Janvier 2000 - n°44

L'équipe Séparation Supramoléculaire du Dr Michel MARTIN - ESPCI, Paris

A l'interface de la chimie analytique et de l'hydrodynamique physique...

Il y a 10 ans M. Michel MARTIN, Directeur de Recherche au CNRS, rejoignait le Laboratoire de Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes de l'ESPCI et y créait le Groupe Séparation Supramoléculaire. Une décision mûrement réfléchie, solidement ancrée autour de la volonté d'approfondir ses travaux sur la séparation analytique d'espèces supramoléculaires par FFF.

" La FFF est une alternative aux techniques d'électrophorèse capillaire et de chromatographie pour l'analyse de composés complexes ", souligne M. MARTIN. " Décrite pour la première fois par GIDDINGS en 1965, elle offre aujourd'hui un spectre d'applications particulièrement large, depuis l'analyse de macromolécules en solution, de masses moléculaires relativement faibles, jusqu'aux particules de taille micronique d'origine aussi bien naturelle, biologique que synthétique... "

Gros plan sur 10 années de recherche et des perspectives prometteuses pour la chimie de demain.

De l'HPLC à la FFF

Michel MARTIN, chimiste de formation, est certainement le premier, en France, à avoir réalisé et soutenu une thèse entièrement dédiée à l'HPLC. Chercheur CNRS au sein de l'Ecole Polytechnique, il travaille alors dans le laboratoire de Chimie Analytique Physique du Professeur GUIOCHON, spécialiste incontournable des sciences séparatives. En 1976, il part aux Etats-Unis et intègre pour deux ans l'équipe du Professeur GIDDINGS, à Salt Lake City, Université d'Utah, dans le cadre d'un stage post-doctoral. C'est là qu'il découvre la technique de Fractionnement par couplage Flux-Force (FFF, en anglais : " Field-Flow Fractionation "), et s'intéresse tout particulièrement à ses aspects mécanistiques. Une expérience outre-Atlantique qui, à l'image de sa formation auprès du Pr. GUIOCHON, marquera irrévocablement le cursus de M. MARTIN !

De l'Ecole Polytechnique à l'ESPCI

Dès son retour en France, en 1978, il crée en effet le Groupe FFF au sein de l'Ecole Polytechnique... avant de rejoindre en 1988 le Laboratoire de Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes de l'ESPCI (Ecole Supérieure de Physique et Chimie Industrielles).

" Plusieurs raisons ont motivé cette intégration au sein de l'ESPCI, dont l'une, majeure, était d'approfondir les recherches en cours sur les polymères tout en se rapprochant des compétences de physiciens hydrodynamiciens ", précise M. MARTIN. " L'aspect hydrodynamique s'est, en

effet, révélé primordial pour la séparation par FFF, et d'autant plus que les espèces étudiées sont grosses... "

Ainsi tout juste entré à l'ESPCI, M. MARTIN fonde l'équipe Séparation Supramoléculaire dans le Laboratoire Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes. UMR du CNRS, ce dernier compte au total plus de 70 personnes : chercheurs CNRS et enseignants-chercheurs : Professeurs de l'ESPCI et de l'Université, Maîtres de conférences ; élèves ingénieurs, DEA, étudiants en thèse et

post-doctorants. L'équipe Séparation Supramoléculaire accueille elle-même, régulièrement,

étudiants de l'ESPCI et visiteurs internationaux, avec une volonté toujours très affirmée de développer de nouvelles collaborations en France comme à l'étranger.

La FFF : un principe général

Le principe de la technique FFF est très proche de celui de la chromatographie, à cette différence près qu'un champ de force externe est appliqué perpendiculairement à l'écoulement du liquide vecteur. Ainsi, les espèces analysées se trouvent plus ou moins attirées vers les parois du canal en fonction de l'intensité du champ de force orthogonal et de leurs caractéristiques intrinsèques... tout en migrant transversalement sous l'influence du flux d'écoulement laminaire (une particule positionnée au centre du canal est moins retenue qu'une autre située au voisinage de la paroi). En résulte une distribution bien spécifique des molécules de chaque espèce perpendiculairement aux parois d'accumulation (gradient de concentration). Leur migration, sous l'action du liquide vecteur, jusqu'à la sortie du canal, confère un temps de séjour propre à chaque espèce.

pour une famille de techniques

" Bien qu'elle puisse être considérée comme une méthode de chromatographie à une phase, de nombreux développements ont montré que le terme de FFF recouvre aujourd'hui toute une famille de techniques de séparation ; autant de techniques que de types de champ de force utilisés... "

L'équipe du Pr MARTIN en étudie tout particulièrement trois :

1/ la FFF sous champ gravitationnel terrestre, régie par des forces hydrodynamiques de portance

pour la séparation de particules de taille supérieure au micromètre.

2/ la FFF thermique, où le champ de force appliqué (effet de diffusion thermique, dit " effet Soret ") résulte de la mise en œuvre d'un gradient de température entre les deux parois du canal pour la séparation de polymères en solution, en fonction de leur masse moléculaire (même très élevée ; jusqu'à plus de 30 000 000 daltons), et de copolymères, en fonction de leur composition et de leur conformation.

3/ FFF par sédimentation centrifuge particulièrement bien adaptée à la séparation et la caractérisation de supramolécules colloïdales submicroniques (de 0,05 à 1 micron) et microniques. Le canal, dans cette méthode, est logé à l'intérieur d'une centrifugeuse permettant de créer un champ de force centrifuge, appliqué perpendiculairement à l'écoulement.

Entre autres atouts

La technique FFF offre une meilleure sélectivité que la technique de chromatographie d'exclusion stérique habituellement utilisée pour séparer les polymères et permet de pallier aux difficultés d'analyse des espèces supramoléculaires, " qui, comme le souligne M. MARTIN, sont souvent liées à

l'adsorption quasiment irréversible de ces espèces sur les supports classiques ". " Ainsi, par ses différentes sous-techniques, la FFF est applicable à un vaste ensemble de molécules. Elle possède l'avantage d'être aisément ajustable en fonction de l'échantillon à analyser (choix du type et de

l'intensité du champ appliqué)... et permet, outre la séparation à haute résolution de composés selon leur taille et leur masse, un fractionnement en fonction de la densité, de la composition chimique ou d'autres propriétés propres aux macromolécules et particules... "

Objectifs 2000

Plus d'un tiers de siècle après ses premiers développements, la FFF a su convaincre par ses performances, mais beaucoup de points restent encore à éclaircir quant à ses mécanismes physico-chimiques. Aussi, l'équipe Séparation Supramoléculaire s'est-elle fixé un certain nombre de priorités :

- une meilleure compréhension des forces de portance hydrodynamiques et de

l'effet Soret ;

- le couplage de la technique FFF avec un détecteur à diffusion de la lumière, pour l'obtention d'informations complémentaires sur les macromolécules (masse moléculaire moyenne en poids, rayon de giration, degré de branchement, conformation, anisotropie...) ;

- de nouvelles applications telles que l'isolement des protéines du plasma ou la séparation de marqueurs magnétiques en immunologie....

et, dès le retour des Etats-Unis de Maurice HOYOS : la mise au point d'une version " continue " de la technique FFF, grâce à l'application du procédé SPLITT (split-flow thin).

" L'optimisation des performances de la technique FFF passera, par ailleurs, irrévocablement par l'augmentation de son efficacité grâce à une diminution de l'épaisseur des canaux utilisés (miniaturisation du système) et son évolution vers un concept électro-osmotique (différence de courant électrique entre l'entrée et la sortie de colonne, plutôt que différence de pression) ", conclut Michel MARTIN...

Un projet que l'équipe entend développer activement grâce à l'accueil dans son équipe d'un chercheur CNRS supplémentaire et à l'établissement de collaborations nouvelles avec le secteur de la micro-électronique.

Pour de plus amples renseignements, vous pouvez vous référer à l'article " Pages Pratiques " à paraître prochainement dans La Gazette du Laboratoire ou contacter directement :

M. Michel MARTIN