantes pour la physique atomique.."
C'est ainsi, à partir de ses connaissances développées en physique atomique -et, en particulier, grâce à l'utilisation des accélérateurs de particules- que le laboratoire s'est orienté vers la physique atomique, puis vers celle du solide et des surfaces.
En 1990, les études menées sur les faisceaux d'ions multichargés, préparés à basse vitesse, donnent naissance à une découverte importante : les Atomes Creux.
Caractérisés par des orbitales internes complètement ou partiellement vides et par un très grand nombre d'électrons dans leurs couches externes, ces atomes résultent de l'interaction des ions très chargés avec les surfaces.
" Lorsqu'un ion s'approche d'une surface métallique, par exemple, la réserve d'électrons que représente cette surface lui permet de capturer autant d'électrons qu'il y a de charges positives sur le noyau. Si la vitesse de l'ion est très faible -c'est-à-dire plus petite que celle des électrons du métal-, ces électrons, au lieu d'aller dans les orbites atomiques les plus basses où ils se trouvent d'habitude, vont au contraire se placer dans des orbites très lointaines, laissant les couches internes vides ; d'où le nom d'Atomes Creux... ".

De 1990 à 1995, le Laboratoire de Physique Atomique et Nucléaire se consacre donc à ces Atomes Creux et à l'étude de leurs propriétés intrinsèques, notamment l'effet horloge atomique dont la période est de l'ordre de quelques 3.10-16 seconde.
Soulignons, notamment , que lors de leur désexcitation, au cours des transitions vers les couches L et K, ces atomes émettent un rayonnement X, qui permet d'étudier leur interaction au voisinage de la surface avec une sensibilité de l'ordre de l'Angström ; " études notamment très intéressantes du point de vue de la physique du solide, car un ion très chargé placé à environ un nanomètre d'une surface métallique retire sur ce métal un nombre d'électrons égal à trois fois sa charge... "précise M. BRIAND.

Une découverte essentielle, à l'origine d'un dépôt de brevet et de la création d'une société industrielle...

Dans la continuité de ses recherches sur les ions multichargés, l'équipe du Professeur BRIAND a récemment démontré des différences notables entre les Atomes Creux formés au-dessus de surfaces isolantes, semi-conductrices, ou encore métalliques.
" Une des propriétés les plus étonnantes de ces effets a été la découverte, en 1996, de l'effet trampoline ", souligne M. BRIAND. " Un ion, s'approchant d'un métal, est irrémédiablement attiré sur cette surface par ce qu'on appelle son " image électrique " (charge fictive, négative, apparaissant sous la surface). Il est donc impossible, même avec les atomes les plus lents, de ne pas heurter ces surfaces...
Notre équipe a, en revanche, montré qu'au-dessus des isolants et des semi-conducteurs, ces ions ne sont pas projetés, mais au contraire, rétrodiffusés comme sur un trampoline. La raison est simple : les électrons, arrachés sur un semi-conducteur ou sur un isolant, laissent des trous qui ne se comblent pas aussi vite que dans les métaux, le champ électrique ainsi créé repousse donc les ions. L'ion s'approche de la surface, y retire un certain nombre d'électrons, et repart... "

D'importantes applications industrielles pourraient résulter de cet effet trampoline ; dans le domaine de la gravure des surfaces, en particulier, l'excellente sensibilité de la technique apporterait une finesse bien supérieure à celle obtenue par les méthodes actuelles de réalisation des composants de la microélectronique ou la gravure des CD ROM.
Une surface de silicium, passivée à l'hydrogène, soumise à l'approche d'un ion multichargé perd en effet un certain nombre d'électrons attirés par l'ion ainsi que des atomes d'hydrogène, " décapés " sous l'action du champ électrique. Il est ainsi possible de " décaper " localement une surface de silicium sur une surface de quelques nanomètre, sans contact direct -donc, sans risque de l'abîmer.
" Ceci pourrait notamment permettre de graver des compacts discs avec une densité 100 fois supérieure à celle des disques actuels " explique M. BRIAND.

L'intérêt de la découverte est d'ailleurs tel que la Direction des Relations Industrielles de l'Université Pierre et Marie Curie a fait immédiatement breveter les applications éventuelles de cet effet trampoline.
L'heure est aujourd'hui à la validation et à l'étude des possibilités d'industrialisation.
Aussi, tandis que le Laboratoire de Physique Atomique et Nucléaire poursuit activement ses recherches fondamentales, les chercheurs de l'équipe viennent de créer une société industrielle, X-ion, afin de mener à bien les recherches applicatives.
Licencié exclusif des droits des brevets déposés par l'université, la société X-ion est aujourd'hui en plein développement ; elle entend, à ce titre, procéder rapidement à une augmentation de capital...

Souhaitons donc à X-ion que l'initiative de l'Université Paris VI connaisse un succès à la hauteur de ses ambitions...

S DENIS