Mars 2003 - n°76

La recherche française en Arctique
Entre Science et Aventure


La tradition historique des expéditions françaises en Arctique s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui dans l’archipel du Svalbard, à partir des bases scientifiques construites dans les années 60. Récemment rénovées, ces sites, placés sous l’égide de l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor, permettent aux chercheurs d’étudier, dans des paysages grandioses, un environnement exceptionnel et préservé.

C’est précisément pour présenter la diversité géologique et biologique du site, à travers ses collections et de nombreux documents photographiques, que le Muséum National d’Histoire Naturelle accueille à Paris jusqu’au 28 février 2003 l’exposition “Expéditions Polaires. La recherche polaire française au Spitsberg, entre science et aventure ", exposition conçue et réalisée par l’Ambassade de France en Norvège.
L’occasion pour nous de vous faire découvrir la vie des scientifiques de terrain dans un environnement extrême où la science rejoint l’aventure, pour la compréhension des enjeux futurs de la planète.

Un peu d’histoire et de géographie

Les îles de Svalbard forment un archipel situé dans la partie septentrionale de l’Arctique. Composé d’îles de tailles variées, l’archipel s’étend sur une superficie totale de 63 000 km2 dont 60% sont recouverts de glaciers. La plus grande des îles, le Spitsberg, occupe à elle seule plus de la moitié de la superficie de l’archipel.
L’histoire des expéditions françaises au Spitsberg remonte à 1613, année de la première véritable expédition baleinière battant pavillon français. Quinze ans plus tard, le basque Johannis Vrolicq parvient à fonder, au sud du Spitsberg, une colonie française où il établit une station baleinière dotée d’un quai en bois, de loges et de fourneaux, qu’il baptisa Port-Louis. Le Spitsberg est alors déclaré colonie française sous le nom d’» Arctique françois «. La lutte que se livrent les différentes puissances européennes pour son contrôle est cependant de plus en plus âpre. En 1674, l’île passe aux mains des Hollandais.

Après avoir été un objectif commercial sous Louis XIII, puis un objectif militaire sous Louis XIV, le Spitsberg accueille en 1838 l’expédition scientifique « La Recherche «. Commanditée par le roi Louis-Philippe, elle associe des membres de la Commission Scientifique du Nord et des hommes de sciences norvégiens, suédois et danois, chargés de réaliser des observations astronomiques, des mesures du magnétisme terrestre et des observations hydrographiques.
Cinquante ans plus tard - après deux missions menées par Charles Rabot, scientifique, voyageur, chroniqueur et alpiniste chevronné - un yacht appartenant au Prince de Monaco Albert 1er aborde le Spitsberg. A son bord : une nouvelle expédition scientifique française qui reviendra à deux reprises, en 1899, puis en 1906-1907. L’objectif de la mission fut de cartographier en détail l’intérieur des terres du Spitsberg, dans sa partie Nord Ouest, puis de compléter les résultats obtenus en matière de glaciologie, de minéralogie et de botanique.

Aujourd’hui, l’archipel est régi par un système juridique particulier, défini par le Traité de Paris. Il attribue à la Norvège la pleine et entière souveraineté sur l’archipel du Svalbard sous réserve des droits accordés à l’ensemble des parties contractantes. Le 14 août 1925, le Svalbard est devenu partie intégrante du royaume de Norvège. Le Traité stipule que les ressortissants des parties contractantes ont une égale liberté d’accès et de relâche dans les eaux, fjords et ports du Svalbard. Sous réserve de l’observation des lois et règlements locaux , ils peuvent s’y livrer sans aucune entrave à toutes opérations maritimes, industrielles, minières et commerciales sur un pied de parfaite égalité. L’application du Traité autorise l’établissement de bases scientifiques.

De Jean CORBEL à l’Institut Polaire Français Paul-Emile VICTOR

La recherche française au Spitsberg doit beaucoup à Jean CORBEL (1920 – 1970). Chercheur au CNRS, à la fois géographe, géologue, glaciologue et ethnologue, il a en effet construit sur l’île, en 1963, les premiers abris qui formeront plus tard la base, qui porte aujourd’hui son nom. On lui doit les bases de la présence scientifique française à Ny Älesund , où il a mené les premières campagnes de recherche du CNRS. Au Spitsberg, Jean CORBEL s’est particulièrement intéressé aux phénomènes péri-glaciaires, notamment à l’étude de la morphogenèse des sols polygonaux, extraordinaires cercles ou polygones de pierre dont la régularité frappe depuis toujours les observateurs. A la Baie du Roi, ces sols polygonaux sont de 5 à 10 fois les plus grands au monde !

Pendant les 20 ans qui suivirent la Seconde Guerre Mondiale, le Spitsberg exerça sur les jeunes français une profonde fascination. Les premiers à s’y rendre en 1946 furent trois alpinistes, Jacques-André MARTIN, Robert POMMIER et Yves VALETTE, qui déterminèrent le point culminant de l’île de Spitsberg, aujourd’hui dénommé « Mont Général-Perrier «. Suivant Jean CORBEL, les géographes font leur apparition en 1952.

- 1959 : Jean CORBEL reconnaît en Baie du Roi, un emplacement à 400 mètres du rivage et à 6 kms du village de Ny Älesund. En 1963, le CNRS donne son accord à l’installation d’une base scientifique, construite sur le site choisi.

Achevée en moins de trois jours, sa superficie est alors de 9 m2. L’année suivante, elle est étendue à 45 m2, pour atteindre 126 m2 en 1966. Les scientifiques disposent alors d’une vedette de 10 mètres, de petites barques légères, d’un tracteur, d’une radio, et même d’une bibliothèque. Des campagnes de recherche s’y succèdent jusqu’en 1967, consacrées pour l’essentiel à l’étude de l’influence du froid sur les milieux naturels : morphologie terrestre et littorale, hydrologie, glaciers de montagne, géologie polaire, géochimie, physiologie et biologie animale.
Les chercheurs français ont été les premiers à établir des observations sur plus de dix ans pour étudier les glaciers polaires de type alpin, mais aussi les premiers à utiliser à grande échelle le scaphandre pour la caractérisation des zones littorales au-delà de 75° de latitude Nord, jusqu’à une profondeur de 50 mètres. Ils seront également les premiers à expérimenter les traîneaux sur coussin d’air à environnement polaire.

- 1979 : les missions scientifiques sont regroupées sous l’égide du Centre d’Etudes Arctiques de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, créé et dirigé par Jean MALAURIE Avec l’appui de ce dernier, l’équipe de Thierry BROSSARD, qui s’était rendue sur le terrain avec Daniel JOLY dès 1974, concourt activement à la remise en état de la base française, délaissée pendant 12 ans. Le Groupement de Recherche " GDR Arctique ", coordonnant les activités de 13 laboratoires français, est créé en 1982 ; Thierry BROSSARD en prend la tête en 1989.

- Depuis 1993, les campagnes de recherche et la base Jean CORBEL sont placées sous l’égide de l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor (IPEV). Les scientifiques français maintiennent la tradition solidement ancrée des recherches au Svalbard, encouragés par une augmentation significative de l’investissement dans les programmes arctiques.
Les recherches se poursuivent :10 à 15 scientifiques sont présents chaque année sur le terrain pour des campagnes généralement conduites de la fin du printemps au début de l’automne. Depuis 2000, les chercheurs bénéficient sur place du soutien logistique d’un chargé de mission de l’IPEV. Les domaines scientifiques les plus représentés sont toujours la géologie, la glaciologie, la climatologie, mais également la physique de la haute atmosphère, l’écologie et la biologie.
En 2002, 13 programmes de recherche ont été sélectionnés par le Conseil Scientifique de l’Institut Polaire.

A l’occasion de l’inauguration officielle de l’exposition du Muséum National d’Histoire Naturelle, le 15 novembre dernier, Monsieur Gérard JUGIE - directeur de l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor - est intervenu sur le sujet de " La recherche scientifique française en zones polaires : le Spitsberg, zone de prédilection " ; un sujet que nous vous invitons à approfondir dans le cadre d’un second reportage à paraître, le mois prochain, dans La Gazette du Laboratoire.

S. DENIS

Pour en savoir plus :
Mme GIRAUD-BOULINIER
Muséum National d’Histoire Naturelle
Jardin des Plantes
Galerie de minéralogie et de géologie
36, rue Geoffroy Saint Hilaire
75005 Paris