Mars 2004 - n°86

Le Prix Nobel au service de la vie : Une rencontre exceptionnelle organisée le 4 décembre 2003 au Muséum National d’Histoire Naturelle

L’année 2003 est bel et bien terminée, et avec elle, la célébration du Centenaire du Prix Nobel attribué à Pierre et Marie Curie, et Henri Becquerel, pour la découverte de la radioactivité naturelle.
Avant de clôturer cette année anniversaire, une rencontre exceptionnelle a été organisée dans le Grand Amphithéâtre du Muséum National d’Histoire Naturelle, en présence de la S.A.R la Princesse héritière Victoria de Suède, de responsables industriels, politiques et économiques, ainsi que de personnalités scientifiques et médicales de premier plan, dont plusieurs Prix Nobel.

A l’origine de cette journée-conférence, placée sous le Haut Patronage de Monsieur Jacques Chirac, Président de la République, ont activement collaboré l’Ambassade de Suède, le Ministère de la Recherche et des Nouvelles Technologies, l’Institut Curie, le Muséum National d’Histoire Naturelle et AstraZeneca.
M. Michael Sohlman, Directeur Général de la Fondation Nobel, a lui-même introduit la séance du matin ; laissant place pour la session de l’après-midi à Mme Claudie Haigneré, Ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies.

Deux tables rondes ont été animées dans le cadre de ce rendez-vous prestigieux :

" L’éveil des vocations scientifiques et le Prix Nobel ", à laquelle ont participé Pierre-Gilles de Gennes, Claude Cohen-Tannoudji, Hélène Langevin-Joliot, Per Carlson et Astrid Gräslund ;
" Prix Nobel et santé ", où sont intervenus Jean Dausset, Sir James W. Black, Axel Kahn, Daniel Louvard, Anita Aperia et Jan M. Lundberg…
L’opportunité pour nous de nous pencher sur l’histoire d’Alfred Nobel et de l’incroyable héritage qu’il a laissé au monde entier…

Un marchand d’explosif poète et pacifiste !

Si le nom d'Alfred Nobel est associé à la dynamite qui fit de lui l'un des hommes les plus fortunés de son époque, ce fils d'un marchand d'armes, développe, dès le plus jeune âge, un insatiable appétit d'invention. Au cours de sa vie, il ne dépose pas moins de 355 brevets de nature très variés parmi lesquels on trouve bien sûr des explosifs (la gélatine explosive, la balistite), mais également des bateaux, des réfrigérateurs, un vélo et même un avion. C'est son acharnement à mettre au point de nouveaux procédés qui, après sept ans de travail, lui permet de maîtriser le pouvoir dévastateur de la nitroglycérine en la mélangeant avec un sable poreux et absorbant.
Profondément marqué par la faillite de son père, l'inventeur qui se double d'un chef d'entreprise hors pair, se met rapidement à l'abri du besoin. Emil, son plus jeune frère, y perd en revanche la vie, dans une explosion survenue en 1864 à Helenborg tandis qu'Alfred multiplie ses expériences sur la nitroglycérine.

Dès l'âge de 9 ans, alors que la famille Nobel s'installe à Saint Pétersbourg où le père vend des mines navales de son invention aux armées du Tsar, Alfred parle couramment cinq langues: le Suédois, le Russe, l'Allemand, le Français et l'Anglais. A 17 ans, il part pour une série de voyages d'études en Europe et aux Etats-Unis. C'est sans doute cette ouverture précoce au monde et ses obligations à la tête d'un empire international qui feront de sa vie une suite ininterrompue de voyages.
Inventeur, gestionnaire, voyageur, Alfred Nobel est un homme à facettes. Epris de littérature et de philosophie, il écrit des poèmes, des nouvelles et même une tragédie. A sa mort, sa bibliothèque compte plus de 1 500 ouvrages, généralement des éditions dans leur langue originale.
Personnage discret, fuyant les honneurs et les dîners officiels, Alfred Nobel est un solitaire qui ne fondera jamais de famille. On ne lui connaît que quelques amours qui tourneront vite court. " Je suis un misanthrope", écrit-il, "avec pourtant la meilleure volonté du monde(...). Je suis un super-idéaliste qui digère la philosophie mieux que tout autre nourriture ".

Dans les yeux de ses contemporains, Alfred Nobel est un marchand de mort, mais lui est convaincu du contraire. C'est la violence de ses explosifs qui permet, plus sûrement que n'importe quel mouvement idéaliste, d'arrêter les guerres par l'équilibre de la terreur. Qui peut, un siècle avant la guerre froide, entendre un tel discours ?
Au crépuscule de sa vie, cet homme seul et sans enfant, s'interroge sur le devenir de son empire. Comme toujours, ses opinions tranchent avec celles de son temps: " Je considère que l'héritage de grandes fortunes est un malheur qui ne sert qu'à inciter l'humanité à la paresse ". L’ idée de prix visant à améliorer le sort de l'humanité germe progressivement dans son esprit. Le testament définitif est rédigé le 27 novembre 1895 au club suédo-norvégien à Paris. Alfred Nobel meurt le 10 décembre 1896 dans sa villa de San Remo en laissant à la Suède, et au monde entier, un héritage dont lui-même aurait eu peine à apprécier la portée.

Depuis leur création en 1901, l'attribution des prix Nobel suit un protocole immuable

A sa mort en 1896, Alfred Nobel laisse donc une immense fortune et un testament. Par défiance vis-à-vis des hommes de loi, le document rédigé sur une simple feuille de papier n'a pas été enregistré officiellement. Au regard des sommes en jeu, commence alors un difficile combat principalement mené par Ragnar Solhman, l'un des assistants de Nobel, pour réaliser les dernières volontés du pacifique marchand de dynamite. Après quatre ans d'âpres négociations avec les membres de la famille et les diverses institutions désignées dans le testament, des structures et une procédure sont mises en place pour attribuer les prix. A quelques aménagements près, elles n'ont pas été modifiées à ce jour.

" Les institutions Nobel forment une petite république intellectuelle en Suède ; vous êtes ici dans son Ambassade ". L’homme qui prononce ces mots sous le regard vigilant du portrait d'Alfred n'est autre que Michael Solhman, le petit-fils de l'exécuteur testamentaire. Avec un Conseil d'Administration constitué de sept personnes, il dirige aujourd'hui la Fondation Nobel chargée de faire fructifier l'argent légué par l'inventeur de la dynamite. Les fonds servent d'abord à rétribuer les lauréats.
A leur création en 1901, les prix équivalaient à 15 ou 16 ans de salaire d'un professeur d'université. Malgré quelques fluctuations, le niveau de rétribution est resté très élevé, 1 300 000 dollars étant actuellement attribués dans chacune des six disciplines: physique, chimie, physiologie ou médecine, littérature, économie et paix.

Le capital permet également d'assurer le fonctionnement des institutions Nobel et en particulier celui des comités. Notez que, bien que leur rôle soit essentiel dans l'attribution des prix, ces comités n'ont jamais eu le pouvoir de désigner les heureux élus. Sur ce point, les dernières volontés d'Alfred Nobel ne prêtent pas à discussion : les prix de physique et de chimie sont décernés par l'Académie Royale des Sciences, le prix de physiologie ou médecine par le Karolinska Institute, celui de littérature par l'Académie Suédoise et le prix Nobel de la paix par le Parlement norvégien.

Mis à part cette dernière récompense qui suit une procédure particulière, le rôle des comités est d'adresser chaque année au mois de septembre des lettres dites d'invitation à des universités, des institutions, des spécialistes étrangers ainsi qu'aux lauréats des années précédentes, pour leur demander de désigner un candidat digne d'intérêt. Trois à quatre mille lettres sont envoyées et environ 15% de réponses parviennent avant la date limite du 1er février.
Dans un premier temps sont éliminés les prétendants dont les travaux ne méritent pas un examen plus approfondi. Un rapport détaillé, précis et minutieux, généralement rédigé par l'un des membres du comité, est établi pour les concurrents restant en lice. Au terme d'une série de réunions de travail, le contenu de l'ensemble des enquêtes est synthétisé dans un rapport final généralement signé du président de chaque comité et qui conclut en recommandant un nom. Bien que les assemblées ne soient pas tenues de suivre l'avis du comité, il est rare qu'un autre candidat soit élu. Pour éviter toute pression sur les membres de la Fondation et des assemblées, les institutions Nobel entretiennent une culture du secret d'ailleurs inscrite dans les statuts. C'est également pour cette raison que les archives ne sont accessibles que 50 ans après l'attribution du prix.

Comment gagner le Prix Nobel ?

Il existe des cas célèbres de scientifiques proposés à de multiples reprises qui n'ont jamais obtenu un prix. Citons par exemple le mathématicien et physicien Henri Poincaré nominé à 51 reprises ou le chimiste Gilbert Newton Lewis qui, bien que dans la liste des candidats, a échoué 47 fois de suite.
Il ne suffit pas d'être un grand savant pour entrer dans le cercle très fermé des nobelisés, encore faut-il passer les différentes étapes de la sélection avec succès :

réaliser une avancée, une découverte ou une invention qui bénéficie à l'ensemble de l'Humanité,
être désigné par ses pairs,
résister à l'enquête réalisée par les comités,
être élu au cours du dernier vote de l'assemblée.