Décembre 2003 - n°83

L’INSTITUT CURIE : L’imagerie de pointe au service de la recherche

A l’Institut Curie, pôle d’excellence en matière de recherche sur le cancer, l’imagerie occupe une place capitale, contribuant largement à améliorer l’étude des cellules normales et tumorales.

Les dernières avancées de la microscopie optique permettent d’observer en direct la vie des cellules. La microscopie électronique nous entraîne au cœur de la cellule pour voir ses plus petits composants. La résonance magnétique nucléaire (RMN), du fait de son caractère peu invasif, constitue également une approche innovante pour étudier la matière vivante. Quant à la microscopie ionique et la microscopie à force atomique (AFM), développées par des physiciens, elles font aujourd’hui une entrée remarquable dans le monde de la biologie.
Améliorer et combiner les techniques d’imagerie pour accéder à l’intimité cellulaire et mettre à jour des mécanismes jusqu’alors inconnus : tel est l’objectif des chercheurs de l’Institut Curie. Intéressons-nous tout particulièrement à la microscopie optique et aux recherches qu’ils développent sur la base de ces technologies…

Une forte implication dans le développement de nouveaux outils

Les chercheurs de l’Institut Curie participent activement aux évolutions de l’imagerie optique. La plate-forme d’imagerie numérique du pôle de biologie cellulaire, placée sous la responsabilité de Jean-Baptiste SIBARITA (UMR 144 CNRS / Institut Curie), présente en effet l’originalité de consacrer une partie importante de ses activités au développement de nouveaux outils (matériels et logiciels), en étroite collaboration avec les autres unités de l’Institut.
Depuis 1997, le parc d’imagerie s’est considérablement développé : il existe désormais une quinzaine de postes d’observation, dont deux microscopes confocaux (l’un d’entre eux est équipé pour la cellule vivante depuis 2001), quatre postes de vidéomicroscopie et un poste réservé pour la recherche et le développement en imagerie.
L’Institut Curie est d’ailleurs un centre référent au niveau européen pour le traitement des images : M. Jean-Baptiste SIBARITA, M. Jean SALAMERO (UMR 144 CNRS/Institut Curie), M. Vincent FRAISIER (ingénieur de la plate-forme d’imagerie scientifique), y dispensant un enseignement de haut niveau dans ce domaine.
Ajoutons qu’en mai 2001, une structure de tests systématiques de nouveaux matériels a été créée au sein du pôle de biologie cellulaire. " Le rôle de cette infrastructure est d’évaluer précisément les nouveaux appareils et logiciels disponibles sur le marché ", nous explique M. SIBARITA. " Ces tests sont réalisés en étroite collaboration avec les biologistes de l’Institut, afin de répondre au mieux à leurs besoins ". Une validation biologique systématiquement précédée d’autres tests minutieux sur des objets calibrés, et qui permet de déceler avec précision les avantages et inconvénients des systèmes étudiés…

De la microscopie optique conventionnelle à la microscopie à fluorescence 3D et 5D

La microscopie conventionnelle, telle qu’elle était utilisée au XIXème siècle, posait encore plusieurs problèmes, à commencer par le manque de contraste observé sur une cellule vivante, les limites de sa résolution et la faible profondeur de champ de l’image. Pour pallier à ces inconvénients majeurs, les scientifiques ont eu, d’une part, recours à des marqueurs fluorescents et, d’autre part, à l’utilisation d’une seule lentille ; la microscopie à épifluorescence était née !

" Le marqueur fluorescent est lié à un anticorps qui va trouver, dans la cellule, la protéine d’intérêt et se fixer spécifiquement sur elle. Le choix subtil des filtres permet alors de détecter la protéine, même si elle n’est présente qu’en quantité infime ", nous explique M. SALAMERO
" Pour que plusieurs protéines puissent être localisées en même temps dans une cellule, différents marqueurs et des jeux de filtres, chacun spécifique d’un fluorochrome, sont utilisés… "
Au-delà, il est rapidement apparu indispensable pour les chercheurs de l’Institut Curie d’inclure une nouvelle dimension aux images observées afin de pouvoir visualiser les cellules sous leurs trois dimensions. Pour permettre cette acquisition d’images à différentes profondeurs, M. SIBARITA et M. SALAMERO ont équipé leur microscope d’un petit outil motorisé : un piézo-électrique. Piloté par informatique, il permet de déplacer la zone de mise au point avec une très grande précision (de 0,1 à 0,2 micromètre) et d’acquérir ainsi séquentiellement des coupes optiques sur l’épaisseur voulue de l’échantillon. L’ensemble de ces coupes est ensuite traité par un logiciel qui permet de reconstruire une image en 3D.
Pour éliminer le flou dû à la contribution des autres plans optiques, les images sont traitées par un logiciel de déconvolution mis au point par Jean-Baptiste SIBARITA et aujourd’hui commercialisé. " Cette association entre ordinateur et microscope à épifluorescence offre la possibilité d’acquérir des images 3D de cellules fixées multimarquées, de manière entièrement automatisée et rapide ", confirme M. SIBARITA.

Grâce aux progrès de motorisation et au développement de nouvelles sondes fluorescentes pour le vivant, il est aujourd’hui possible d’équiper les microscopes de dispositif permettant l’observation de cellules vivantes multimarquées en 5D, c’est-à-dire 3D + temps + 2 longueurs d’onde. Il s’agit de la vidéomicroscopie : une nouvelle étape dans le développement de l’imagerie à épifluorescence en biologie, jusqu’alors cantonnée à la matière morte !

Jeux de lumière ou comment pister les protéines avec la microscopie confocale à balayage laser ?…

Reposant sur le même principe de base que la microscopie à fluorescence – un laser pour remplacer la lampe à lumière blanche -, la microscopie confocale à balayage laser permet également d’observer du matériel vivant et plusieurs marqueurs, en simultané. C’est certainement la raison pour laquelle elle s’impose comme la technique d’imagerie la plus répandue aujourd’hui.
Bien qu’offrant une meilleure résolution que les microscopes à épifluorescence classiques, cette méthode est toutefois assez lente, puisqu’il faut environ 500 ms pour acquérir l’image d’un plan et donc quelques minutes pour obtenir la représentation d’une cellule en 3D.
La présence d’un laser suffisamment puissant permet aux chercheurs d’accéder à de nouvelles approches (FRAP, FLIP, FRET), basées notamment sur la technique du photoblanchiment qui consiste à éteindre la fluorescence. Le FRAP, par exemple, est une méthode de plus en plus répandue pour étudier les mouvements des protéines in vivo. Elle consiste à illuminer fortement une région donnée de la cellule par le laser pour " éteindre " définitivement les protéines marquées. Il est alors possible de mesurer en combien de temps la zone est repeuplée par les protéines marquées pour mettre en évidence les échanges entre les compartiments cellulaires et calculer ainsi la vitesse de diffusion d’une molécule.
Au-delà, l’un des grands espoirs des chercheurs de l’Institut Curie repose sur la photoactivation. Cette technique développée récemment nécessite l’utilisation d’un laser émettant à une longueur d’onde précise (413 nm) pour exciter un type de marqueur. Après avoir " allumé " la fluorescence dans une région spécifique, les chercheurs suivent ensuite les mouvements de la protéine marquée…

La microscopie à deux photons se tourne vers l’imagerie diagnostique

Variante de la microscopie confocale à balayage, de résolution équivalente (de l’ordre du micron), la microscopie à deux photons (M2P) exploite un phénomène optique qui consiste à créer de la lumière au point de focalisation. Cette propriété offre de nouvelles perspectives pour " plonger " au sein des tissus et même au cœur de la cellule.

Le principe est d’exciter une molécule fluorescente par un faisceau infrarouge produisant des impulsions ultra-brèves tellement intenses que deux photons sont absorbés simultanément par cette molécule. Ce type d’excitation est confiné dans un volume très petit (1 mm3) sans que l’espace traversé soit illuminé. La bonne pénétration de la lumière infrarouge permet une imagerie en profondeur beaucoup plus fine. L’excitation étant limitée au point focal, la phototoxicité est réduite, ce qui permet de suivre la fluorescence pendant un temps plus long qu’avec un microscope confocal. Enfin, comme la largeur des spectres d’excitation à deux photons est beaucoup plus large que ceux à un photon, jusqu’à 4 marqueurs distincts peuvent être excités avec un seul laser.
Deux microscopes biphotoniques ont été construits à l’Institut Curie. Le premier est dédié à la recherche fondamentale et tout particulièrement à l’étude de l’architecture des tissus épithéliaux : peau, intestin, œil… Le second, plus puissant, entièrement développé en 2002 par l’équipe de François AMBLARD (UMR 168 CNRS/Institut Curie), est destiné à l’imagerie diagnostique. Doté d’un laser supplémentaire et d’un spectrographe, il permet d’observer les tissus plus en profondeur (jusqu’à 0,5 mm dans des tissus denses).
Les premières images obtenues en collaboration avec le Service d’Anatomopathologie de l’Institut Curie donnent des informations sur la structure des tissus à l’échelle subcellulaire et sur leur métabolisme. Avec la microscopie à deux photons, le diagnostic pourrait, dans un proche avenir, être instantané sans biopsie, ni étape de coloration…

4-5D rapide à déconvolution et photoblanchiment : mariage annoncé !

Parmi les projets en cours, figure le développement de deux microscopes combinant l’acquisition rapide d’images 3D avec les techniques dérivées du laser, le photoblanchiment et la photoactivation. Ces dernières techniques ne sont actuellement accessibles que sur l’un des microscopes confocaux et sur le microscope à deux photons, donc limitées en termes de rapidité par la nécessité de " balayer " l’échantillon. Pour pallier cette limite, les chercheurs de l’Institut Curie veulent combiner les technologies assistées par laser avec l’imagerie 3D rapide obtenue avec un microscope à épifluorescence à déconvolution.
Deux postes de vidéomicroscopie 4-5D rapide à assistance laser sont en cours de développement à l’Institut Curie sous la direction de M. François AMBLARD, Jean SALAMERO et Jean-Baptiste SIBARITA. L’un est associé à un laser un photon, l’autre à un laser deux photons : des outils irremplaçables pour l’étude de la morphogenèse et du trafic cellulaire !
" C’est de l’alliance entre biologistes, physiciens, informaticiens et mathématiciens que naîtront les technologies d’imagerie de demain ! ", assure M. SIBARITA.

S. DENIS

Contact presse :
Institut Curie
Catherine GOUPILLON