Février 2000 - n°45

Jean GRAILLE, un scientifique montpelliérain du CIRAD spécialiste en biotechnologie des corps gras et lipochimie, obtient la médaille KAUFMANN 1999

Après avoir obtenu la médaille CHEVREUL 1997 honorant un chercheur français dans le domaine des lipides et des corps gras, Jean Graille vient d'être élu par ses pairs à l'échelle internationale pour être le lauréat du prix KAUFMANN 1999. Cette très haute distinction - en quelque sorte le "Nobel" des corps gras - est décernée tous les deux ans par les 24 organisations membres de l'International Society of Fat research (ISF) et Jean Graille est le premier français à obtenir cette suprême récompense. La remise de la médaille a eu lieu à Brighton (GB) lors du 23 ème congrès mondial de l'ISF au mois d'octobre dernier et, à cette occasion, Jean Graille a prononcé en séance plénière la "Kaufmann lecture" sur le thème "Providing biocatalysts through customizing lipases by different processes". La modification enzymatique des corps gras alimentaires à l'aide des lipases est en effet une grande spécialité du scientifique montpelliérain qui s'est lancé dans l'aventure de la biotechnologie des corps gras alors qu'elle était encore inexistante en France.

Jean Graille, pionnier de la biotechnologie des corps gras

Jean Graille a effectué ses études à l'Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Marseille. De chercheur au Laboratoire National des Matières Grasses de l'Institut des Corps Gras (ITERG) de 1965 à 1978 -où il soutient sa thèse en 1972 sur "l'isolement et l'étude par chromatographie sur couche mince des acides oxydés naturellement présents dans les corps gras"- il devient responsable en 1979 du Laboratoire de lipotechnie de l'Institut de Recherches pour les Huiles et Oléagineux (IRHO), organisme intégré par la suite dans le CIRAD. Jean Graille y poursuit depuis sa brillante carrière scientifique et dirige, au sein du Programme Agro-alimentaire du CIRAD, l'équipe "Sciences des Matériaux Alimentaires et Non Alimentaires - Lipotechnie" du département Amélioration des Methodes et Innovation Scientifique (CIRAD-AMIS).

Plus de 150 publications et 15 brevets

Jean Graille anime des recherches autour de trois thèmes principaux : biotechnologie, oléochimie et technologie. Une approche concrète des problèmes et une connaissance du monde de l'industrie lui permettent de concilier recherches fondamentale et appliquée, "l'essentiel de nos recherches est mené en contrat avec les industriels du secteur agro-alimentaire mais aussi pharmaceutique et cosmétique " confirme Jean Graille.

Le biofaçonnement des corps gras

Le biofaçonnement des corps gras est un thème majeur des travaux menés par Jean Graille et ce sont les recherches originales qu'il a menées dans ce domaine qui ont été récompensées par la médaille Kaufmann. Jean Graille a notamment contribué au développement de l'interestérification enzymatique des huiles végétales. "Méthode alternative à l'interestérification chimique, l'interestérification enzymatique permet de mettre sur le marché des corps gras de meilleures qualités nutritionnelles " explique Jean Graille. L'interestérification, à partir des molécules différentes de triglycérides, intervertit la position de certains acides gras et modifie ainsi le point de fusion des huiles végétales traitées. L'interestérification est une opération courante en agro-alimentaire car elle permet de modifier, pour une utilisation précise, les propriétés rhéologiques d'un corps gras. Or, le procédé classique d'hydrogénation sélective présente l'inconvénient majeur d'entraîner la formation d'acides gras insaturés trans aux effets nocifs sur la santé (élévation du taux de LDL -le "mauvais cholestérol"- et augmentation de la faculté d'agrégation des plaquettes sanguines avec risque associé de thrombose). L'interestérification enzymatique -à l'aide d'une lipase sélectionnée régiosélective 1-3 du triglycéride- répond à ce problème en évitant toute formation de forme trans avec les mêmes performances technologiques. "La méthode enzymatique présente même des avantages économiques car contrairement à l'interestérification chimique, il n'est pas nécessaire de raffiner ni de sécher l'huile au préalable et, de plus, le bioprocédé est mis en œuvre à basse température et permet des économies d'énergie " précise Jean Graille.

Dans la continuité de ces recherches sur les modifications enzymatiques des corps gras, le laboratoire de Jean Graille a réussi, pour la première fois au monde, la synthèse de triglycérides chiraux, ce qui lui a permis de déterminer les stéréospécificités des lipases les plus couramment utilisées en biotechnologie des corps gras.

D'autres travaux en biotechnologie initiés par l'équipe du CIRAD consistent à synthétiser -toujours à l'aide d'enzymes- des molécules amphiphiles aux propriétés hydrophobes et hydrophiles comme des esters d'acides gras et de sucres, des éthers de sucres et d'alcools gras ou des dérivés d'acides aminés et d'acides gras. Certaines de ces molécules sont étudiées dans le cadre de contrats avec l'industrie cosmétologique pour intégrer par exemple des bases pour shampooing doux. Des recherches sur la lipophilisation des protéines, à l'aide de greffage d'acides gras et d'alcools gras, sont aussi d'actualité dans le but de concevoir des films biodégradables avec un bon effet barrière aux gaz, aux microorganismes et à l'eau.

Au total, Jean Graille a signé à ce jour plus de 150 publications scientifiques dans des revues internationales et son laboratoire est détenteur de 15 brevets dont celui déposé avec une société allemande sur la production de l'huile de drupalm. Cette huile résulte de l'utilisation du fruit entier, chair et noyau, jusqu'alors séparés pour la production respective de l'huile de palme et de l'huile de palmiste. "Cette huile vierge rouge d'une qualité nutritionnelle exceptionnelle est en quelque sorte l'équivalent tropical de l'huile d'olive " précise Jean Graille. Une première unité de production de cette huile démarrera prochainement au Pérou.

De nombreux projets en cours et à venir

Jean Graille a présidé en 1987 et 1988 l'Association Française pour l'Etude des Corps Gras (AFECG) et participe aujourd'hui avec ses collègues européens à la création de la future European Federation For Lipid Research and Technology (EFL), une fédération européenne des sociétés savantes nationales.

Son équipe "Sciences des Matériaux Alimentaires et Non Alimentaires - Lipotechnie" a été retenue -avec quatre autres laboratoires français - pour entrer dans le tout nouveau réseau "lipotechnie" financé par le MENRT et l'industrie (Avec l'aide de l'Organisation Nationale Interprofessionnelle pour le Développement des Oléagineux-ONIDOL). Le but de ce réseau est de favoriser l'innovation et les nouvelles technologies dans le domaine de l'obtention et de la transformation des corps gras. L'équipe de Jean Graille travaille pour sa part sur la mise au point de l'extraction de l'huile de pépins de raisin et sur le microbroyage des graines oléagineuses.

Par ailleurs, son laboratoire devrait prochainement intégrer la nouvelle UMR "Génie des Procédés et Sciences des Aliments" en cours de constitution sur Montpellier. Cette nouvelle unité dirigée par le Professeur Jean-Louis Cuq regroupera plusieurs entités : l'Université de Montpellier II, le CIRAD, l'INRA et l'IRD.

Une actualité scientifique particulièrement riche donc, pour ce sympathique chercheur animé d'un grand dynamisme et qui parle avec passion de ses recherches.

V. CROCHET

Contact:

Jean Graille