Mai 2004 - n°88

La première E.R.T., créée au sein du Muséum National d’Histoire Naturelle, valorise les propriétés exceptionnelles de la nacre…

C’est au 1er janvier 2003 que, pour la première fois au Muséum National d’Histoire Naturelle, une Equipe de Recherche Technologique (E.R.T.) a été créée par le Ministère délégué à la Recherche et aux Nouvelles Technologies.

Cette équipe, dénommée " Valorisation des Molécules Bioactives d’origine Marine ", est co-dirigée par le Pr Evelyne LOPEZ - responsable du pôle " Evolution des Biominéralisations ", UMR CNRS 5178 Biologie des Organismes Marins et Ecosystèmes du Département Milieux et Peuplement Aquatiques - et par M. Cédric POIGNEAU (PDG de la Société d’ Innovation et de Recherche Appliquée, SIERA S.A.), partenaire industriel du projet.
Au cœur de leurs investigations ? Les molécules bioactives contenues dans la nacre de mollusques bivalves ! Des molécules bien conservées au cours de l’Evolution qui laissent percevoir de très intéressantes applications, tant dans le domaine de la chirurgie réparatrice osseuse que dans ceux de la pharmacologie, de la cosmétique et de la dermatologie…

Au début, était la Nacre…

" Il y a plus de 25 ans, nous travaillions sur l’os, le squelette, les fonctions du tissu osseux et ses régulations hormonales ", nous confie Evelyne LOPEZ. " C’est à la fin des années 80 que nous avons orienté nos recherches sur les biomatériaux de reconstruction, de régénération osseuse… "

Le corail était déjà étudié par plusieurs laboratoires, mais sa nature et sa structure laissaient penser qu’il ne pourrait répondre pleinement aux applications biomédicales telles que la chirurgie réparatrice osseuse impliquant une régénération.
L’équipe du Pr LOPEZ recherche alors un animal qui possède un squelette dont la nature est plus proche de celle de l’Homme. C’est sur une huître perlière, la Pinctada, et tout particulièrement sur la nacre, qui constitue la partie interne de sa coquille, que se concentre dès lors les travaux de l’équipe MNHN/CNRS.

Exemple fascinant de matériau hybride organique et minéral, la nacre des Pinctada possède une structure tridimensionnelle de type" briques et mortier ", qui rappelle la construction d’un mur de briques. Une multitude de biocristaux de carbonate de calcium y sont ainsi assemblés par une matrice organique.

"C’est un matériau naturel dont la stabilité thermique et la dureté exceptionnelles, s’associent aux remarquables propriétés biologiques de sa matrice organique pour reconstruire les tissus squelettiques et agir sur les tissus cutanés des Vertébrés ", ajoute Evelyne LOPEZ. " Ainsi, la poudre de nacre peut non seulement jouer un rôle de comblement et, donc de support, parfaitement accepté par l’organisme, mais libérer également des molécules actives induisant la régénération osseuse ".

L’équipe du Pr Evelyne LOPEZ approfondit depuis une quinzaine d’années ses investigations sur la nacre des huîtres perlières Pinctada. Ces travaux ont donné lieu, en 1995, au dépôt d’un premier brevet par le CNRS/MNHN sur le procédé d’extraction des molécules actives de la nacre. Ils font l’objet quatre ans plus tard d’un nouveau brevet CNRS/MNHN, protégeant plus précisément les utilisations d’un produit à base de nacre en dermatologie et cosmétique…
C’est à cette époque que naît la société SIERA S.A., Société d’Innovation Et de Recherche Appliquée, constituée des le départ pour valoriser ces découvertes, tout en signant avec l’équipe académique un contrat de Recherche et Développement…

Une collaboration fructueuse entre Recherche Académique et Industrie

En janvier 2000, la société SIERA est donc fondée. A sa tête : M. Cédric POIGNEAU, fort d’un cursus de gestionnaire, s’entoure d’un réseau de compétences scientifiques et techniques de grande qualité.
Un Conseil Scientifique est créé, présidé par le Pr Evelyne LOPEZ et auquel se joignent chercheurs, industriels de la pharmaco-cosmétique et chirurgiens orthopédistes (CHU/AP-HP et services privés)…
" La société SIERA S.A. est née dans le but d’exploiter les deux brevets précédemment pris par le CNRS/MNHN via l’acquisition des licences exclusives d’exploitation mondiale ", précise Cédric POIGNEAU. " Nous entendons par ailleurs transférer la technologie mise en œuvre, obtenir les homologations techniques et réglementaires des produits issus de la recherche, et commercialiser ces derniers… "

Soulignons, que depuis près de deux ans, un partenariat privilégié a été engagé avec un producteur de nacre en Polynésie, " le n°1 de la perle en Polynésie : le groupe Robert WAN ! ", précise Evelyne LOPEZ.
" L’une des difficultés majeures auxquelles nous nous heurtions jusqu’alors était de pouvoir compter sur un approvisionnement en matière première de qualité irréprochable ", précise M. POIGNEAU. " C’est ce que nous sommes aujourd’hui en mesure de garantir,
dans le cadre de notre partenariat avec le groupe Robert WAN, la nacre utilisée étant un co-produit de la perliculture… "

La collaboration étroite, débutée entre la société SIERA SA et l’équipe " Biologie des organismes marins et écosystèmes " du Pr LOPEZ, se formalise au 1er janvier 2003 par la création d’une Equipe de Recherche Technologique. Première ERT fondée au sein
du Muséum National d’Histoire Nationale, l’équipe " Valorisation de Molécules Bioactives d’Origine Marine " centre ses recherches sur l’identification et la purification de molécules actives extraites de la partie nacrée des huîtres perlières Pinctada.
L’ERT compte aujourd’hui plus de 15 personnes. Elle est implantée dans les locaux du MNHN et bénéficie de toutes ses infrastructures et moyens matériels (spectrométrie de masse, Laser Raman, Microscope électoniqueà balayage et à transmission…).

Soutenue par un fort engagement ministériel, notamment en vue de développer les collaborations avec la Polynésie, l’ERT s’appuie
également sur un partenariat important avec d’autres laboratoires publics et industriels en France et en Europe…

Vous avez dit ERT ?

Une ERT consiste en un partenariat entre une équipe académique reconnue et un industriel, qui s’engagent à lever un " verrou technologique " constituant un frein à la valorisation d’une recherche.

" L’un des pré-requis nécessaires à la création d’une ERT est de disposer d’une découverte valorisable – donc, brevetée – que l’Entreprise est en mesure d’exploiter, c’est-à-dire dont elle possède les droits d’exploitation ", nous explique Cédric POIGNEAU.
Notons que l’ERT, créée pour quatre ans, est impérativement adossée à une UMR. L’Entreprise associée se doit d’y affecter un certain nombre de personnes à temps complet afin d’en assurer le fonctionnement.
" Une certaine flexibilité existe toutefois dans le recrutement de personnels supplémentaires, puisque les chercheurs de l’ERT peuvent
venir d’autres UMR pour y travailler, tout en restant titulaires de leur poste initial "
, ajoute Evelyne LOPEZ.

Grâce à sa structure hybride associant chercheurs académiques et industriels, l’ERT bénéficie d’une position d’interface, idéale pour valoriser les résultats des travaux de recherche.

L’Equipe de Recherche Technologique assure la R&D, tandis que SIERA SA prend en charge en plus du suivi du développement, la qualité& la traçabilité de la matière première, depuis la naissance des larves d’huîtres perlières, et l’ensemble du processus de fabrication jusqu’à la commercialisation des produits homologués.

De la Nacre aux produits finis…

L’approvisionnement en nacre est réalisé lors des récoltes des perles produites par les huîtres Pinctada margaritifera en Polynésie
(en octobre et février-mars). La nacre obtenueà partir des coquilles constitue un coproduit de la perliculture. " L’utilisation de cette matière première ne nuit donc ni à la survie de l’espèce, ni à son biotope. Elle permet au contraire de valoriser ce produit propre à la Polynésie ", remarque le Pr Evelyne LOPEZ.

Une fois recueillie, la nacre est réduite en poudre fine en utilisant un procédé de fabrication précisément défini et propriété de la société SIERA. Les molécules actives en sont ensuite extraites, purifiées et utilisées sur trois champs applicatifs : la cosmétique, la pharmaceutique et la chirurgie réparatrice osseuse…

- Au-delà des deux premiers brevets CNRS/MNHN (1995 et 1999), d’autres devraient très prochainement être déposés.
- L’extraction particulière des principes actifs telle que décrite dans le brevet de 1999, à partir de la phase organique de la nacre, a
abouti à la conception d’un Complexe d’actifs le BIOCRYSTAL . Ce produit est aujourd’hui proposé à la vente pour des applications
cosmétiques haut de gamme de haute technologie, ciblant les actions anti-rides, régénérantes et régulatrices de pigmentation.
" En parapharmacie, les développements et commercialisations de ce produit concernent notamment une ligne de soins buccodentaires,
un baumes à lèvres et des compléments alimentaires… "
, souligne M. POIGNEAU.
- En chirurgie réparatrice osseuse, les études réalisées sont fondées sur l’association de molécules actives issues de la nacre avec un
vecteur gel ou un support, qui peut être la nacre elle-même, sous forme de prothèse taillée ou de poudre.
" Trois thèses de doctorat ont déjà démontré de manière significative l’utilisation de la nacre en tant que biomatériau de régénération
osseuse "
, poursuit Evelyne LOPEZ.
" L’étude chez l’animal de l’implantation de pièces en nacre à usage orthopédique est terminée. L’utilisation de ces pièces est en cours de validation à travers une étude clinique, tandis que le process de marquage CEE et la certification ISO 9001 – Version 2000 ont également été lancés ", conclut Cédric Poigneau.

Notons pour conclure, que l’Equipe de Recherche Technologique " Valorisation de molécules bioactives d’origine marine " dispose aujourd’hui de locaux répartis sur deux sites du Muséum National d’Histoire Naturelle. Elle devrait emménager dès l’été prochain dans de nouvelles installations du MNHN où ses activités seront réunies…

SD