Mars 2002 - n°66

Le pôle scientifique Pierre Fabre / CNRS en Midi-Pyrénées
La recherche sur les substances naturelles source d'innovations thérapeutiques

Un partenariat public - privé pour un criblage à haut débit de la biodiversité

En avril 1998, les Laboratoires Pierre Fabre et le CNRS annonçaient leur volonté de renforcer leur association pour accélérer la découverte de nouveaux médicaments issus de substances naturelles dans les domaines du cancer, des maladies du système nerveux central et des pathologies cardio-vasculaires. Le but étant de tirer le meilleur profit des acquis de la génomique et de la protéomique en mettant en jeu les techniques les plus modernes de criblage automatisé, de déréplication, de fractionnement bioguidé et d’optimisation structurale sur des substances naturelles d'origines géographiques variées. Cette mise en commun des hommes et des moyens s'est traduit par la mise en place l'année suivante à Toulouse d'un pôle scientifique CNRS - Pierre Fabre constitué de deux entités parfaitement complémentaires : l'unité de Phytochimie pour la préparation chimique des extraits issus de substances naturelles et le Centre de Criblage Pharmaceutique (CCP) pour la recherche de molécules bioactives dans ces extraits. Une dizaine de personnes travaille au sein de l'unité de Phytochimie qui a le statut d'une Unité Mixte de Recherche (UMR 1973) entre les Laboratoires Pierre Fabre et le Département des Sciences Chimiques du CNRS. Dirigée par le Dr Georges Massiot, l'unité est hébergée en milieu industriel au sein du Centre de Recherche sur les Substances Naturelles Pierre Fabre (à Ramonville près de Toulouse), où elle bénéficie de 400 m2 de locaux. Le Centre de Criblage Pharmaceutique, placé sous la direction du Pr. Jean Cros, est un laboratoire commun entre les Laboratoires Pierre Fabre et l'Institut de Pharmacologie et de Biologie Structurale (IPBS), une UMR CNRS - Université Toulouse 3.
Le CCP emploie 7 scientifiques et occupe 250 m2 des 6500 m2 des nouveaux locaux de l'IPBS situés sur le campus CNRS de Toulouse.

Les substances naturelles, un réservoir encore inexploité de molécules bioactives

A l'image des plantes qui ont fourni de nombreuses drogues majeures (morphine, quinine, acide salicylique…), les substances naturelles ont toujours été une source importante de molécules utiles en thérapeutique. Environ 70% des médicaments mis sur le marché à l'heure actuelle sont d'origine naturelle, ce qui représente un marché de quelques 30 milliards d'euros par an (Données Pierre Fabre - CNRS). La nature étant loin d'avoir révélé tous ses secrets avec des millions d'espèces (plantes, insectes, procaryotes, algues…) encore non décrites, ce vivier gigantesque de molécules d'origine naturelle est une bonne source d'alimentation pour les nouveaux outils de criblage à haut débit mis au point cette dernière décennie. Parmi les substances naturelles analysées par les structures communes Pierre Fabre - CNRS, les plantes représentent environ 80 % des échantillons analysés, les 20 % restant se répartissent entre extraits d'origine marine (15 %) et d'insectes (5%). Cette prépondérance des plantes est liée au savoir-faire accumulée par le Groupe Pierre Fabre depuis 30 ans dans le domaine végétal. La force de la collection du Centre de Recherche sur les Substances Naturelles Pierre Fabre est sa diversité botanique et géographique, avec des plantes ou parties de plantes en provenance d'Afrique, d'Amérique du Sud, d'Europe et d'Asie.

Vers de nouveaux candidats médicaments et outils de recherche

Les dizaines de milliers d'échantillons de substances naturelles sont transformées en extraits par l'unité de Phytochimie avant d'être testées sur des cibles afin d'isoler les substances qui présentent un éventuel intérêt thérapeutique. Les cibles choisies sont en relation avec les axes thérapeutiques prioritaires du Groupe Pierre Fabre, c'est-à-dire l'oncologie, l'appareil cardio-vasculaire, le système nerveux central et l'immunologie. A ces thématiques s'ajoutent la dermatologie - en collaboration avec la branche dermo-cosmétique du Groupe - et les maladies infectieuses à vecteurs dans le cadre d'un contrat récent signé avec l'IRD (voir encadré). Les cibles utilisées peuvent être des récepteurs, des enzymes, des hormones, des canaux ioniques … "L'intérêt d'être implanté en milieu académique est de pouvoir travailler sur des cibles originales directement issues de la recherche - nous sommes les premiers à les utiliser comme outils de criblage" précise Jean Cros. "Si c'est intéressant pour la découverte éventuelle de candidats médicaments, c'est également précieux pour la mise au point de nouveaux outils de recherche, qui permettent d’ étudier à l'échelle moléculaire les fonctionnements et dysfonctionnements du vivant" poursuit le directeur du CCP.
L'utilisation de chaque nouvelle cible sur le robot de criblage à haut débit nécessite sa miniaturisation, une étape capitale de mise au point des essais qui peut prendre plusieurs mois. Une fois automatisée, chaque cible est criblée sur l'ensemble de la bibliothèque d'extraits de substances naturelles, la plate-forme robotisée du CCP crible ainsi en moyenne 5000 extraits par jour.
Lorsqu'une fraction active sur la cible testée est identifiée, elle est renvoyée à l'unité de Phytochimie qui la fractionne à nouveau, ce fractionnement appelé "déréplication" s'effectue à l'aide des techniques d'analyses structurales les plus modernes utilisant le couplage CLHP/UV/SM/bases de données et permet d'aboutir après plusieurs déréplications à l'entité active la plus pure possible : la "touche" ou "hit".
Chaque touche va ensuite servir de prototype pour la suite des recherches, avec une activité de synthèse chimique et un axe de pharmacologie. La synthèse chimique consiste à générer par synthèse organique ou hémisynthèse toute une famille d'analogues structuraux ou de dérivés de "hits". L'activité biologique de ces composés est testée sur des modèles pharmacologiques in vitro puis in vivo, ceux présentant la meilleure activité servent ensuite de base pour générer à nouveau une nouvelle famille de composés qui sera à son tour testée…. Ce processus itératif de tests d'activité/optimisation structurale constitue le criblage secondaire et permet d'aboutir au composé qui présente le meilleur potentiel d'action pharmacologique : la "tête de série" ou "lead".
Sur les milliers d'extraits testés, il y a évidemment un pourcentage minime de têtes de série à la fin du processus. En près de trois années de collaboration Pierre Fabre - CNRS, quelques dizaines de molécules présentent cette qualité et font l'objet d'études complémentaires, par les laboratoires pharmaceutiques afin d'envisager les possibilités de les développer en tant que médicaments, mais également par les laboratoires académiques pour les utiliser en tant qu'outils de recherche.

Sur la voie de la Vinorelbine

Initiée dans les années 1980, la collaboration de recherche Pierre Fabre - CNRS est riche d'un passé fructueux avec la mise sur le marché en 1989 par les laboratoires Pierre Fabre de la NAVELBINE®, un anticancéreux dont le principe actif, le tartrate de Vinorelbine, a été développé à partir de la pervenche de Madagascar par le Pr. Potier à l'Institut de Chimie sur les Substances Naturelles du CNRS à Gif-sur-Yvette. Commercialisé dans le monde entier, ce médicament est aujourd'hui un produit majeur des Laboratoires Pierre Fabre et son développement se poursuit avec en avril 2001 l'obtention d'une nouvelle AMM pour la forme orale (jusqu'alors la NAVELBINE® était administrée par intraveineuse). Le partenariat entre l'organisme de recherche publique et le groupe pharmaceutique a pris avec ce pôle scientifique toulousain une nouvelle dimension, conçue pour optimiser la découverte de nouveaux médicaments et répondre, comme avec la NAVELBINE ®, aux besoins de nouvelles thérapies toujours plus efficaces contre des pathologies majeures du XXI ième siècle.

V. CROCHET

Contact :
Pr. Jean CROS
Centre de Criblage Pharmacologique

Recherche sur les substances naturelles : un objectif commun au CNRS, à l’IRD et à Pierre Fabre Médicament

Le CNRS, l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et Pierre Fabre Médicament ont signé en juillet 2001 un accord tripartite qui scelle leur volonté de mener en commun des travaux de recherche dans le domaine des substances naturelles d'origine terrestre ou marine.
Fondé sur des collaborations croisées engagées depuis de nombreuses années, cet accord renforce la synergie entre les trois partenaires et précise les modalités de collaboration concernant l'identification de molécules actives pour lutter contre le cancer, les maladies cardio-vasculaires, les maladies du système nerveux central et le paludisme, ainsi que la découverte de nouveaux outils pour la recherche fondamentale. Deux programmes de recherche sont notamment en cours et visent à cribler la biodiversité de Guyane, de Nouvelle-Calédonie et de Bolivie avec l'appui sur le terrain de l'IRD et d'universités locales.