Janvier 1996 - n°4

Les hybridomes et les anticorps monoclonaux de rat.

La technologie de production d'anticorps monoclonaux de souris est née en 1975 grâce à Kholer et Milstein qui ont été les premiers à produire des hybridomes et à obtenir des anticorps monoclonaux d'une spécificité prédéterminée.

Le principe de la production d'hybridomes repose sur la fusion des lymphoblastes B sécrétant des anticorps mais qui ne se multiplient pas in-vitro, avec des cellules de myélome lymphoïde, qui ont la capacité de se multiplier à l'infini in-vitro dans un milieu de culture.

La cellule hybride (hybridome) conserve les deux propriétés des cellules mères, c'est à dire la sécrétion d'anticorps et la multiplication dans un milieu de culture approprié.

On met à profit le déficit enzymatique du myélome en HGPRT (hypoxantine- timidine phosphoribosyl transférase) afin de sélectionner les hybridomes et détruire les cellules de myélome après la fusion.

Cet enzyme intervient dans la synthèse d'ADN et ARN par la voie exogène. L'addition de l'aminopterine bloque la voie endogène. En l'absence de l'enzyme, les cellules myélomateuses meurent, alors que les hybridomes non déficitaires en cet enzyme apporté par les lymphoblastes B peuvent utiliser l'hypoxantine et la timidine dans la voie exogène afin de synthétiser l'ADN et l'ARN nécessaires à la vie des cellules d'hybridome.

Le supplément HAT est additionné au milieu pendant la première phase après la fusion. Il sera remplacé par le HT après l'élimination des cellules de myélome (Figure 1).

Le modèle souris peut être considéré comme parfait par son efficacité et sa stabilité. Cependant il existe des raisons pour développer d'autres modèles et plus particulièrement le modèle rat.

Ce dernier présente plusieurs avantages :

* le premier est lié au répertoire d'anticorps de rat, qui est différent de celui de la souris. En conséquence, la production d'anticorps chez le rat est également différente. Pour certains antigènes, seul le rat répond ou donne une réponse meilleure que la souris et l'inverse est également vrai.

* le second avantage est lié aux propriétés physico-chimiques et biologiques des immunoglobulines de rat. Par exemple, les anticorps de sous classe IgG1, IgG2a et IgG2b fixent le complément humain et de lapin.

* le troisième avantage est lié à la production d'anticorps monoclonaux de rat in-vivo. En effet, le volume d'ascite obtenu chez un rat LOU/C est environ 10 fois plus important que chez la souris et il n'est pas rare d'obtenir entre 100 et 150 mg d'anticorps purifiés par animal, ce qui réduit le prix de revient par mg produit.

* le quatrième avantage et non le moins important, est lié à la méthode de purification par chromatographie d'affinité à partir de surnageant de culture ou d'ascite, permettant ainsi d'une manière efficace et économique d'obtenir des anticorps d'une pureté comparable à celle obtenue par chromatographie d'affinité sur l'antigène.

Origine du rat lou

En 1955, Maisin et Coll ont observé l'apparition de tumeurs lymphoïdes dans la région iléocécale d'une colonie de rats maintenue à l'Institut de Cancérologie de l'Université de Louvain. Beckers et Maisin et leurs collègues ont rapporté que certaines de ces tumeurs étaient sécrétants d'immunoglobulines.

En 1970, Bazin et Beckers ont entrepris, à partir de plusieurs noyaux, l'élevage de ces rats et ont donné le nom LOU à cette souche en référence à l'Université de Louvain. Deux lignées de cette souche ont été sélectionnées. La première, caractérisée par un taux élevé d'animaux présentant des tumeurs et nommée LOU/C. La seconde, nommée LOU/M comportant un faible taux de tumeurs. Ces dernières apparaissent spontanément à l'âge de 8 mois ou plus dans les ganglions lymphatiques de la région iléocécale. Leur incidence chez le rat LOU/C est de 34% chez le mâle et 17% chez la femelle.

Les allotypes des immunoglobulines de rat

Les molécules d'une classe ou de sous classe d'immunoglobulines ne possèdent par toujours les mêmes déterminants antigéniques chez tous les individus de la même espèce. Ces déterminants s'appellent des allotypes selon la terminologie d'Oudin. Dans ce cas, les sujets d'une espèce peuvent être divisés en deux ou plusieurs groupes allotypiques. Chez le rat et la souris, des allotypes sur les chaînes lourdes ont été décrits. En plus, chez le rat, deux allotypes sur la chaîne légère Kappa ont été démontrés ; un allotype de type 1a et un autre de type 1b.

Les rats LOU, Wistar, Atriche, etc... sont des exemples de type 1a, alors que les rats DA, OFA, Sprague, OKA, etc... sont de type 1b. L'allotypie de chaîne légère K, comme nous le verrons plus loin, est à la base de la méthode de purification des anticorps monoclonaux de rat et le rat hybride LOU/C-OKA de type 1b est mis à profit dans ce processus.

Méthodologie

- Animaux : des rats LOU/C ou des rats LOU/M sont immunisés avec les antigènes afin d'obtenir des lymphoblastes à partir de la rate ou des ganglions lymphatiques.

- immunisations : plusieurs protocoles d'immunisation sont proposés. Les quantités d'antigènes à administrer varient de 10 à 200 µg, selon la nature de l'antigène et la voie d'administration (sous cutanée, intrapéritonéale, sous plantaire). Des adjuvants, tels que l'adjuvant complet et incomplet de Freund's, sont utilisés pour préparer l'antigène à administrer. Après un temps de repos, une dernière injection, sans adjuvant, est généralement pratiquée par voie intraveineuse, 3 jours avant la fusion. Les splénocytes sont dans ce cas la source des lymphoblastes B.

- Myélome : le myélome, non sécrétant, IR983F est utilisé. Cette lignée, apparue chez un rat LOU/C à l'âge de 72 semaines, a été adaptée à la culture in-vitro et rendue résistante à l'azaguanine donc HAT sensible.

- Milieux : des milieux de commerce sont utilisés. Le milieu MEM sans glutamine et additionné de 1% d'HEPES 1M est utilisé comme milieu de fusion. Le milieu de développement du myélome et des hybridomes est le DMEM additionné de solutions de gentamycine (50 µg par ml), d'acides aminés non essentiels (1%) de glutamine 200 mM (1%), de pyruvate de sodium (1%). Le milieu est additionné de solution de HAT (1%) après la fusion puis de HT par la suite (7 à 10 jours après la fusion). Des sérums de veau fœtal, de cheval ou les deux sont également additionnés au milieu (10%). Le choix des sérums est déterminant pour le résultat de la fusion. Une solution de polyéthylèneglycol dans le milieu de fusion et additionnée de DMSO est utilisée comme agent de fusion.

Les cellules nourricières :

Les cellules obtenues par lavage péritonéale d'un rat Wistar avec le milieu de culture sont utilisées comme cellules nourricières sous un volume de 0,1 ml dans des boites de culture cellulaire de 96 puits. Ces dernières seront remplacées par des boites de 24 puits pour le développement des clones positifs.

Fusion :

La capacité de fusion du myélome IR983F dépend des conditions de multiplication. Il doit être utilisé lorsqu'il est en phase exponentielle de développement.

Les étapes de fusion sont les suivantes : après anesthésie, un prélèvement sanguin est pratiqué. La rate est ensuite récupérée dans des conditions stériles. Les splénocytes sont obtenues par perfusion de l'organe ou par pression sur une grille métallique fixée sur un becher.

Les cellules du myélome et les splénocytes sont lavées deux fois avec le milieu de fusion puis un mélange dans un rapport de 5 splénocytes pour un myélome est réalisé. Après centrifugation, 1 ml de PEG à 37°C est ajouté goutte à goutte pendant 90 secondes. Après 30 secondes d'agitation, 2 ml du milieu de fusion sont ajoutés pendant 90 secondes puis 20 ml progressivement pendant 2 minutes. Les cellules sont ensuite centrifugées à 180 g, le surnageant est éliminé et les cellules sont mises en suspension dans le milieu de développement additionné du HAT. Les cellules sont distribuées dans des boites de culture cellulaire de 96 puits contenant les cellules nourricières. Le milieu est renouvelé 4 fois avant de commencer les tests.

Tests des surnageants de culture :

Les tests des surnageants de culture des hybridomes sont généralement effectués entre 9 et 11 jours après la fusion. Des méthodes telles que l'ELISA, la radio-immunologie, l'hémagglutination, etc... sont utilisées pour mettre en évidence la présence des hybridomes sécrétant des anticorps monoclonaux spécifiques.

Clonage :

Les hybridomes positifs sont développés puis clonés deux fois, par dilution limite ou dans l'agarose. Les clones obtenus sont conservés dans l'azote liquide en présence de DMSO à 7,5%. Le typage des anticorps monoclonaux est réalisé, par ELISA ou par immunodiffusion radiale bidimensionnelle, etc... afin de déterminer la classe ou la sous classe de l'anticorps et de s'assurer de la mono- clonalité de l'hybridome.

Purification :

Plusieurs méthodes de purification des anticorps monoclonaux sont déjà proposées. Nous décrivons uniquement dans cet exposé la méthode originale de purification des anticorps monoclonaux de rat par chromatographie d'affinité.

En effet, le rat LOU/C IgK-1a (ou LOU/M) ayant servi à la production de l'hybridome et le rat hybride LOU/C IgK-1b (OKA), hôte servant pour la production d'ascite, sont histocompatibles. L'ascite qui en résulte renferme les immunoglobulines de l'hôte dont la chaîne légère K possède l'allotype 1b et seul l'anticorps monoclonal possède l'allotype 1a. Cet ascite traverse une colonne de chromatographie d'affinité (un anticorps monoclonal anti allotype K1a (MARK-3) est fixé sur la phase solide de sépharose 4b). Cette colonne retient uniquement l'anticorps monoclonal qui sera ensuite élué par un tampon acide après lavage de la phase solide. Ainsi, on obtient un anticorps monoclonal d'une pureté comparable à celle obtenue par chromatographie d'affinité sur l'antigène avec deux avantages. Le premier est l'élimination de toute réaction non spécifique due à la présence des immunoglobulines du rat hôte et le second est considérablement économique puisque la colonne peut servir plusieurs fois indépendamment de la spécificité de l'anticorps. Cette méthode est également applicable pour la purification des anticorps monoclonaux de rat dans les surnageants de culture même en présence de sérums (Figure 2).

En résumé, la capacité remarquable de fusion du myélome IR983F, le répertoire immunologique du rat, différent de la souris, la stabilité des hybridomes et des anticorps de rat produits par cette méthode et la qualité des anticorps purifiés rendent ce modèle particulièrement intéressant au niveau scientifique, technique et économique.

I. SABBAGH.