Mars 1999 - n°36

Le Laboratoire de Biotechnologie du CNAM
Immunité et Stéroïdes : d'intéressantes perspectives d'application cosmétiques et pharmaceutiques

"Le mécanisme immunitaire, déclenché lors d'une infection, n'est pas encore entièrement connu ; mais, l'on sait que des stéroïdes hormonaux tels que le cortisol réduisent cette réaction immunitaire et agissent donc en tant qu'immunosuppresseurs", nous explique le Pr Morfin. "A l'inverse, il a été montré que certains stéroïdes naturels pourraient intervenir selon un effet opposé à celui des glucocorticoïdes...".

C'est tout particulièrement à ces molécules "antiglucocorticoïdes" que s'intéresse le Laboratoire de Biotechnologie du CNAM. Depuis près de 10 ans, ses travaux ont, en effet, permis d'identifier de tels stéroïdes et d'étudier leurs effets. Les découvertes réalisées ont, d'ores et déjà, fait l'objet de brevets déposés par le CNAM, et laissent présager d'intéressantes applications industrielles...

Quelques mots sur l'origine du Laboratoire...

Le Laboratoire de Biotechnologie du CNAM s'est spécialisé dans l'étude des stéroïdes et de l'immunité. Créé en 1990, il bénéficie de la solide expérience de son équipe, dont le Directeur -le Pr Morfin- travaille depuis plus de 25 ans sur les systèmes hormonaux. A l'origine de son orientation thématique, réside ainsi la volonté d'approfondir des études plus anciennes menées sur la DHEA (déhydroépiandrostérone)

"Il avait, en effet, été prouvé que l'administration de DHEA produisait chez la souris des effets bénéfiques à court terme (augmentation de la réponse immunitaire). Cependant, ces effets n'ont jamais pu être démontrés in vitro", précise le Pr Morfin. "Aussi, nous sommes-nous interrogés sur l'origine de l'activité de la DHEA : est-elle active par elle-même ou est-ce le précurseur d'un métabolite actif telle que la 7*-hydroxy DHEA, détectée dans l'organisme?...". De là ont débuté les travaux du Laboratoire Biotechnologie du CNAM....

A propos des stéroïdes "anti-immunosuppresseurs"...

Premier objectif de recherche du Laboratoire : déterminer chez la souris où s'opère la transformation de la DHEA en 7*-hydroxy DHEA. La réponse est étonnante ; la présence de 7*-hydroxy DHEA est révélée dans l'organisme tout entier, en particulier au niveau des organes "barrières" tels que la peau, le foie, l'intestin, la prostate, le cerveau...

Parallèlement, il est démontré que la 7*-hydroxy DHEA, injectée en même temps qu'un antigène, produit les mêmes effets bénéfiques que la DHEA, administrée en dose beaucoup plus importante, une heure avant l'injection de ce même antigène (expériences réalisées sur des souris et des cultures de cellules immunitaires humaines).

La 7*-hydroxy DHEA peut donc être la molécule effectrice...

Le mécanisme d'action :

Débutent ensuite des recherches plus précises sur le mécanisme d'action de cette molécule activatrice de la réaction immunitaire.

"Nos travaux se sont alors basés sur le parallèle établi entre l'omniprésence de la 7*-hydroxy DHEA dans l'organisme et celle des glucocorticoïdes", nous explique M. Morfin. "Nous avons ainsi pensé que la 7*-hydroxy DHEA pouvait être, en quelque sorte, un "anti-glucocorticoïde" ; et, bien que son mécanisme d'action ne soit pas encore bien résolu, les premiers résultats sur le sujet confortent ce schéma et dépontrent un mécanisme paracrine".

La 7*-hydroxy DHEA prévient l'incorporation nucléaire du récepteur glucocorticoïde, et s'oppose, ainsi, au déclenchement de l'action locale des glucocorticoïdes...

La bioproduction de 7*-hydroxy DHEA :

"Afin de pouvoir réaliser des études conséquentes, des quantités pondérales importantes de 7*-hydroxy DHEA sont nécessaires. Mais, sa production chimique à partir de la DHEA est coûteuse", souligne le Pr Morfin. "Nous nous sommes donc tournés vers sa bioproduction"

Premiers résultats : une moisissure, le Fusarium moniliforme, effectue la 7*-hydroxylation, et la culture de ce champignon sur milieu contenant de la DHEA conduit à plus de 95% de transformation en 7*-hydroxy DHEA. Par ailleurs, dans l'optique de poursuivre ses travaux sur le modèle animal dans les meilleures conditions, le Laboratoire a travaillé avec succès sur la transformation des levures avec le gène de la 7*-hydroxylation de la souris.

"Cet outil, mis au point en collaboration avec l'équipe de Denis Pompon (CNRS, Gif-sur-Yvette), a permis l'étude du cytochrome P450 -catalyseur de la réaction d'hydroxylation-, et offre également d'intéressantes perspectives pour la fabrication de levures ayant la capacité de produire directement la 7*-hydroxy DHEA", ajoute M. Morfin.

Aujourd'hui en mesure de disposer d'importantes quantités de 7*-hydroxy DHEA, le Laboratoire de Biotechnologie du CNAM poursuit ses recherches, tout particulièrement sur le plan du mécanisme d'action de ces stéroïdes "anti-glucocorticoïdes"...

Quatre brevets ont, d'ores et déjà, été déposés par le CNAM et licenciés en exclusivité auprès de la société VITASTEROL dont l'objectif vise à leur exploitation industrielle...

Applications industrielles. Au premier plan : la cosmétique et la pharmaceutique...

Les résultats des recherches menées par l'équipe du Pr Morfin peuvent intéresser à plus d'un titre les industries cosmétiques et pharmaceutiques. En effet, lors du vieillissement ou de pathologies, les taux de glucocorticoïdes circulants ne varient guère alors que ceux de la DHEA et de la 7-hydroxylation diminuent considérablement. Les effets des glucorticoïdes (immunosuppression, amincissement de la peau, redistribution des graisses, ostéoporose...) deviennent alors prépondérants.

Comme nous l'explique le Pr Morfin, "La DHEA présente une activité bénéfique contre ces effets, mais doit être administrée à des doses trop importantes pour être sans danger. Les autres stéroïdes identifiés au laboratoire, à l'exemple de la 7*-hydroxy DHEA, dérivent naturellement de la DHEA, sont plus actifs et sont dénués des activités hormonales exercées par la DHEA".

Leur utilisation en tant qu'agents antiglucorticoïdes et anti-vieillissement correspond donc à un large marché. Cependant, des compléments d'études sur leur mode d'action et le contrôle de leur production doivent encore être menés à leur terme.

Perspectives...

Avec le soutien de financements publics ou dans le cadre de contrats industriels, les travaux pourront être poursuivis avec les objectifs suivants :

- Rechercher parmi les cellules immunitaires les cibles atteintes par la 7*-hydroxy DHEA et connaître les mécanismes mis en oeuvre.

- Estimer le potentiel d'application de la 7*-hydroxy DHEA en tant qu'adjuvant dans la vaccination des personnes agées.

- Détecter le cytochrome P450 de la 7*-hydroxylation dans les tissus humains normaux et atteints de pathologies connues. Une relation entre la déficience en 7*-hydroxylation et les développements cancéreux est déjà étayée par quelques travaux...

Aujourd'hui, les brevets déposés par le CNAM sont passés en phase d'exploitation pour des applications cosmétiques, et des applications pharmaceutiques sont envisagées...

S.DENIS