Avril 2001 -n°57

Découverte, dans le cerveau du grillon domestique adulte, d'une neurogenèse persistante

La découverte d'une neurogenèse persistante chez le grillon adulte et sa régulation par des facteurs internes (hormonaux) et externes (stimuli sensoriels) a valu à Myriam Cayre, chargée de recherche au Laboratoire de Neurobiologie de Marseille (*), la médaille de bronze du CNRS qui lui a été remise le 12 décembre dernier par Jean Mariani chargé de mission scientifique au département Sciences de la Vie. Vétérinaire formée à l'Ecole de Lyon, Myriam Cayre a exercé en consultations avant de se tourner vers la recherche fondamentale. Elle intègre alors le Laboratoire de Neurobiologie pour y effectuer son D.E.A. puis sa thèse. Recrutée par le C.N.R.S après un stage post-doctoral à Cambridge, elle poursuit depuis ses recherches au sein du laboratoire marseillais. "Une homogénéité dans la thématique qui m'a permis de bien avancer dans mes recherches et m'a aidé pour l'obtention de cette première reconnaissance du C.N.R.S." explique Myriam Cayre. Ses travaux, souvent réalisés en collaboration avec des laboratoires étrangers (UK, USA, Taiwan), ont fait l'objet de nombreuses publications dans les meilleures revues internationales de la discipline.

La neurogenèse adulte

Les découvertes récentes concernant une neurogenèse persistante à l'âge adulte chez plusieurs espèces y compris chez l'homme ont bouleversé la communauté scientifique et remis en question quelques croyances. Jusque là, les chercheurs pensaient qu'aucun neurone ne pouvait être formé dans le cerveau des vertébrés supérieurs après la naissance et que la quantité de neurones chez l'individu adulte ne pouvait que dégénérer ou au mieux se maintenir. De la même façon, la mise en évidence que de nouvelles cellules nerveuses s'ajoutent à certaines structures du cerveau adulte du grillon bat en brèche le dogme selon lequel le comportement inné relativement inflexible des insectes était sous-tendu par une circuiterie neuronale figée, passée la phase larvaire de croissance du système nerveux.

Hippocampe et corps pédonculés, sièges de la neurogenèse adulte

Seules certaines structures du système nerveux central voient la neurogenèse se poursuivre à l'âge adulte. Chez les mammifères, la production de neurones persiste en deux endroits, une zone dite "sous-ventriculaire" et le "gyrus dentelé" de l'hippocampe. Chez le grillon domestique (Acheta domesticus), elle a lieu uniquement dans le corps pédonculé, une structure cérébrale paire généralement considérée comme un analogue fonctionnel de l'hippocampe parce que l'une comme l'autre de ces structures sont impliquées dans la mémoire et l'apprentissage. La découverte d'une neurogenèse persistante à l'âge adulte dans les corps pédonculés du grillon comme dans l'hippocampe des mammifères renforce le parallèle établi depuis longtemps entre ces deux structures et rend d'autant plus intéressant ce modèle d'étude retenu pour son accessibilité.

Une régulation hormonale

"La neurogenèse adulte nécessite la multiplication des neuroblastes. En se divisant, les neuroblastes donnent naissance à de nouveaux neuroblastes (régénération du stock) mais aussi à descellules précurseurs de neurones qui elles-mêmes se différencient en neurones qui s'intègrent dans le cortex des corps pédonculés" explique Myriam Cayre, "nous avons mis en évidence que l'intensité de la division des neuroblastes chez le grillon est régulée par les hormones morphogénétiques : l'hormone de mue (ecdysone)et l'hormone juvénile". La neurogenèse est inhibée par l'ecdysone et stimulée par l'hormone juvénile, une hormone sécrétée par une paire de glandes endocrines situées à l'arrière du cerveau. L'hormone juvénile induit le maintien de caractères larvaires lors des mues puis stimule la croissance des ovaires chez la femelle adulte. Les recherches menées par Myriam Cayre ont montré que cette hormone a également le cerveau comme cible et qu'elle stimule la multiplication des neuroblastes dans le cortex des corps pédonculés. De plus, les chercheurs marseillais ont mis en évidence un intermédiaire de l'action de cette hormone : les polyamines, des polycations ubiquistes jouant un rôle clé dans les processus de multiplication et de différenciation cellulaire.

L'importance de l'environnement

L'environnement agit aussi pour moduler la production de nouveaux neurones dans le cortex des corps pédonculés du grillon. "C'est encore un parallèle frappant avec l'hippocampe des mammifères. En effet, chez la souris comme chez le grillon, des animaux élevés dans des cages pourvues de riches informations sensorielles ont une neurogenèse accrue par rapport à des animaux élevés en confinement sans possibilité d'explorer un univers diversifié" poursuit Myriam Cayre.

Vers une compréhension du rôle de la neurogenèse adulte

Les structures dans lesquelles a lieu la neurogenèse adulte étant toutes liées à une activité d'intégration sensorielle en provenance de l'environnement, l'hypothèse selon laquelle ces nouveaux neurones joueraient un rôle dans l'adaptation à l'environnement et permettraient une certaine plasticité neuronale est envisagée. L'observation du comportement de ponte chez les femelles grillon est, dans ce contexte, un moyen d'étude précieux car il nécessite l'intégration de nombreuses séquences allant de la recherche d'un substrat de ponte adéquat (activité sensorielle) à l'insertion de l'ovipositeur dans le sol (activité réflexe). Des zones cérébrales spécialisées dans l'intégration nerveuse doivent être impliquées dans la genèse de ce comportement, or les centres intégrateurs majeurs du cerveau des insectes sont justement les corps pédonculés qui sont le siège de la neurogenèse chez l'adulte. Des expériences antérieures menées par le Laboratoire de Neurobiologie ont déjà montré que l'hormone juvénile était nécessaire à l'expression du comportement de ponte et que ce comportement était fortement inhibé après ingestion de l'inhibiteur de la biosynthèse des polyamines bien que le taux d'hormone juvénile reste inchangé. "Mais, quel que soit le modèle, mammifère ou invertébré, nous ne connaissons pas encore avec certitude dans l'état actuel des recherches pourquoi cette neurogenèse se poursuit, nous continuons nos travaux pour permettre d'établir un lien causal entre la neurogenèse et la maturation d'un comportement complexe. Le cerveau du grillon apparaît comme un modèle d'étude adéquat pour comprendre le rôle joué par les hormones et les polyamines dans les phénomènes de maturation des fonctions neuronales et peut-être généraliser ces connaissances acquises aux mammifères. Par ailleurs, nous complétons nos recherches par des nouveaux travaux sur le rat pour préciser le processus chez les vertébrés" conclut Myriam Cayre.

V. CROCHET

(*) Le Laboratoire de Neurobiologie (UPR CNRS 9024) dirigé par Jean-Luc Clément a pour champ d'actions l'étude des signaux et des mécanismes de communication du système nerveux. Les recherches développées au laboratoire ont pour objectif de répondre à trois grandes questions fondamentales sur le fonctionnement du système nerveux : comment les informations provenant de l'organisme et de l'environnement sont-elles captées par les cellules sensorielles, comment ces informations sont-elles traitées et transmises par les neurones et comment toutes ces cellules communiquent-elles pour aboutir à des comportements normaux ou pathologiques ?

 

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Myriam Cayre