Institut Curie : les centromères s’invitent dans la défense immunitaire
Une percée scientifique vient bousculer les lignes de la biologie cellulaire et de l’immunologie. Des chercheurs de l’Institut Curie, associés à l’Inserm et au CNRS, viennent de démontrer pour la première fois un lien direct entre les centromères – ces régions essentielles des chromosomes, jusqu’ici surtout connues pour leur rôle dans la division cellulaire – et l’activation du système immunitaire. Cette découverte inédite, publiée dans la prestigieuse revue Cell, pourrait ouvrir une nouvelle voie dans le développement de stratégies d’immunothérapie.
Vous avez dit « centromère » ?
Les centromères sont des structures chromosomiques essentielles, localisées au niveau du site de constriction primaire des chromosomes, une région où l’ADN est particulièrement condensé. Ils assurent la cohésion des chromatides sœurs et garantissent leur séparation correcte lors de la mitose et de la méiose, en servant de point d’ancrage au kinétochore, un complexe multiprotéique indispensable à l’attachement des microtubules du fuseau mitotique.
Longtemps considérés comme de simples « régions mécaniques », leur séquence riche en ADN répétitif (notamment de type alpha-satellite chez l’humain) les rendait peu accessibles à l’analyse fonctionnelle fine. Cependant, ces dernières années, leur dynamique, leur stabilité et leur régulation épigénétique sont apparues comme des éléments clés dans le contrôle du cycle cellulaire, la réponse au stress génotoxique, et, comme le suggèrent les travaux récents de l’Institut Curie, dans les mécanismes de détection des infections virales intranucléaires.

L’infection virale induit une instabilité des centromères, détectée par la cellule et conduisant à l’activation du système immunitaire.
Une découverte au croisement de la génétique et de l’immunologie
A l’Institut Curie, au sein de l’unité Immunité et cancer (Inserm), Nicolas MANEL, directeur de recherche à l’Inserm, dirige l’équipe Immunité innée. Dans la même équipe, Xavier LAHAYE est chargé de recherche au CNRS. Daniele FACHINETTI est quant à lui directeur de recherche au CNRS, chef de l’équipe Mécanismes moléculaires de la dynamique des chromosomes de l’Institut Curie, au sein de l’unité Dynamique du noyau (Institut Curie, CNRS, Sorbonne Université).
Ensemble, ces chercheurs ont mis en évidence un phénomène jusqu’alors inconnu : la détection par la cellule d’une perturbation de la stabilité des centromères déclenchée par la présence d’un virus dans le noyau. Cette perturbation agit alors comme un signal d’alarme, enclenchant une réponse immunitaire antivirale.
Ce mécanisme révèle un pan méconnu du fonctionnement immunitaire. Jusqu’à présent, les systèmes de détection virale dans le cytoplasme des cellules étaient relativement bien élucidés. Mais le processus par lequel le noyau cellulaire identifie une menace virale demeurait flou. En identifiant les centromères comme structures sentinelles potentielles, les chercheurs de l’Institut Curie ouvrent une nouvelle piste dans la compréhension des défenses intracellulaires.
De la recherche fondamentale aux perspectives cliniques
Pour explorer ces mécanismes, l'équipe de Nicolas MANEL s’est appuyée sur les propriétés intrinsèques des virus. Outils puissants en laboratoire, ces derniers sont capables d’infecter, de détourner certaines fonctions cellulaires et de provoquer des réponses immunitaires fortes, offrant ainsi un terrain d’étude idéal pour étudier les mécanismes de défense cellulaire.
« Les mécanismes de détection de virus dans le cytoplasme de la cellule sont bien compris aujourd’hui. Mais quand il se trouve dans le noyau, nous ne savons pas clairement comment est décelée sa présence par le système immunitaire. Or comprendre et décortiquer ces mécanismes pourraient, entre autres, nous permettre de proposer des nouvelles cibles d’immunothérapie », explique Nicolas MANEL.
L’Institut Curie, moteur de l’innovation contre le cancer
Centre de référence en cancérologie, l’Institut Curie réunit sur ses trois sites (Paris, Saint-Cloud, Orsay) près de 4 000 chercheurs, médecins et soignants autour de trois missions : soins, recherche et enseignement. Depuis sa création par Marie CURIE en 1909, cette institution pionnière conjugue excellence scientifique et innovation médicale. Grâce au soutien de ses donateurs, l’Institut Curie – fondation reconnue d’utilité publique- peut accélérer la recherche de solutions thérapeutiques toujours plus efficaces, au bénéfice direct des patients.
Cette découverte sur les centromères et leur rôle insoupçonné dans la détection virale illustre une fois encore la capacité de la recherche fondamentale à ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques, en particulier dans le domaine de l’immunothérapie, où chaque avancée compte dans la lutte contre le cancer.
« L’espoir porté par ces recherches est que l’identification et le décryptage de systèmes de détection virale mènent au développement de thérapies capables d’exploiter ces mécanismes. Cette publication marque une première étape et nous espérons dans un prochain temps le développement de molécules ciblant cette voie, à tester en clinique d’ici quelques années », conclut Nicolas MANEL.
Références : Xavier Lahaye, Patrick Tran Van, Camellia Chakraborty, Anna Shmakova, Ngoc Tran Bich Cao, Hermine Ferran, Ouardia Ait-Mohamed, Mathieu Maurin, Joshua J Waterfall, Benedikt B. Kaufer, Patrick Fischer, Thomas Hennig, Lars Dölken, Patrick Lomonte, Daniele Fachinetti, Nicolas Manel. Cell, 2 juin 2025. https://doi.org/10.1016/j.cell.2025.05.008
Pour en savoir plus :
www.curie.fr
www.cnrs.fr
www.inserm.fr


