Décembre 2000 - n°53

Le point sur : l'unité Inserm 336 "Développement, plasticité, vieillissement du sytème nerveux"

Des recherches sur les aspects dynamiques de la structure et de la fonction du système nerveux des mammifères

Des applications cliniques pour les pathologies médullaires traumatiques et dégénératives

Le 1er juillet dernier, la revue internationale "Journal of neuroscience" publiait les résultats des travaux de l'unité Inserm 336 qui, en collaboration avec des chercheurs québécois et parisiens, est parvenue à restaurer une locomotion normale chez des rats dont la moëlle épinière était entièrement sectionnée. L'étude de la plasticité naturelle du système nerveux et le développement des nouvelles techniques de thérapies génique et cellulaire pour aider cette plasticité sont au cœur des préoccupations de l'unité Inserm 336 fondée en 1990 à Montpellier. Alain Privat, directeur de l'unité, est pionnier dans ce domaine puisqu'il travaille sur la plasticité du système nerveux depuis 1985, à une époque où seulement une poignée de laboratoires dans le monde s'intéressait à ce thème. Située sur la Faculté des Sciences et Techniques de Montpellier, l'unité Inserm 336 comprend une trentaine de personnes dont 12 chercheurs et enseignants-chercheurs titulaires, 9 techniciens, ingénieurs et administratifs et une dizaine de personnels non titulaires, doctorants, post-doctorants, stagiaires français et étrangers. "L'intitulé de l'unité (Développement, plasticité, vieillissement du système nerveux) décrit à la fois son champ d'action et la philosophie de nos recherches " explique Alain Privat. "L'accent principal est mis sur les aspects dynamiques de la structure et de la fonction du système nerveux des mammifères et nous nous efforçons d'établir un continuum entre les études fondamentales à objectif cognitif et les applications cliniques touchant en particulier les pathologies médullaires traumatiques et dégénératives " poursuit le directeur de l'unité.

Restaurer l'activité du "générateur de marche" : une expérience réussie chez le rat, porteuse d'espoir chez l'homme

Les travaux sur la motricité et la locomotion sont un axe majeur de l'unité qui travaille plus particulièrement sur les systèmes monoaminergiques (noradrénaline, sérotonine, dopamine) de la moëlle épinière. Dernière avancée marquante dans ce domaine, l'équipe d'Alain Privat et Minerva Giménez y Ribotta est parvenue à restaurer une activité locomotrice harmonieuse chez des rats paralysés suite à une section totale de leur moëlle épinière. Les chercheurs ont transplanté chez ces rats des neurones embryonnaires du tronc cérébral, au-dessous de la section, au niveau de la 11 ème vertèbre thoracique. Ces neurones appelés "cellules du raphé" sont spécialisés dans la production de sérotonine, médiateur que le cerveau envoie au "générateur de marche", un centre chargé de générer une activité locomotrice rythmique, c'est-à-dire coordonnée (flexion-extension) et alternée (entre les membres droits et gauches). La lésion de la moëlle épinière entraîne une perte du contrôle en provenance du cerveau et rend ce centre inactif. Deux mois après cette greffe, les rats ont récupéré une locomotion presque normale et présentent des fibres nerveuses productrices de sérotonine au niveau lombaire de leur moëlle épinière. Cette expérience réussie chez le rat offre une perspective d'étude de la restauration d'une activité locomotrice chez des paraplégiques en stimulant le "générateur de marche" par diverses stratégies mettant en œuvre la sérotonine. "La solution retenue chez le rat de greffer des cellules embryonnaires n'est pas possible pour des raisons éthiques chez l'homme mais la thérapie génique avec l'utilisation de cellules prélevées chez le malade lui-même et transfectées avec un gène gouvernant la synthèse de sérotonine est actuellement une des voies envisagées " précise Alain Privat. L'unité Inserm collabore sur ce point avec le laboratoire CNRS de biologie moléculaire de Jacques Mallet situé à La Pitié Salpêtrière. "Nous saurons d'ici cinq ans si la solution est envisageable chez l'homme " annonce Alain Privat.

Les chercheurs montpelliérains travaillent également sur des cellules souches du système nerveux central, des cellules qui restent indifférenciées dans le cerveau adulte et sont capables de se différencier en différents types cellulaires selon les stimuli qu'elles reçoivent. "Ces cellules ouvrent de nouvelles possibilités en thérapie génique et thérapie cellulaire " confirme Alain Privat.

Bloquer l'action du glutamate afin de limiter la destruction post-traumatique des cellules nerveuses

Un autre axe de recherche important de l'unité Inserm 336 concerne la commande excitatrice glutamatergique et plus particulièrement le récepteur NMDA et le canal calcium qui lui est associé. Le glutamate est le neurotransmetteur le plus représenté dans le système nerveux des mammifères et il est indispensable à son bon fonctionnement mais, présent en trop forte quantité, il est très toxique. Or, lors d'un traumatisme, les cellules nerveuses détruites laissent échapper le glutamate intracellulaire qui agit sur les nombreux récepteurs au glutamate présents dans le système nerveux et notamment les récepteurs NMDA. Ces derniers s'ouvrent et laissent entrer en trop grande quantité le calcium dans les cellules qui explosent libérant à leur tour du glutamate ... On assiste ainsi à une onde progressive de destruction des cellules nerveuses autour de la lésion d'origine. L'unité 336 a mis au point, en collaboration avec J.-M. Kamenka de l'Ecole de Chimie de Montpellier et le laboratoire pharmaceutique Ipsen-Beaufour, un antagoniste du glutamate qui bloque l'activité du neurotransmetteur sur le récepteur NMDA et limite les lésions post-traumatiques. Les études cliniques de phase I et II (menée sur 300 accidentés de la route) ont donné des résultats prometteurs et la phase III est actuellement en projet. "Les applications de cette molécule concernent les lésions traumatiques mais aussi les accidents vasculaires cérébraux " explique Alain Privat.

A côté de ces deux axes de recherches très avancés, l'unité développe des travaux plus en amont sur la commande inhibitrice gabaergique et sur la mort neuronale qui accompagne le vieillissement. Ces deux thèmes qui s'inscrivent sur du long terme intéressent également deux pathologies importantes chez l'homme : la paralysie spastique et la sclérose latérale amyotrophique.

" A ces quatre grandes voies de recherche, il faut rajouter un thème transversal essentiel à notre unité qui est l'interaction glie-neurone. La glie sort en effet peu à peu du strict cadre métabolique qui a longtemps été le sien pour prendre une place croissante dans les remaniements structuraux mais aussi dans la modulation à moyen et long terme des neurotransmissions monoaminergiques, glutamatergiques et gabaergiques " précise Alain Privat.

L'ensemble de ces recherches s'appuie sur une grande variété de techniques qui vont de la biologie moléculaire au comportement en passant par une très large palette de techniques morphologiques qui sont la culture de base du laboratoire.

Les travaux de l'unité 336 apportent de grandes avancées scientifiques dans le traitement et la prévention de pathologies humaines particulièrement lourdes. Les recherches fondamentales sur la physiologie du système nerveux associées au développement des nouvelles méthodes de thérapies génique et cellulaire laissent envisager des progrès médicaux importants dans les années à venir.

V. CROCHET

Contact :

Alain Privat

Unité 336 Inserm