Juin 1998 - n°29

Le Laboratoire de Biophysique du Muséum National d'Histoire Naturelle

Le Laboratoire de Biophysique du Muséum National d'Histoire Naturelle, malgré son histoire encore relativement courte, s'impose comme l'un des plus grands spécialistes mondiaux du contrôle artificiel de l'expression des gènes, par des oligonucléotides.

A l'origine de sa création, en 1961, le Professeur Charles SADRON compte parmi les initiateurs de la Biophysique en France, avec à son actif la création de plusieurs autres grands "temples de la Science" : l'Institut des polymères de Strasbourg, en 1947 ; le Centre de Recherches sur les Macromolécules, en 1954 ; le Centre de Biophysique Moléculaire d'Orléans, en 1967...

Un peu d'histoire...

C'est donc en 1961, motivé par le dynamisme et l'expertise du Professeur Charles SADRON, que le Laboratoire de Biophysique du Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN) a ouvert ses portes, à Paris, dans des locaux situés rue Buffon. Son déménagement, en 1988, rue Cuvier, lui offre l'opportunité de réunir en un même lieu l'ensemble de son équipe et lui permet de disposer de laboratoires parfaitement adaptés à l'évolution actuelle de ses activités, notamment en terme de biologie moléculaire et cellulaire.

Aujourd'hui associé à l'INSERM et au CNRS, le Laboratoire de Biophysique du MNHN est co-dirigé par les Professeurs Claude HELENE (INSERM U201) et Thérèse GARESTIER (CNRS URA 481). Il compte, à ce jour, une quarantaine de chercheurs aux formations aussi diverses que complémentaires -physiciens, chimistes, biologistes-, et développe ainsi ses activités de pointe à l'interface de deux grands domaines : la physico-chimie et la biologie...

Le contrôle artificiel de l'expression des gènes : du tube à essai au modèle animal...

Les molécules biologiques, tels que les acides nucléiques (ADN, ARN), ont toujours été la thématique des travaux menés au sein du Laboratoire de Biophysique du Muséum. Pendant près de 20 ans, ont ainsi été étudiées les interactions protéines (peptides) -acides nucléiques ; puis à partir des années 80, les interactions acides nucléiques- acides nucléiques. Débute alors des recherches dans un domaine, aujourd'hui plus que jamais, au coeur de l'actualité scientifique : le contrôle artificiel et sélectif de l'expression des gènes par des oligonucléotides, petits fragments d'acides nucléiques...

" La plupart des médicaments actuellement disponibles agissent au niveau des protéines, produits de l'expression des gènes ", souligne le Professeur Ester SAISON, responsable du Groupe "Anti-sens" du Laboratoire de Biophysique. " Durant les dix dernières années, de nouvelles approches thérapeutiques ont été développées, utilisant les oligonucléotides synthétiques pour inhiber de façon sélective l'expression des gènes, plutôt que la protéine correspondante ".

Lorsqu'ils sont dirigés contre un ARN messager, les oligonucléotides, synthétisés de façon à s'y associer sélectivement par complémentarité de séquence, en bloquent la traduction ; il s'agit de la stratégie "anti-sens".

" Mais leurs cibles peuvent aussi être des séquences spécifiques de la double-hélice d'ADN ; ils se fixent alors en formant une triple-hélice locale et inhibent la transcription ; c'est la stratégie "triple hélice" ou "antigène" ", précise Mme SAISON. " Notre laboratoire a d'ailleurs été le premier à montrer qu'un court oligonucléotide est capable de se fixer sur sa séquence complémentaire présente dans l'ADN nucléaire sous sa forme nucléosomale. "

Ces deux stratégies, particulièrement séduisantes de par leur spécificité, permettent d'envisager d'importantes applications thérapeutiques, notamment dans le domaine du cancer et du Sida.

De nombreuses recherches communes aux approches "anti-sens" et "triple-hélice" sont aujourd'hui développées afin d'en optimiser l'efficacité. Le Laboratoire de Biophysique du Muséum poursuit ainsi, notamment, ses travaux dans le but d'améliorer la vectorisation des oligo-nucléotides et la stabilisation du "complexe" formé...

Modélisation moléculaire, spectrométrie d'absorption, fluorescence... sont autant de techniques que le Laboratoire maîtrise, en complément aux méthodes classiques de biologie cellulaire et moléculaire. Fort de cette association de compétences, il est, d'ailleurs, en mesure de réaliser ses études depuis l'approche in vitro jusqu'aux applications sur culture de cellules et sur modèles animaux.

Des collaborations étroites avec d'autres laboratoires -notamment, l'Institut Curie et l'Institut Pasteur de Paris- permettent le suivi de ses recherches dans des conditions plus spécifiques (telles qu'en laboratoire de type P3), tandis que des relations privilégiées sont établies avec l'Industrie pour un développement plus poussé en phase clinique...

De nouveaux objectifs pour des applications particulièrement prometteuses...

" L'efficacité des oligo-nucléotides triple-hélice et anti-sens a été démontré sur des cellules en culture et, dans le cas des anti-sens, sur des modèles animaux de tumeurs ", nous confie Mme SAISON. " Des laboratoires américains sont impliqués dans des essais cliniques avec des oligonucléotides anti-sens dirigés contre différentes cibles (HIV, CMV, ICAM-1...) ". Ainsi, la stratégie anti-sens est-elle, aujourd'hui, parfaitement définie sur le plan physico-chimique et connaît, d'ores et déjà, une étude au stade clinique pour certaines applications thérapeutiques. L'approche triple-hélice, quant à elle, a été initiée il y a moins de dix ans et fait toujours l'objet d'importantes recherches fondamentales afin de maximaliser son efficacité et de définir ses limites d'application.

- Augmenter la stabilité des triple-hélices formées,

- Etendre le registre des séquences cibles, en concevant et synthétisant des analogues de nucléotides capables de reconnaître les quatre paires de bases de la double-hélice,

- Développer de nouveaux transporteurs et vecteurs de nucléotides pour permettre de cibler un tissu, une cellule ou un compartiment cellulaire...

... sont autant d'objectifs aujourd'hui formulés par le Laboratoire de Biophysique du Muséum National d'Histoire Naturelle.

Aussi, comme concluait le Professeur Claude HELENE dans l'une des nombreuses publications de son Laboratoire : " les oligo-nucléotides n'ont assurément pas fini de dévoiler toutes les possibilités d'applications qu'ils peuvent apporter... ".

S. DENIS