Septembre 2003 - n°80
COGEMA
Une R&D restructurée, au cœur du cycle de combustion nucléaire
M. Bertrand BARRE, Directeur R&D de la société COGEMA, était
l’invité il y a quelques mois d’une réunion matinale
du Club Stratégie de Recherche, Maison Européenne des Technologies
– Université Pierre et Marie Curie/Paris VI.
Suite à la parution du compte-rendu de cette matinée dans Les
Carnets de la M.E.T., nous nous proposons aujourd’hui de vous en faire
l’écho.
Gros plan sur la société COGEMA, son organisation générale
et ses priorités de recherche…
Du CEA au groupe AREVA : un peu d’histoire…
La société COGEMA, COmpagnie GEnérale des MAtières
nucléaires, appartient au pôle Energie du groupe AREVA ; un Groupe
au sein duquel collaborent aujourd’hui plus de 50 000 personnes.
"Mais, pour comprendre la R&D de COGEMA, et plus particulièrement
la stratégie de cette R&D, un peu d’histoire s’impose",
souligne M. BARRE. Avant la constitution du groupe AREVA, qu’en était-il,
en effet, de COGEMA ?
"C’est en 1976, dans un contexte bien particulier, que la société
COGEMA a vu le jour, en tant que filiale industrielle du CEA", nous
explique Bertrand BARRE.
Le CEA affichant une bonne rentabilité de ses activités industrielles
par la vente d’uranium, la tentation a été forte de lui
demander de financer lui-même ses activités de recherche, y compris
de recherche fondamentale. En réponse à cette sollicitation,
le CEA développe l’essaimage et crée ainsi, notamment,
la société COGEMA.
Héritant non seulement de procédés, mais aussi d’un
certain nombre d’installations, COGEMA a reversé comme il se
devait, pendant 20 ans, des royalties assez importantes au CEA. De son côté,
celui-ci recyclait ces sommes dans la recherche ; une recherche structurée
en Programmes d’Intérêt Commun, dont les thèmes
étaient choisis de concert, mais dont la recherche était menée
presque exclusivement au sein du CEA.
"C’était un système à la fois confortable
et pervers", souligne Bertrand BARRE. "Confortable, parce
qu’il permettrait une visibilité sur le long terme ; pervers,
du fait que l’enveloppe pré-déterminée n’incitait
pas à être extrêmement sévère quant au tri
des sujets de recherche. Dans un tel système, faute de contraintes,
il n’existait pas véritablement de stratégie…"
Avec la création d’AREVA, COGEMA a été rappelée
à la réalité industrielle. Dans ce contexte, d’autant
plus renforcé par les prises de position parfois frileuses de certains
pays vis-à-vis du nucléaire, l’entreprise a engagé
une véritable chasse aux coûts non justifiés et a mis
en œuvre une solide stratégie de recherche.
"Il y a 25 ans, on estimait à 2000 le nombre de réacteurs
nucléaires qui seraient en fonctionnement en l’an 2000 ; or,
aujourd’hui, nous n’en dénombrons que 430 dans le monde",
ajoute M. BARRE.
"Cette différence entre les prévisions et la réalité
a eu des conséquences assez importantes sur les choix à effectuer,
y compris en matière de R&D…"
Le cycle du combustible nucléaire
: domaine d’excellence de COGEMA
L’activité de COGEMA est centrée sur le cycle du combustible
nucléaire. "Tout comme l’on raffine le pétrole
avant de l’utiliser, il est nécessaire de transformer le minerai
d’uranium avant qu’il puisse être chargé dans les
réacteurs des centrales nucléaires", nous explique
Bertrand BARRE. Le cycle du combustible commence donc dans les mines d’uranium…
=> Une fois extrait, le minerai passe par une première étape
dite de "concentration", de façon à passer
de 0,5% à 80% d’uranium sous une forme que l’on appelle
le "Yellow Cake", en référence à sa très
belle couleur orange et à sa ressemblance avec des croûtes de
boues que les Anglo-saxons nomment cake ou gâteau.
=> Intervient ensuite une phase de conversion, au cours
de laquelle l’uranium, alors sous la forme d’un gâteau de
boue, doit être transformé en un gaz qui permette de procéder
au tri des noyaux d’uranium.
Précisons que l’uranium contient pour l’essentiel deux
isotopes : l’uranium 235 facilement fissible, et l’uranium 238
qui n’est fissible que par des neutrons de très haute énergie.
Le problème est que l’uranium 235 n’est présent
qu’à 0,7% dans le minerai ; cette teneur est insuffisante pour
une utilisation dans les réacteurs à eau légère
(86% du parc mondial).
=> D’où la nécessité d’une étape
d’enrichissement qui va permettre d’augmenter la proportion
d’uranium 235 par rapport à celle d’uranium 238. A partir
de l’uranium naturel, l’enrichissement va conduire à la
production, d’une part d’uranium enrichi, d’autre part d’uranium
appauvri. L’uranium enrichi, sous forme gazeuse, aboutit à la
fabrication d’un solide : une céramique d’oxyde. Après
avoir été utilisé pendant 4 ou 5 ans, le combustible
dit " usé " n’est pas épuisé pour autant.
Il est récupéré par COGEMA afin d’être traité.
=> A ce stade, une étape de séparation permet
de faire le tri entre la matière encore recyclable et ce que l’on
appelle les déchets.
=> Un nouvel enrichissement du " recyclable "
permet alors la réutilisation de l’uranium.
A ce stade, est alors employé en petite quantité le stock d’uranium
appauvri, pour le mélanger avec le plutonium et en faire d’autres
combustibles, géométriquement identiques.
Après avoir récupéré les matières qui sont
réutilisables, reste ensuite la prise en charge des déchets
; un métier qui commence chez COGEMA et se termine à l’Agence
Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs (ANDRA), dont la
mission est de gérer définitivement les déchets radioactifs...
Ainsi, des mines d’uranium aux étapes de conversion et d’enrichissement,
jusqu’à la fabrication des combustibles de deuxième génération
et aux transports des combustibles nucléaires, l’équipe
COGEMA met à profit ses compétences sur la totalité du
cycle du combustible nucléaire.
La Direction de la Recherche, dont est responsable Bertrand BARRE, est à
la disposition de l’ensemble du groupe COGEMA. Elle a, notamment, pour
mission de piloter des activités de la R&D, transversales ou à
trop long terme pour pouvoir être mises dans le portefeuille de l’une
ou l’autre des business units.
Au cœur de la R&D COGEMA
Au cours des deux dernières années, COGEMA a procédé
à une réévaluation extrêmement poussée de
ses besoins de R&D. Ses thèmes de recherche ont été
traduits en projets, hiérarchisés en fonction des nécessités,
de l’urgence, des priorités, mais aussi des espoirs de retour
qu’ils représentent.
" A partir de cette classification quelque peu acrobatique, l’entreprise
a été amenée à rééquilibrer son
portefeuille, en tenant compte également de considérations plus
larges, comme, par exemple, le maintien de compétences, tant au sein
de COGEMA que chez ses partenaires de recherche ", ajoute M. BARRE. "
Dans certains cas même, c’est le critère qui a été
privilégié pour la poursuite de telle ou telle action de R&D.
"
Parmi les thèmes de recherche les plus importants de COGEMA, citons
notamment :
=> le traitement du combustible et la gestion
du combustible usé
A l’heure actuelle, environ 1/3 des combustibles usés
dans le monde est traité tandis qu’un autre tiers est pour l’essentiel
entreposé, en attendant de prendre une décision et qu’une
petite fraction est stockée en l’état.
Pour COGEMA qui se positionne sur ce créneau du traitement, il est
important de défendre et de promouvoir cette filière. Dans le
même temps, il faut gérer l’aval à l’aide
des procédés actuels, et valoriser ces technologies au plan
international, en particulier au Japon et aux Etats-Unis, les deux grandes
cibles de COGEMA, mais aussi sur tout le continent asiatique…
=> l’enrichissement par centrifugation
La redécouverte du procédé d’enrichissement
par centrifugation compte également parmi les grands sujets de recherche
de COGEMA.. " Il est aujourd’hui nécessaire de travailler
sur cette filière, afin de mieux la comprendre et d’être
capables de la remodéliser, pour non seulement rattraper notre retard,
mais aussi être en mesure de participer aux développements ultérieurs
", nous confie Bertrand BARRE. " Cette démarche passe inévitablement
pas la signature d’accords industriels, indispensables pour ne pas réinventer
des solutions qui existent déjà… "
=> la parité MOX
" Nous fabriquons des combustibles de seconde génération
à partir du plutonium (les MOX), au lieu de le faire à partir
d’uranium enrichi ", nous rappelle Bertrand BARRE. " Plus
jeunes, ces combustibles ne bénéficient pas du retour d’expérience
dont nous disposons pour l’uranium enrichi. Les Autorités de
sûreté ne nous on pas, par conséquent, autorisés
à pousser le MOX aussi loin en combustion que peut l’être
le combustible classique constitué d’uranium enrichi. D’où
des pénalités et une gestion des cœurs nucléaires
un peu compliquée pour EDF.
L’objectif de COGEMA dans ce domaine est donc de démontrer aux
Autorités de sûreté que ce concept n’est pas limité
en combustion… "
Ajoutons, par ailleurs, que beaucoup des activités de COGEMA ont porté
sur la réduction des déchets et des effluents. Quand l’entreprise
a conçu les usines de La Hague, il était estimé que,
pour chaque tonne d’uranium traité, le volume complet des déchets
serait supérieur à 3 m3 et sous différentes formes (verre,
ciment…). " L’une des plus belles réussites de la
R&D est d’être parvenue à passer de 3 à 0,4
m3 de déchets, désormais conditionnés uniquement sous
deux formes : des verres et des galettes compactées dans des containers.
"
Une R&D restructurée pour une action plus ciblée, en adéquation
avec la réalité industrielle : la société COGEMA
bénéficie, à ce titre, d’un atout majeur, une contribution
essentielle au succès de ses activités indiustrielles. COGEMA
occupe désormais la deuxième place au niveau mondial dans le
domaine de l’uranium naturel et de la conversion, alors qu’elle
se place en troisième position en matière d’enrichissement.
Elle est également leader mondial dans les domaines du recyclage et
du traitement des combustibles usés !
S. DENIS