Janvier 1999 - n°34

UNIVERSITE PAUL SABATIER TOULOUSE III : LE POINT SUR LE CJF INSERM 96-02
"Différenciation Malpighienne et Autoimmunité Rhumatoïde"

Au sein du CJF INSERM 96-02 dirigé par le Professeur Guy SERRE coexistent deux thématiques : "la différenciation malpighienne" et "l'autoimmunité rhumatoïde". Des domaines de recherches apparemment éloignés l'un de l'autre mais qui sont en fait très liés, la connaissance théorique de la différenciation malpighienne et la maîtrise technologique acquises par les chercheurs leur ont en effet permis d'aborder avec succès des recherches sur la Polyarthrite Rhumatoïde.

Différenciation épidermique, cornification et desquamation

La différenciation terminale des épithéliums malpighiens -en particulier celle de l'épiderme humain- est le thème initial du laboratoire qui travaille sur ce domaine depuis une quinzaine d'années.

La différenciation terminale de l'épiderme est un processus vectorisé, au cours duquel le kératinocyte -issu de l'assise basal germinative de l'épithélium- subit des remaniements progressifs métaboliques et structuraux qui le transforment finalement en cornéocyte. L'empilement de ces cornéocytes constitue la couche cornée, la partie la plus externe de l'épiderme qui assure -par sa grande résistance- la protection mécanique de l'organisme et constitue une barrière entre l'individu et son environnement en s'opposant aux déperditions hydriques et à la pénétration des molécules exogènes. Les chercheurs s'intéressent tout particulièrement aux bases moléculaires de la cohésion de la couche cornée et aux mécanismes de rupture de cette cohésion provoquant la desquamation.

L'importance des protéines dans la cohésion intercornéocytaire

Si le rôle des lipides dans la cohésion intercornéocytaire est bien connu et reconnu, le groupe de recherche dirigé par le Pr Serre s'est attaché à démontrer que les protéines jouent aussi un rôle important dans les processus de cohésion et de desquamation. Dans un premier temps, le laboratoire a produit une large série d'anticorps monoclonaux murins. Cette approche a permis la description de nouvelles protéines épidermiques mais aussi plus globalement de préciser l'architecture des divers composants protéiques du cornéocyte.

La cornéodesmosine

Les chercheurs du CJF 96-02 ont notamment caractérisé une protéine spécifique des desmosomes, tardivement synthétisée au cours de la différenciation et incorporée dans ces structures jonctionnelles avant le bouleversement architectural qui les transforme en cornéodesmosomes. Cette protéine - baptisée "cornéodesmosine" - liée de manière covalente à l'enveloppe cornifiée est un des éléments moléculaires clefs du système protéique de cohésion intercellulaire spécifique de la couche cornée. Le clivage des liens protéiques cornéodesmosomaux, notamment de la cornéodesmosine, par des systèmes protéasiques en cours d'identification permettrait le détachement des cornéocytes superficiels, c'est-à-dire la desquamation. Après avoir identifié son gène en 1997, l'équipe projette de produire la cornéodesmosine par recombinaison génétique en systèmes procaryote et eucaryote. Les interactions de cette protéine avec d'autres protéines desmosomales et sa sensibilité à diverses protéases de la couche cornée seront étudiées. La fonction de cette protéine sera précisée, à l'aide en particulier de souris transgèniques. L'étude du promoteur du gène de la cornéodesmosine est aussi en cours.

Polyarthrite rhumatoïde et auto-anticorps anti-filaggrine

Les connaissances théoriques acquises sur la différenciation malpighienne et les compétences technologiques développées pour son étude (histologie, immunologie, biochimie des protéines, biologie moléculaire...) ont conduit le CJF INSERM à s'intéresser à des auto-anticorps humains dirigés contre la couche cornée de l'épithélium malpighien de l'oesophage de rat. Ces auto-anticorps sériques étaient présentés comme très spécifiques de la polyarthrite rhumatoïde.

Les auto-anticorps anti-filaggrine

Le laboratoire a confirmé la spécificité diagnostique de ces auto-anticorps et a caractérisé leurs molécules cibles: la filaggrine épidermique humaine et des protéines de l'épithélium oesophagien murin apparentées à la (pro)filaggrine. Plus récemment, l'équipe a montré que d'autres auto-anticorps caractéristiques de la polyarthrite rhumatoïde -les facteurs anti-périnucléaires- connus depuis une trentaine d'années correspondaient en fait aux mêmes auto-anticorps anti-filaggrine. Les chercheurs toulousains travaillent actuellement à la caractérisation des épitopes reconnus sur la filaggrine, cette identification passe par différentes techniques immunochimiques comme l'utilisation de peptides synthétiques et de protéines recombinantes. Les premiers résultats montrent que seules les formes acides de filaggrine sont reconnues par les sérums rhumatoïdes et que les épitopes sont générés par une modification post-traductionnelle spécifique résultant de l'action d'une peptidylarginine déiminase.

Auto-anticorps anti-filaggrine et pathogénie rhumatoïde

La grande spécificité des auto-anticorps anti-filaggrine, leur liaison aux formes sévères et actives de la maladie et leur apparition précoce ont conduit le CJF 96-02 à formuler l'hypothèse de leur implication dans la pathogénie rhumatoïde. Pour confirmer cette hypothèse, le laboratoire recherche notamment la présence dans les tissus cibles articulaires d'un antigène apparenté à la filaggrine épidermique et une éventuelle sécrétion des auto-anticorps anti-filaggrine par les lymphocytes B présents dans la synoviale rhumatoïde.

De nouvelles perspectives thérapeutiques, diagnostiques et cosmétologiques

Les travaux menés dans le domaine de la différenciation malpighienne apportent une meilleure compréhension de la physiologie moléculaire de la cohésion intercornéocytaire et de la desquamation. Ils ouvrent ainsi de nouvelles perspectives cosmétologiques -le laboratoire est sous contrat avec la société L'Oréal- et thérapeutiques en pathologie dermatologique hyperkératosique. En ce qui concerne l'autoimmunité rhumatoïde, les recherches ont déjà débouché sur la mise au point de tests diagnostiques originaux ; ces tests ont été brevetés, en particulier par la société BioMérieux, dans la perspective de développements industriels ultérieurs. Par ailleurs, la mise en évidence d'une implication directe des auto-anticorps anti-filaggrine dans la pathogénie de la polyarthrite rhumatoïde ouvrirait de nouvelles voies de recherche vers des thérapeutiques spécifiques de cette maladie.

V. CROCHET