Janvier 2002 - n°64

Les VII ièmes prix "Partenaires d'entreprises 2001" Anvar - France Info

La chronique "Partenaires d'entreprises" diffusée sur France Info en partenariat avec l'Anvar fête ses dix ans. De septembre 1991 à septembre 2001, plus de 2000 projets innovants portés en grande majorité par des P.M.E. mais également par des laboratoires de recherche, des associations ou des particuliers ont été présentés à l'antenne dans le but de développer des partenariats. Habituellement, deux distinctions - le "grand prix Partenaires d'Entreprises" et le "coup de cœur France Info" - viennent récompenser deux sujets diffusés dans l'année. Cette année, Roger-Gérard Schwartzenberg, Ministre de la Recherche, a tenu à décerner également et pour la première fois, le prix "Recherche Innovation 2001".

Le laboratoire de Microbiologie de l'IRD de Marseille reçoit le prix "Recherche Innovation 2001" pour son projet : production d'acide L(+) lactique par fermentation pour la fabrication de plastiques biodégradables

Le 23 octobre dernier à la Maison de la Radio à Paris, le Laboratoire de Microbiologie de l'IRD de Marseille représenté par son Directeur, Jean-Louis Garcia, s'est vu remettre cette distinction par Alain Costes, Directeur de la Technologie au Ministère de la Recherche. Les recherches récompensées par ce prix ont pour objet la production d'acide L (+) lactique par fermentation bactérienne pour la fabrication de plastiques biodégradables. Ce projet innovant implique deux laboratoires de recherche, le Laboratoire de Microbiologie de l'IRD (et plus particulièrement l'Unité de Recherche "Microbiologie des environnements extrêmes" dirigée par Bernard Ollivier), le Centre de Recherche sur les Biopolymères Artificiels (CRBA - UMR CNRS - Université Montpellier I) dirigé par Michel Vert et une entreprise alsacienne, Episucres.

Optimiser le potentiel naturel de Bacillus thermoamylovorans

A l'origine de ce projet ambitieux, une découverte scientifique fortuite puisque Bernard Ollivier et Yannick Combet-Blanc, deux chercheurs du Laboratoire de Microbiologie de l'IRD de Marseille, isolent du vin de palme en Afrique au début des années 90, une nouvelle bactérie baptisée Bacillus thermoamylovorans. En recherchant des bactéries productrices d'éthanol, ils découvrent une bactérie capable de produire par fermentation du glucose, de l'acide L(+) lactique en continu, à haute température, en grande quantité et à un coût économique, des conditions qui permettent d'envisager une production industrielle d'acide L(+) lactique pour la fabrication de plastiques biodégradables. "En effet, jusqu'à aujourd'hui, si des plastiques biodégradables sont déjà fabriqués à partir de polymères biologiques, leur coût de revient est prohibitif pour permettre leur développement industriel: 10 à 15 francs le kilogramme contre 6 francs pour les plastiques de pétrole" explique Jean-Louis Garcia. Même si l'enjeu est de taille pour l'environnement (les plastiques d'origine fossile posent de gros problèmes de pollution et d'élimination), la généralisation des plastiques polymères d'acide L(+) lactique ne pourra se faire que si le coût de fabrication est diminué de moitié. C'est l'enjeu des recherches menées depuis bientôt dix ans par le laboratoire marseillais. En 1995, l'IRD dépose un brevet au niveau national et international et l'année suivante un pilote de production d'acide L(+) lactique entièrement automatisé, d'une capacité de 1,5 litres, est construit à l'aide d'un financement de l'Anvar. En 1999, l'IRD cherche des partenaires pour mettre en œuvre le procédé développé; le message est diffusé sur les ondes dans l'émission "Partenaires d'Entreprises" de France Info et dans le courrier de l'Anvar. Suite à cet appel, un partenariat de recherche s'engage entre la société Episucres, filiale de la Société des Sucreries et Raffineries d'Erstein (SSRE, 3ième sucrier français). En 2000, des essais préliminaires sont réalisés au sein du laboratoire de Microbiologie de l’IRD; ils visent à tester le potentiel de la bactérie pour la production d'acide L(+) lactique à partir de jus riches en saccharose alors que dans le vin de palme, le bacille utilisait du glucose comme source de carbone et d'énergie. Réalisés sur trois jus, les résultats sont encourageants; les essais sont alors poursuivis sur trois échantillons supplémentaires et, en 1991, une étudiante de l'INSA de Toulouse effectue son stage de fin d'études d'une durée de six mois (cofinancé par la SSRE et la Région Alsace) au sein du laboratoire marseillais sur ce sujet.

La polymérisation de l'acide L (+) lactique directement sur le jus de fermentation

Aujourd'hui, le procédé de fermentation mis au point permet sérieusement d'envisager un coût de fabrication compétitif; "en moins de 48 heures, nous arrivons à produire 120 g/l d'acide L(+) lactique; à titre de comparaison, Rizopus oryzae, un champignon utilisé actuellement dans l’industrie pour ce type de production, nécessite 4 à 5 jours pour produire 80 g/l" précise Jean-Louis Garcia. De plus, la fermentation à haute température limite les problèmes de contamination et les chercheurs ont également réussi, alors que le bacille est hétérofermentaire, à lui faire produire plus de 95 % d'acide lactique en jouant sur la composition du milieu de culture. "Dans ces conditions, la polymérisation directe sur le jus de fermentation est envisageable et permettrait d'obtenir des coûts de production similaires au plastique de pétrole" annonce le responsable du laboratoire de l'IRD. C'est à ce stade qu'intervient le troisième partenaire, le Centre de Recherche sur les Biopolymères Artificiels (CRBA - UMR CNRS - Université Montpellier I) ; il est chargé d'étudier la faisabilité de la transformation de l'acide L(+) lactique produit en polylactate. "La faisabilité de la polymérisation de l'acide lactique sur le jus de fermentation et les caractéristiques du polylactate obtenu restent à démontrer" rappelle Michel Vert "mais nous avons une grande connaissance des polylactates dont les synthèses ont été largement étudiées, notamment pour des utilisations médicales. Avec 25 années de recherches antérieures sur le sujet, nous avons l'expérience pour lever ce verrou technologique" poursuit le directeur du CRBA.

En 2001, une convention tripartite d'une année a été rédigée entre Episucres, l'IRD et le CRBA pour réaliser tous les essais nécessaires à la poursuite de ce programme de recherche ; Ce partenariat va continuer dans le cadre d'une thèse de doctorat financée par une bourse Cifre. Le but est de construire rapidement un pilote à la sucrerie pour traiter sur place le saccharose et envisager la commercialisation de plastiques biodégradables de type sacs d'emballage, couches-culottes ou films agricoles. Si ce projet aboutit aux résultats escomptés, d'autres secteurs agro-alimentaires pourront être concernés par cette innovation. En attendant, le laboratoire de l'IRD poursuit ses recherches sur d'autres bactéries lactiques isolées d'environnements extrêmes et qui pourraient remplacer ou compléter le potentiel de Bacillus thermoamylovorans. "Seulement 1 à 10 % des bactéries qui existent sur Terre sont aujourd'hui connues, les autres restent à découvrir et avec elles tout leur potentiel" conclut Jean-Louis Garcia.

V. CROCHET

Contact :

Laboratoire de Microbiologie de l'IRD

Jean-Louis Garcia