Mars 2002 - n°66

Au cœur de la chimie des plasmas…
le L.E.I.C.A. nous ouvre ses portes sur le campus de Rouen – Mont Saint Aignan

Laboratoire d’Electrochimie Interfaciale et de Chimie Analytique, le LEICA est une entité de l’Université rouennaise, implantée sur le campus de Rouen – Mont Saint Aignan (76).
Créé en 1990, héritier du Laboratoire d'Electrochimie Organique et placé sous la direction du Professeur Jean-Louis BRISSET, il se distingue par la spécialisation de ses recherches vers la chimie des plasmas. Outre l’aspect théorique, c’est aux nombreuses perspectives applicatives que le Laboratoire s’intéresse. Au centre de ses travaux, plus précisément : l’approfondissement des connaissances relatives aux espèces excitées par décharge électrique.
Bienvenue dans l’univers des plasmas…

De l’étude des fluides non aqueux et à celle de l’acidité des solides et des gaz

A travers l’histoire du LEICA et l’évolution de ses activités, on perçoit l’expérience et le savoir-faire de son Directeur, le Pr Jean-Louis BRISSET.
Electrochimiste de formation, M. BRISSET a tout d’abord exercé plusieurs années au sein de l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Paris. Il y étudie la thermodynamique des solvants non aqueux via les méthodes traditionnelles d’électrochimie, puis élargit son champ d’investigation à la chimie de coordination, avant de s’intéresser très précisément à la chimie des plasmas.
En 1985, M. BRISSET rejoint l’équipe de Génie des Procédés Plasmas de l’Ecole - premier laboratoire à avoir utilisé la technique de décharge couronne pour mettre en évidence l’acidité de Bronsted dans les solutions aqueuses. Se concrétise alors pour lui l’opportunité d’étendre son expertise, de la chimie des solvants non aqueux à celle des interfaces et à l’étude de l’acidité des solides et des gaz, à travers les techniques de mise en œuvre des plasmas.
Notons que les travaux conduits sur les plasmas étaient jusqu’alors l’affaire des physiciens, des métallurgistes, des polyméristes… mais plus rarement celle des chimistes. Parmi les premiers à se consacrer au sujet, le Pr J.-L. BRISSET intègre ces axes de recherche novateurs, dès son arrivée à Rouen en 1990, aux missions du Laboratoire dont il se voit confier la direction : le L.E.I.C.A.
Une action dans la continuité pour M. BRISSET, mais un profond changement pour le Laboratoire rouennais qui, au-delà de l’électrochimie traditionnelle, découvre la chimie des plasmas : de la décharge couronne à la technique de l’arc rampant.

Le point sur la chimie des plasmas

Rappelons que les plasmas, dits " 4ème état de la matière ", sont des systèmes statistiques globalement neutres, formés d’un ensemble de particules chargées et neutres. Constituants majeurs de l’Univers (soleil, nébuleuses, enveloppes stellaires…), ils n’existent pourtant pas à l’état naturel sur Terre, sauf foudre et feux de St-Elme.
Leur obtention en laboratoire passe nécessairement par la mise en œuvre de techniques spécifiques permettant d’apporter suffisamment d’énergie aux particules gazeuses pour leur arracher des électrons et créer des états excités, caractéristiques du plasma.
Parmi ces méthodes, deux en particulier ont été retenues et précisément étudiées par le LEICA : la décharge couronne, tout d’abord et, depuis 4-5 ans environ, l’arc rampant.

la décharge couronne :

Cette technique repose sur l’utilisation de deux conducteurs au rayon de courbure distinct (par exemple, une pointe / un plan ; un fil / un plan ; deux cylindres co-axiaux…), portés à une différence de potentiel de 2 à 30 kV.
" Autour de l’électrode de petit rayon de courbure, une grande concentration de lignes de champs génère un échange d’énergie important avec le milieu ambiant ", nous décrit M. BRISSET. " Une lumineuse apparaît, caractéristique du rayonnement électromagnétique induit par le retour des molécules excitées à leur état initial… "
Méthode douce et peu onéreuse, la décharge couronne révèle néanmoins certaines faiblesses du fait des temps de contact relativement longs qu’elle nécessite. " Pour passer outre ces limitations, nous nous sommes intéressés à la technique de l’arc rampant ", poursuit Jean-Louis BRISSET.

l’arc rampant :

" Dans ce cas, l’arc électrique établi entre deux électrodes divergentes est poussé par un flux gazeux dirigé selon l’axe des électrodes ", explique-t-il. " Lorsque l’arc éclate à l’extrémité des électrodes, il donne naissance à un panache de plasma non thermique et se trouve remplacé par un nouvel arc selon un processus continu. "
La décharge électrique communique aux molécules gazeuses une part de son énergie, créant ainsi des particules actives, susceptibles de réagir avec une cible disposée en regard du flux gazeux incident.

Soulignons que ces deux techniques - décharge couronne et arc rampant – sont mises en œuvre à une pression proche de la pression atmosphérique et à température ambiante. Selon le choix du gaz plasmagène, diverses réactions peuvent être réalisées et étudiées ; il est en particulier possible d’oxyder des substances organiques dissoutes ou dispersées dans une cible liquide…
Ainsi, les applications de la chimie des plasmas ne cessent de se multiplier : destruction des COV, traitement des eaux usées et traitement de surface, études de vieillissement accéléré des produits pharmaceutiques ou encore stérilisation des milieux biologiques.

Collaborations de recherche, coopérations internationales et contrats industriels…

" Faire avancer la Science à partir de problèmes technologiques " : telle a toujours été l’ambition du Pr Jean-Louis BRISSET. Dès sa prise de fonction à la tête du LEICA, il a établi le dialogue avec l’Industrie et signé ses premiers contrats.

" ALCATEL compte parmi les premières sociétés à avoir fait appel à nos compétences ", nous confie M. BRISSET. " Le problème posé était celui de la corrosion de la silice utilisée dans les fibres optiques des câblages de télécommunication transatlantiques ; la solution a été trouvée à travers la mise au point d’un dispositif couronne permettant de rendre hydrophobe ces fibres optiques ".

• De l’étude de la corrosion à la quantification des réactions d’oxydo-réduction, il n’y avait qu’un pas. Un pas que le LEICA franchit en appliquant la technique plasma à l’oxydation des composés organiques présents en quantité notable dans les liquides, autrement dit, à la dépollution des effluents industriels.
Le LEICA développe alors d’étroites collaborations avec plusieurs entités voisines de l’Université, en particulier le CORIA (physique des plasmas; Pr. B.CHERON) et le Laboratoire des Risques Chimiques et des Procédés (LRCP). Deux thèses à caractère théorique sont tout d’abord conduites sur le procédé de plasma inductif, basse pression. " En 20 minutes de traitement, nous avons obtenu des oxydes de même nature et de même épaisseur qu’en 24H, au four à 300°C ", se félicite M. BRISSET.
• Rapidement, d’autres relations sont initiées et plusieurs partenariats signés.
C’est ainsi que, par le biais des contacts établis avec Novelect, réseau de transfert technologique du groupe EDF, M. BRISSET engage une collaboration nouvelle avec un laboratoire pharmaceutique. Objet de cet accord : l’étude du vieillissement accéléré de produits thérapeutiques par application de la technique de décharge couronne.

" C’est également Novelect qui nous a mis en rapport avec d’autres sociétés préoccupées par des problèmes de dépollution ", ajoute le Pr BRISSET. " La molécule incriminée était le tributylphosphate (TBP), composé utilisé comme solvant d’extraction dans le nucléaire, particulièrement difficile à éliminer… "
La décharge couronne, cette fois-ci, laisse transparaître ses limites, et c’est la technique de l’arc rampant que le LEICA utilise pour répondre aux besoins de l’industriel. Des résultats particulièrement intéressants sont obtenus, tels que nous l’explique M. BRISSET : " un abattement sensible et rapide de la Demande Chimique en Oxygène (DCO) est enregistré, pouvant aller jusqu’à la dégradation du polluant au stade du CO2 ".
Un brevet est déposé et de nombreuses applications complémentaires se dessinent : du traitement de solvants purs à celui d’un grand nombre de solutés, effluents industriels, riches en composés organiques, issus de secteurs aussi variés que l’agroalimentaire, la pharmacie et la cosmétique, la chimie et la pétrochimie, l’industrie des peintures, des colorants ou du bois…

Notons que la technique de l’arc rampant demeure toujours aujourd’hui au cœur des sujets de recherche du LEICA. De nouveaux contrats industriels sont en gestation ; plusieurs coopérations internationales se poursuivent dans le domaine de l’environnement, notamment avec la Roumanie, l’Algérie, le Burkina-Faso ou encore le Cameroun et d’autres partenariats devraient débuter prochainement, dont un programme européen coordonné par l’Italie et consacré à la dépollution des gaz.
A noter enfin la sortie prochaine d’un Livre co-écrit par le Pr BRISSET et publié aux Editions Tec&Doc Lavoisier, sous le titre " Techniques électriques de mesure et de traitement des polluants ", un sujet qui, par l’originalité de son approche et les technologies très prometteuses qu’il expose, présente un fort impact industriel.

Contact :
LEICA, Laboratoire d’Electrochimie Interfaciale et de Chimie Analytique
M. Jean-Louis BRISSET, Professeur