Mai 2001 - n°58

Du Laboratoire à l'Industrie….

Les Méthodes électroanalytiques multi-impulsionnelles vers la dernière étape d'une industrialisation

selon un article rédigé par la M.E.T. dans La Vitrine des Laboratoires de l'Université Pierre et Marie Curie

Maison Européenne des Technologies

 

Fondée sur de nouvelles méthodes électrochimiques multi-impulsionnelles, l'instrumentation développée par l'équipe de Jean Chevalet - Directeur de Recherche au CNRS au sein du Laboratoire LI2C (Liquides Ioniques et Interfaces Chargées) - devrait bientôt entrer dans une phase d'industrialisation.

Après l'ensemble des études fondamentales effectuées avec ses collègues N. Fatouras, D. Krulic et R.M. Reeves, la valorisation des recherches a été menée en collaboration avec l'Institut de Recherche de la société HYDRO QUEBEC.

A présent, plusieurs industriels, allemands notamment, semblent vivement intéressés par cette technologie qui, loin de se limiter à la détection de substances telles que les métaux lourds présents à l'état de traces dans l'environnement, devrait déboucher sur de nombreuses applications, notamment dans le secteur biomédical.

 

Une collaboration franco-canadienne réussie

Tout a commencé de façon optimale avec la société canadienne HYDRO QUEBEC.

"C'était il y a une dizaine d'années", se souvient Jean Chevalet. "Les canadiens cherchaient alors un moyen d'évaluer les taux de méthyl-mercure présent dans les eaux de la Baie James."

Suite à la mis en eau progressive d'une huitaine de barrages, une grande partie d'une région située au nord de Montréal et de Québec avait été inondée. La végétation d'une surface correspondant à plus de 12 000 km2 d'un bassin hydrologique de 170 000 km2 (un tiers de la France) se retrouvait ainsi sous l'eau, entraînant un important déséquilibre de tout l'écosystème local.

Résultat : l'activité de certains types de bactéries s'est peu à peu concentrée sur les métaux lourds présents, des métaux lourds contenus naturellement dans les roches du bouclier canadien ou générés durant des décennies par les fumées néfastes de la grande époque industrielle de Détroit et de la région des Grands Lacs.

Dans ce contexte, des processus de méthylation commencèrent à transformer le mercure présent en méthyl-mercure, un composé chimique bio-accumulable extrêmement nocif.

Descendant le courant de "Grande Rivière" en direction de la Baie James, ce produit dangereux, présent au niveau des nanogrammes par litre, n'a pas tardé à provoquer la colère des Indiens autochtones, consommateurs spécifiques des poissons contaminés. Plusieurs procès gagnés par ces populations obligent alors le gouvernement canadien à s'intéresser à ce problème de contamination.

Chargée de mesurer les taux de méthyl-mercure présent dans l'eau de la Baie James et de trouver une solution, l'entreprise HYDRO QUEBEC, à travers son centre de recherche l'IREQ, et l’équipe du Dr. G.Y. Champagne, finissent par contacter Jean Chevalet, à la suite d'une recherche bibliographique sur les nouveautés concernant les mesures de traces et ultra traces.

Dès lors, s'initie une collaboration dynamique avec de nombreux travaux communs et dépôts de brevets, "une collaboration excellente à tous points de vue", tient à souligner M. Chevalet. Une collaboration à laquelle est associée l'entreprise marseillaise PRECISION INSTRUMENT pour la réalisation des prototypes.

A la clef, un nouvel appareil pratiquement commercialisable.

Les difficultés d'une industrialisation

Si beaucoup de résultats satisfaisants sont produits sur le plan scientifique, les négociations initiées entre les différents acteurs dans le but d'une éventuelle commercialisation de cet appareil n'aboutissent pas. Les principales raisons tiennent à des réorganisations au niveau des thématiques scientifiques d'HYDRO QUEBEC.

Très intéressés par le développement de cette technologie prometteuse, les américains d'EG&G/PAR (parmi les leaders en matériel et instruments électrochimiques) semblent prêts à s'impliquer dans l'industrialisation de cette instrumentation. Mais, là encore, le projet n'aboutit pas, faute de parvenir à un accord qui puisse satisfaire l'ensemble des partenaires. Durant cette période, l'idée d' une start-up est évoquée. Il semble néanmoins difficile de créer ce type d'entreprise autour d'un mono-produit, aussi exceptionnel soit-il, faute d'un puissant support de communication.

Jean Chevalet n'abandonne pas pour autant. C'est par l'intermédiaire d'un thésard, parti à l'Université de Regensburg en Allemagne pour y effectuer des recherches, qu'il reprend contact avec le professeur Werner Kunz, lequel est aussitôt séduit lorsqu'il découvre l'appareil et ses applications potentielles.

Très vite, plusieurs démonstrations sont réalisées devant différents industriels allemands. Chez le constructeur automobile BMW, le responsable de la chimie semble particulièrement intéressé par les possibilités qu'offre ce nouvel instrument de mesure.

"Pour cet industriel, il s'agit de disposer d'un système permettant de quantifier les rejets de ses usines. En cas de succès, il se chargerait alors d'en faire un appareil de référence dans toutes les usines du groupe", résument Werner Kunz et Jean Chevalet.

Commercialisation courant 2001

Pour l'heure, l'idée est de modifier l'appareil existant, afin d'en faire un produit commercialisable simple d'utilisation - un appareil automatique dédié, c'est-à-dire ciblé sur quatre ou cinq types de mesures (plomb, zinc, cadmium, etc…).

Quant aux applications potentielles, elles ne manquent pas : mesures dans des domaines tels que la production d'eau potable, l'épuration des eaux usées, les analyses biologiques et médicales (plomb et autres toxiques dans le sang), les recherches océanographiques…

"Un important travail d'optimisation reste à effectuer, sur l'appareil lui-même, mais également au niveau des électrodes", estime Jean Chevalet.

Incontestablement, le potentiel de développement de cette technologie est considérable, d'où, l'intérêt particulier que d'autres chercheurs y portent, notamment ceux du Laboratoire de Géochimie des Eaux de l'Université Denis Diderot et de l'Institut Français de Recherche sur les Techniques Polaires.

Représentant un véritable saut technologique, cet appareil pourrait être commercialisé au cours de l'année 2001.

"Les allemands sont plus pragmatiques que nous…, d'où des développements beaucoup plus rapides", constate M. CHEVALET. Seul regret de ce dernier : le retard de trois à quatre années pris durant les négociations de commercialisation avec Hydro Québec, ainsi que la limitation des publications pour des raisons de confidentialité.

Mais un regret vite dissipé quand il parle de cet appareil qui devrait très rapidement faire évoluer les normes, tant sa sensibilité et sa précision pour mesurer des traces ultimes sont grandes.

"C'est très satisfaisant pour la recherche, bien sûr, mais aussi pour les perspectives d'amélioration du contrôle et, par conséquent, pour la protection de l'environnement", conclut Jean Chevalet.

Contact :

LI2C - Jean CHEVALET