Avril 1999 - n°37

Le Dr Patrice Josset

L'Anatomo-pathologie appliquée à l'étude des momies...

Le Dr Patrice Josset est Docteur en médecine, spécialisé en anatomo-pathologie ; il exerce actuellement au sein de l'Hôpital d'Enfants Armand Trousseau à Paris.

Néanmoins, l'article qui lui est consacré aujourd'hui illustre une activité d'un tout autre temps : la paléopathologie et la paléohistologie... une véritable passion pour ce médecin égyptologue qui s'est, tout particulièrement, tourné vers l'étude de la momification...

La médecine antique à l'honneur...

Le Dr Patrice Josset s'intéresse depuis fort longtemps à la médecine ancienne, et plus précisément à l'histoire pharaonique et ses mystérieux rituels de la momification.

C'est tout d'abord dans la littérature antique qu'il puise les premières bases de son expertise. Latiniste averti, il apprend également l'égyptien hiéroglyphique et commence à traduire les papyrii médicaux. Un énorme travail de recensement bibliographique, de tri et de synthèse commence alors, au coeur de l'Histoire de la Chimie et de la pharmacopée antique...

Parallèlement, les missions sur le terrain se succèdent.

Le Dr Josset collaborent à plusieurs reprises avec d'autres chercheurs aux compétences complémentaires : égyptologues, chimistes, médecins, archéologues, spécialistes de la parasitologie et de la palynologie (étude des pollens)...

Il étudie ainsi, sur le plan de l'anatomo-pathologie et de l'histologie, tout type de prélèvements anciens ; vieux pour certains de quelques siècles et, pour d'autres, de plusieurs millénaires... comme tel est le cas des premières momies égyptiennes (environ 2600 ans avant J.C.).

A noter, en particulier, une collaboration de longue date avec le Pr J.C. Goyon, Directeur de l'Institut d'Egyptologie de l'Université de Lyon II. C'est d'ailleurs, sous sa coordination, au sein d'une équipe de recherche multidisciplinaire (CNRS, Musées, Hôpitaux, Universités...), que le Dr Josset a eu l'opportunité de participer à l'autopsie complète d'une momie égyptienne ; un projet initié en 1987 au sein du Musée d'Histoire Naturelle de Lyon...

"L'idée directrice de cette recherche était d'acquérir de nouvelles connaissances sur les pratiques réelles de la momification tout en s'intéressant également à divers aspects médicaux tels que l'âge et l'état du défunt, les maladies dont il avait pu souffrir et les causes éventuelles du décès...", nous explique le Dr Josset.

Les techniques les plus modernes à la découverte des savoir-faire antiques...

Dans le cas de la momie de Lyon, toutes les conditions étaient réunies pour une étude optimale et approfondie ; l'opération a, en effet, pu être conduite dans sa globalité, depuis l'observation au scanner - avant même de toucher à la première bandelette ! -, jusqu'à l'analyse des moindres fragments tissulaires après dissection.

Néanmoins, la plupart des travaux réalisés sur des restes anciens ne dispose pas de cette liberté d'action et, les prélèvements doivent être faits en fonction de leur accessibilité afin d'éviter toute mutilation importante.

... les techniques :

Les techniques utilisées et, tout particulièrement, la phase de préparation varient donc sensiblement selon les échantillons analysés ; cependant, l'une des étapes cruciales réside toujours dans la réhydratation. "En effet, la réalisation de coupes à partir de matériel desséché présente des difficultés pratiques importantes. Et, il n'est pas rare qu'en cours de réhydratation les échantillons fondent complètement", souligne le Dr Josset. "C'est pour cette raison que nous avons développé, lors de l'autopsie de la momie de Lyon, une nouvelle technique reposant sur l'utilisation de résine : après une réhydratation préalable et délicate, les échantillons de tissus sont inclus dans une résine, débités en coupes fines et colorés..."

Toutes les approches de l'histologie et de l'anatomie pathologique peuvent ainsi être exploitées ; microscopie optique, microscopie électronique à transmission et à balayage sont, en particulier, utilisées...

Les techniques les plus modernes de la physico-chimie et de la biologie sont par ailleurs mises en oeuvre : la spectrométrie de masse pour l'aspect chimique et biochimique des constituants, notamment des résines ; la biologie moléculaire et l'analyse génétique pour déterminer les groupes sanguins, identifier les maladies de l'Antiquité ou encore détecter l'ADN fossile...

... les résultats :

Il est encore impossible de définir avec précision l'intégralité du procédé de momification ; d'autant plus que les pratiques rituelles semblent avoir évolué en fonction des époques et, peut-être, des circonstances...

Toutefois, l'on connaît aujourd'hui les principales étapes de l'embaumement des momies égyptiennes :

1/ le lavage du corps correspondant aux purifications rituelles, l'épilation et la teinture ;

"La teinture semble répondre à la volonté de rendre à l'épiderme les couleurs traditionnelles de la vie", nous précise M. Josset. "Bien qu'on ignore encore tout de la véritable composition de ce mélange, il est possible qu'il ait, également, eu un rôle antiseptique provisoire, agissant jusqu'à la phase chirurgicale suivante..."

2/ l'éviscération et l'excérébration : deux actions à forte connotation sacrée, mais qui permettent également d'éviter la décomposition trop rapide engendrée par l'arrêt des processus vitaux, la prolifération des bactéries et accélérée par la chaleur régnant en Egypte...

3/ la déshydratation par le natron : ce mélange naturel de sels puisé en Egypte et constitué de carbonate et bicarbonate de soude (Na2CO3 et NaHCO3), de chlorure de sodium (NaC1) et de sulfate de sodium (Na2SO4). Utilisé pour son fort pouvoir absorbant, il visait avant tout à éliminer l'eau, mais aussi à solubiliser les graisses...

4/ l'ajout d'huiles, de résine et d'onguents qui, outre son côté rituel très élaboré, permettait d'assouplir la peau et de réaliser l'imperméabilisation définitive après la déshydratation...

5/ l'opération de bandelettage, basée sur la superposition de nombreuses couches de tissus, de bandelettes et de matériel de bourrage...

... avant le transport de la momie vers le tombeau et le traditionnel rituel de l'enterrement...

Ainsi redécouvertes au fil des recherches, l'époque pharaonique et ses fascinantes traditions nous livrent leurs secrets ; et loin de se limiter à de nouvelles données historiques, ces travaux, comme l'ensemble de ceux menés en médecine antique, trouvent des implications directes en terme d'actualité scientifique.

"En effet, grâce à l'Histoire de la pharmacologie, il est notamment possible de mettre en évidence l'utilisation de certaines plantes dans les traitements médicaux de l'époque", nous confie le Dr Patrice Josset. "Une même plante prodiguant les mêmes effets hier et aujourd'hui, nous pouvons envisager d'intéressantes applications thérapeutiques contre les pathologies actuelles..."

Mais, il est cependant important de reconnaître que l'un des obstacles majeurs auquel se heurte la recherche archéologique est le manque de moyens financiers.

M. Josset, comme la plupart de ces confrères animés par la même passion, travaille à titre entièrement bénévole ; mais rien pourtant ne pourra freiner son engouement pour la médecine antique et l'égyptologie. "L'Histoire de la pharmacopée a encore beaucoup de choses à nous révéler et, il est important, pour l'étude plus poussée des procédés de momification, d'engager de nouveaux partenariats, en particulier avec les spécialistes de la chimie analytique...", conclut M. Josset.

L'appel à collaborations est donc lancé ! !...

Soulignons que le Dr Josset est d'ores et déjà l'auteur de nombreuses publications, dont le livre "Un corps pour l'éternité, autopsie d'une momie" (aux éditions Le Léopard d'or), co-écrit avec le Pr Goyon à l'occasion des recherches réalisées sur la momie de Lyon...

S.DENIS