LOI PACTE : Favoriser l’entrepreneuriat et la mobilité en entreprise chez les chercheurs

Par Bertrand Baheu-Derras, avocat à la Cour, counsel, Aramis - https://www.aramis-law.com/

Deux constats parlent d’eux-mêmes. Le premier : 200 à 300 sociétés issues de la recherche publique sont créées tous les ans1 et 52% de la R&D des sociétés healthtech proviennent à l’origine de la recherche académique ou publique ou de fondations2. C’est dire le poids de la recherche publique dans ces sociétés à leur création. Mais second constat : depuis la mise en place, par la loi Allègre3 il y a 20 ans, de dispositifs d’entrepreneuriat pour les chercheurs publics, à peine plus de 200 demandes de créations d’entreprises ont été présentées par ces derniers et seulement une cinquantaine de demandes de participation à la gouvernance de sociétés4. C’est dire les freins à l’aventure entrepreneuriale qui subsistent pour les chercheurs.

Entrés en vigueur il y a quelques mois, la loi PACTE5 et son décret d’application6 viennent justement lever certains d’entre eux. Objectif : développer l’entrepreneuriat et la mobilité en entreprise chez les chercheurs publics en assouplissant des règles jusqu’ici jugées décourageantes.

1. Les quatre dispositifs ouverts aux chercheurs

Il y a encore 20 ans, un chercheur avait interdiction de créer ou participer à une société destinée à valoriser ses travaux. En 1999, la loi Allègre a substitué à ce régime d’interdiction un régime d’autorisation préalable après avis de la commission de déontologie de la fonction publique. Quatre dispositifs sont ainsi nés : la création d’entreprise, le concours scientifique, la participation au capital d’une entreprise et la participation à la gouvernance d’une société. De loin, le concours scientifique est celui qui a eu le plus de succès, mais tout relatif avec environ 1.250 demandes.

Ces dispositifs sont ouverts aux fonctionnaires civils des services publics de la recherche et des entreprises publiques ayant reçu de la loi une mission de recherche, quels que soient leurs statuts ou fonctions7. Ces services publics sont notamment les établissements publics d’enseignement supérieur, de recherche et de santé. La loi PACTE vient assouplir ces quatre dispositifs.

2. L’assouplissement de la procédure d’autorisation préalable

Le premier assouplissement concerne la procédure d’autorisation préalable. Elle n’est plus subordonnée à l’avis de la commission de déontologie (aujourd’hui disparue, ses attributions ayant été dévolues à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)). Désormais, l’autorisation préalable revient au seul organisme de recherche dont relève le chercheur. Il dispose d’un délai de quatre mois à compter de la demande de celui-ci pour se prononcer. Une saisine de la HATVP est toujours possible, dans le mois de cette demande, si l’organisme de recherche l’estime utile ou ne s’estime pas en mesure d’apprécier si le chercheur est en situation de conflit d’intérêts. C’est un gain de temps et de simplicité puisque la commission de déontologie rendait systématiquement des avis favorables.

L’autorisation est accordée par périodes de trois ans maximales, dans la limite d’une durée totale de 10 ans. La loi PACTE aligne ainsi les périodes de validité de tous ces dispositifs qui étaient jusqu’alors disparates.
La loi PACTE prend également en compte l’émergence des structures de valorisation créées par les organismes de recherche, telles ue les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT). La convention de valorisation (par exemple, la licence de brevet) et la convention de concours scientifique peuvent désormais être conclues par l’entreprise et le chercheur avec non seulement son organisme de recherche, mais également la structure mandatée par celui-ci, telle que la SATT dont il fait partie.

3. L’assouplissement du dispositif de création d’entreprise

Ce dispositif (autrefois appelé « article 25-1 ») permet à un chercheur d’être autorisé à créer sa start-up, c’est-à-dire participer, en tant qu’associé ou dirigeant, à la création d’une entreprise ayant pour objet de valoriser ses travaux de recherche.

Premier frein levé par la loi PACTE : le chercheur peut conserver une activité dans son organisme de recherche. Auparavant, il devait cesser toute activité avec celui-ci, à l’exception de quelques activités d’enseignement. Cela constituait un indéniable obstacle pour les chercheurs qui restent attachés à leurs organismes de recherche et peuvent naturellement hésiter à se vouer entièrement à une telle aventure entrepreneuriale. Désormais, un chercheur peut travailler dans son entreprise et continuer à travailler dans son organisme de recherche pour un volume d’heures et des fonctions définis par l’autorisation.

Second frein levé : le chercheur n’est pas pénalisé dans sa carrière professionnelle pendant le temps où il travaille dans son entreprise. Auparavant, demeurait cette forte inquiétude : voir sa carrière de chercheur stagner tout au long de la durée de son aventure entrepreneuriale. Désormais, la loi PACTE pose clairement qu’il peut « prétendre au bénéfice d’un avancement de grade dans son corps ou cadre d’emplois d’origine, à la suite de la réussite à un concours ou à un examen professionnel ou au titre de la promotion au choix, sans qu’il soit mis fin à sa mise à disposition ou à son détachement » et « dans les mêmes conditions, au bénéfice d’une nomination dans un autre corps lorsque cette dernière n’est pas conditionnée à l’accomplissement d’une période de formation ou de stage préalable ».

4. L’assouplissement du dispositif du concours scientifique et de participation au capital

Ces dispositifs (autrefois appelés « article 25-2 ») permettent à un chercheur d’être autorisé à apporter son concours scientifique à une entreprise qui assure la valorisation de ses travaux de recherche et d’y détenir une participation. Cela convient tout particulièrement au chercheur qui est à l’origine d’une invention, dont le brevet est donné en licence à une entreprise, et qui souhaite encore y consacrer une partie de son temps.

Premier frein levé par la loi PACTE : le chercheur peut travailler pour l’entreprise jusqu’à 50% de son temps de travail total. Auparavant, la limite était de 20%. Un chercheur déjà titulaire d’une autorisation à 20% ou moins peut demander un aménagement de celle-ci pour monter jusqu’à 50%.

Deuxième frein levé : le chercheur peut exercer dans l’entreprise toute fonction à l’exception d’une fonction de dirigeant. Auparavant, non seulement il ne pouvait pas exercer de fonction de dirigeant, mais en plus il ne pouvait pas être placé dans une situation hiérarchique vis-à-vis de l’entreprise, notamment comme salarié. Il était consultant externe.

Troisième frein levé : la participation dans le capital de l’entreprise et les droits de vote que le chercheur peut être autorisé à détenir ne sont plus plafonnés. Auparavant, ils étaient plafonnés à 49%.

5. L’assouplissement du dispositif de participation à la gouvernance d’une société

Ce dispositif (autrefois appelé « article 25-3 ») permet au chercheur d’être autorisé à siéger dans une société afin de favoriser la diffusion des résultats de la recherche publique. Ici, la société est déjà existante, à la différence du dispositif de création d’entreprise qui, par définition, concerne une entreprise à créer.

Premier frein levé par la loi PACTE : ce dispositif est généralisé à tout organe de direction d’une société commerciale, quelle que soit sa forme (notamment société anonyme, société par actions simplifiée, société à responsabilité limitée). Auparavant, il ne concernait, curieusement, que le poste de membre du conseil d’administration ou du conseil de surveillance de société anonyme.

Second frein levé : le plafond de la participation et des droits de vote que le chercheur peut détenir dans cette société passe à 32%. Auparavant, ce plafond était de 20%.

6. Une plus grande souplesse entre les dispositifs

La loi Allègre comportait des dispositions qui cloisonnaient ces quatre dispositifs. L’aventure entrepreneuriale n’étant pas une voie toute tracée, la loi PACTE vient assouplir les passerelles entre eux.

Première souplesse : à l’expiration de l’autorisation octroyée pour l’un des dispositifs, le chercheur peut demander une nouvelle autorisation pour un autre. Auparavant, seule était prévue une passerelle depuis le dispositif de création d’entreprise vers celui du concours scientifique, de la participation au capital d’une entreprise ou de la participation à la gouvernance d’une société. Le mouvement inverse ne l’était.

Seconde souplesse : le chercheur peut cumuler un concours scientifique avec une participation à la gouvernance de la société à laquelle il apporte celui-ci. Auparavant, ce cumul était interdit.

7. Une plus grande souplesse à la sortie de ces dispositifs

A l’expiration de l’autorisation, la loi Allègre imposait au chercheur de cesser tout lien avec l’entreprise. Il n’avait le droit de conserver une participation, dans la limite cependant de 49% du capital, et son éventuel siège au conseil d’administration ou de surveillance qu’à condition d’avoir été autorisé à bénéficier du dispositif de participation au capital ou à la gouvernance.

C’était un des freins majeurs au développement de ces dispositifs : le chercheur devait littéralement abandonner l’entreprise qu’il avait soit créée, soit soutenue. Désormais, il peut conserver une participation au capital de l’entreprise jusqu’à 49%.

Reste une interdiction maintenue par la loi PACTE : celle de négocier pour l’entreprise quelque contrat que ce soit avec toute entité du service public de la recherche. Elle s’applique notamment au chercheur autorisé à créer son entreprise qui est mis à disposition dans celle-ci et qui poursuit ses fonctions publiques.
C’est pourquoi son projet doit anticiper le recrutement d’un dirigeant (CEO) autre que lui pour négocier avec son organisme de recherche (ou la SATT) tous les contrats de licences des brevets dont ce dernier est titulaire et sur lesquels va travailler son entreprise.

1Source : Rapport d’enquête 2019 "Valorisation, transfert de technologie et innovation issue de la recherche publique", Réseau C.U.R.I.E.
2Source : Panorama France Healthtech 2019, France Biotech.
3Loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche.
4A titre de comparaison, le ratio du nombre de sociétés créées pour 1.000 chercheurs est de 2,1 pour le seul Massachussetts Institute of Technology, contre 0,06 pour les organismes de recherche français.
5Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
6Décret n° 2019-1230 du 26 novembre 2019.
7Les dispositifs de création d’entreprise et de concours scientifique sont également ouverts, moyennant quelques spécificités, aux agents non fonctionnaires, sous réserve d’être employés de manière continue depuis au moins un an.


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