Septembre 1999 - n°40

Alain FISCHER et Marina CAVAZZANA-CALVO, Hôpital Necker ­ Paris ; Lauréats du Prix Scientifique PHILIP MORRIS 1999 en Thérapie Génique

Le Prix Scientifique Philip Morris 1999, sous la coordination de son Comité de parrainage présidé par le Professeur Yves Coppens, récompense cette année deux disciplines, au cœur de la richesse et du dynamisme de la recherche française : la Thérapie Génique et l'Histoire.

La remise de ce Prix doté de 400 000 F s'est déroulée le mardi 15 juin dans les Salons de Boffrand de la Présidence du Sénat.

Au Palmarès : Alain Fischer et Marina Cavazzana-Calvo, pour la mise au point du traitement par transfert de gène de l'une des formes les plus sévères de déficits immunitaires.

Professeur des Universités, Alain Fischer est praticien hospitalier à l'Hôpital Necker, responsable du service "Immunologie et Hématologie Pédiatriques" et Directeur de l'Unité 429 de l'INSERM "Développement normal et pathologique du système immunitaire".

Marina Cavazzana-Calvo est praticien hospitalier, également à l'Hôpital Necker, et responsable du Laboratoire de thérapie cellulaire.

A propos des déficits immunitaires héréditaires...

Spécialistes des maladies héréditaires du système immunitaire chez l'enfant, Alain Fischer et Marina Cavazzana-Calvo travaillent notamment tous deux sur une maladie méconnue, appelée "déficit immunitaire sévère lié au chromosome X" (DICS lié à l'X).

Il existe un grand nombre de maladies génétiques affectant les cellules sanguines dont beaucoup sont potentiellement létales en l'absence de traitement par greffe de cellules - souches hématopoïétiques (moelle osseuse, en particulier).

Les déficits immunitaires héréditaires représentent une part notable de ces maladies. Elles se caractérisent par un déficit, plus ou moins sévère, des capacités des globules blancs (lymphocytes ou polynucléaires) à lutter contre les différents micro-organismes responsables d'infections.

Le traitement de ces maladies par greffe de cellules hématopoïétiques, développé depuis une trentaine d'années, permet de guérir un grand nombre de patients à une condition majeure : que le malade dispose d'un donneur parfaitement compatible. Malheureusement, seule une petite fraction des patients (environ 20%) peut compter sur un tel donneur.

Dans les autres cas, les perspectives de guérison complète grâce à des traitements initiés depuis une dizaine d'années ne concernent qu'un enfant sur deux.

Le pari de la thérapie génique ?

Modifier le comportement des cellules malades en introduisant un gène qui va permettre de fabriquer une protéine dotée de propriétés thérapeutiques.

"Nous avons, tout d'abord, localisé et décrit avec précision le gène responsable de la "DICS lié à l'X" ", explique Marina Cavazzana-Calvo. "Nous l'avons ensuite traité en laboratoire, avant de le réintroduire dans les cellules modulaires et ceci, afin d'obtenir une maturation correcte des lymphocytes T".

Le développement des outils modernes de la génétique a en effet permis une identification des gènes responsables de bon nombre de ces maladies engendrées par des déficits immunitaires héréditaires. La connaissance de ces gènes, et en partie de la fonction de leurs produits, ouvre au moins en principe la perspective d'une thérapie génique de ces pathologies.

Les différentes catégories de globules blancs, impliquées dans la quasi-totalité de ces maladies, se différencient à partir d'une cellule, la cellule - souche hématopoïétique, dotée d'une capacité d'auto-renouvellement. C'est sur cette notion même que se dessine la perspective de corriger un déficit immunitaire par thérapie génique... à condition que le gène thérapeutique puisse être inséré dans le génome des cellules - souches hématopoïétiques.

Cette possibilité n'est pas directement envisageable à ce jour, car les systèmes de transport des gènes utilisés en thérapie génique - des vecteurs qui, bien souvent, sont des virus -ne permettent pas encore d'introduire les gènes thérapeutiques dans le génome des cellules- souches hématopoïétiques.

"Nous savons aujourd'hui que les différentes formes de lymphocytes sont issues d'une cellule souche lymphoïde, capable de se multiplier de façon très efficace", précise M. Fischer. "Nous pouvons donc concevoir que l'insertion d'un gène thérapeutique dans ces cellules apporterait un bénéfice durable (à défaut d'être permanent) dans le traitement des déficits immunitaires qui concernent les lymphocytes. Ces derniers, une fois produits, ont en effet une très longue durée de vie, c'est à dire plusieurs années..."

Parcours d'une recherche : des travaux in vitro aux essais cliniques

"Nous nous sommes intéressés à la mise au point du traitement par transfert de gènes des formes les plus sévères de déficits immunitaires héréditaires des lymphocytes, appelés déficits immunitaires combinés sévères (DICS), et en particulier le DICS par déficit en récepteur de cytokines *c", explique Alain Fischer. "Il s'agit d'une série de maladies caractérisées par un défaut complet de production de la catégorie la plus importante des lymphocytes responsables de l'immunité cellulaire : les lymphocytes T."

C'est sur l'une de ces maladies que se sont axées les recherches d'Alain Fischer et Marina Cavazzana-Calvo. Elle affecte les garçons, car le gène est situé sur le chromosome X, et s'exprime de façon récessive.

Fruit de ces travaux : la construction d'un rétrovirus défectif contenant l'ADNc de *c, c'est-à-dire non pathogène, contenant la copie normale du gène défectueux dans cette maladie.

L'objectif étant d'essayer d'introduire ce gène dans les cellules déficientes des patients.

Une série de travaux expérimentaux a permis de montrer qu'il était possible in vitro de corriger efficacement le défaut d'expression de cette protéine, mais aussi d'induire la différenciation en lymphocytes T et Natural Killer. Ainsi, a-t-il été possible d'en restaurer la fonction permettant le développement des lymphocytes déficients au cours de cette maladie.

"Nous avons mis au point l'ensemble des pré-requis expérimentaux pour la réalisation d'un essai clinique. La prochaine étape est donc d'appliquer cette thérapie aux patients eux-mêmes.", explique M. Fischer. "Le protocole ayant obtenu l'ensemble des autorisations des instances réglementaires, nous prévoyons de le tester, avec l'accord des parents bien entendu, sur cinq enfants, courant 1999. Au bout d'un an, nous saurons si la thérapie est efficace. Si les patients sont guéris, ils le seront pour la vie ; aucun autre traitement ne sera associé..."

Certes, il demeure une part d'incertitude quant au pronostic final. Même s'ils concernent une pathologie rare, les travaux d'Alain Fischer et Marina Cavazzana-Calvo représentent un enjeu très vaste : en terme de thérapie génique, ce type de maladie constitue un modèle excellent, sans doute le meilleur.

La démonstration de l'efficacité complète de ce traitement permettrait d'en étendre l'application à d'autres formes de déficits immunitaires héréditaires...

S.DENIS

Contact :

Marielle TORTORELLI