Octobre 2000 - n°51

Une toxine bactérienne, nouveau vecteur de vaccination anti-cancéreuse

Des chercheurs de l'Institut Curie viennent de démontrer, chez la souris, le potentiel vaccinal de la toxine de Shiga qui interagit avec les cellules immunitaires pour détruire les cellules cancéreuses. Ces résultats sont publiés dans le Journal of Immunology (15 septembre 2000).

Les cellules tumorales seules ne suffisent pas à déclencher une réponse immunitaire durable et efficace. Il faut accroître les défenses immunitaires en faisant intervenir les cellules dendritiques dites présentatrices d'antigènes, dérivées de la moelle osseuse et présentes dans tous les tissus. Véritables " sentinelles " de l'organisme, elles captent les antigènes étrangers et sont extrêmement efficaces pour stimuler les lymphocytes T cytotoxiques qui vont ensuite pouvoir se spécialiser dans la reconnaissance et la destruction des cellules tumorales correspondant aux antigènes présentés.

Le principe de la vaccination anti-tumorale est d'utiliser un vecteur pour acheminer les antigènes tumoraux vers ces cellules dendritiques.

Après les résultats prometteurs obtenus in vitro1 , les chercheurs de l'Institut Curie viennent de tester avec succès, sur la souris, l'utilisation de la toxine Shiga (fragment B non toxique) comme vecteur.

L'utilisation d'un vecteur bactérien est une alternative aux vecteurs viraux actuellement étudiés, qui présentent des risques de provoquer une maladie virale chez les patients immuno-déprimés, car, même atténué, le virus peut malgré tout se multiplier ou s'auto-répliquer.

Les chercheurs ont travaillé sur un modèle, le mastocytome, qui est un cancer touchant une catégorie particulière de cellules sanguines (mastocytes).

Ludger Johannes, responsable scientifique de la recherche sur la toxine de Shiga à l'Institut Curie (laboratoire de Bruno Goud)2 , a fusionné le fragment B de la toxine de Shiga avec un antigène tumoral, dérivé des cellules cancéreuses du mastocytome.

Ensuite, ce composé, dit protéine de fusion, a été injecté chez des souris selon le protocole de vaccination établi par l'équipe d'immunologistes du Dr Eric Tartour (unité du Pr Wolf H. Fridman) .

Chez les souris injectées, les chercheurs ont effectivement observé une stimulation des lymphocytes T cytotoxiques qui ont alors détruit les cellules cancéreuses.

En dehors des cellules dendritiques, les chercheurs ont découvert que la sous-unité B pouvait aussi induire la présentation de l'antigène dans les lymphocytes B, responsables de la sécrétion d'anticorps qui améliorent les défenses de l'organisme.

Ces travaux montrent que de nombreux composants du système immunitaire pourraient être efficacement activés par cette nouvelle approche vaccinale, augmentant ainsi les chances d'éliminer les tumeurs.

Cette stratégie pourrait être utilisée dans la prévention des rechutes, provoquées par des cellules tumorales ayant échappé aux traitements : l'organisme connaît déjà la tumeur et si on la lui présente une nouvelle fois, il doit pouvoir réagir plus rapidement et plus efficacement.

Ce vecteur de vaccination anti-tumorale va maintenant être testé sur d'autres types de cancers et sur des cellules humaines in vitro4 . Si le concept est validé par ces expériences, les essais cliniques pourront démarrer.

Publication

The B Subunit of Shiga Toxin Fused to a Tumor Antigen Elicits CTL and Targets Dendritic Cells to Allow MHC Class I-Restricted Presentation of Peptides Derived from Exogenous Antigens

Nacilla Haicheur*, Emmanuelle BismuthÝ, Sophie Bosset*, Olivier Adotevi*, Guy Warnierý, Valérie Lacabanne§, Armelle Regnault§, Catherine DesaymardÝ, Sebastian Amigorena§, Paola Ricciardi-Castagnoli, Bruno GoudÝ, Wolf H. Fridman*, Ludger Johannes and Eric Tartour1*

1 Investigateurs principaux

* Unité d'Immunologie Clinique, Institut de la Santé et de la Recherche Médicale, Unité 255, Université Pierre et Marie Curie, Institut Curie, Paris, France ; Ý Centre National de la Recherche Scientifique, Unité Mixte de Recherche 144, Laboratoire Mécanismes Moléculaires du Transport Intracellulaire, Institut Curie, Paris, France ; ý Institut Ludwig for Cancer Research, Brussels Branch, Brussels, Belgium ; § Institut de la Santé et de la Recherche Médicale, Unité 520, Institut Curie, Paris, France ; and ¶ Department of Biotechnology and Bioscience, University of Milan-Bicocca, Milan, Italy

The Journal of Immunology, 2000, 165: 3301-3308 (15 septembre)

1 " Major histocompatibility complex class I presentation of exogenous soluble tumor antigen fused to the B-fragment of Shiga toxin "

R.S. Lee, E. Tartour, P. van der Bruggen, V. Vantomme, I. Joyeux, B. Goud, W.H. Fridman et L. Johannes

European Journal of Immunology, vol 28, p. 1-10, 1998

2 Laboratoire " Mécanismes moléculaires du transport intracellulaire " (UMR 144 CNRS/Institut Curie)

3 Unité d'Immunologie Clinique, INSERM Unité 255, Université Pierre et Marie Curie, Institut Curie

Contacts

INSTITUT CURIE Catherine Goupillon

INSERM Claire Roussel

CNRS Thierry Pilorge

La toxine de Shiga est produite par Shigella dysenteriae, une bactérie invasive responsable d'une forme aiguë de dysenterie, mortelle en l'absence de traitement. Elle infecte les cellules cibles via un récepteur glycolipidique et est acheminée de la membrane cellulaire jusque dans certains compartiments particuliers de la cellule, comme le réticulum endoplasmique et le noyau, pour tuer la cellule. Son mode transport intracellulaire particulier en fait un " outil " de recherche particulièrement intéressant.