Relever les défis actuels de la gestion des échantillons numériques : entretien avec le Dr. Fabrice Turlais

Le Dr. Fabrice Turlais est le vice-président en charge de la gestion des échantillons de la société française Evotec, basée à Toulouse. Il a conduit de nombreux travaux remarqués dans le domaine de la découverte de médicaments hautement automatisée, ayant notamment passé 15 ans au sein du Cancer Research Technology (CRT) au Royaume-Uni, où il travaillait en tant que chef du service de dépistage et de gestion des composés. Titulaire d’un doctorat en biochimie de l’université de Hertfordshire et membre du conseil d’administration d’ELRIG-UK et d’ELRIG-Fr, il contribue aux progrès de la robotique de laboratoire dans le domaine de la découverte de médicaments à haut débit. Fabrice est également un utilisateur de longue date des équipements Ziath pour le suivi des échantillons dans des tubes à codes-barres 2D. C’était donc l’interlocuteur idéal pour nous parler des défis actuels en matière de gestion des échantillons numériques.

« Un problème majeur dans l’utilisation des bases de données actuelles pour le stockage d’informations sur les échantillons et les stocks de composés est la nature très diverse des échantillons disponibles. En particulier, à mesure que la découverte de médicaments s’éloigne des bibliothèques uniquement chimiques, pour s’orienter vers des bibliothèques biologiques, les logiciels de base de données existants ne permettent pas toujours d’enregistrer correctement tous les paramètres, ou les étiquettes de suivi, pour les échantillons biologiques. Les réactifs biologiques et les échantillons finissent ainsi par être stockés dans plusieurs bases de données, ce qui complique considérablement le processus de commande et de réservation de matériel. ll y a encore une dizaine d’années, seuls les composés chimiques faisaient l’objet d’un suivi par le biais de grandes bases de données relationnelles, telles que celles proposées aujourd’hui par Dotmatics et Titian. Les produits biologiques étaient fabriqués et utilisés de manière ponctuelle, au gré des besoins, et il arrivait souvent qu’aucun stockage ne soit prévu pour ces composés dans les bibliothèques de découverte de médicaments. Les magasins de composés étaient optimisés pour le stockage de solides purifiés ou de composés en solution, comme le DMSO, dans des tubes à codes-barres 2D. Mais avec le développement du criblage à haut débit et à haut contenu pour l’ARN, l’ADN, les anticorps et les protéines, la nécessité de stocker ces produits biologiques, de les conserver en bon état et de pouvoir les retrouver facilement est devenue primordiale. Malheureusement, il n’existe pas de moyen simple de les enregistrer dans des bases de données dédiées aux produits chimiques. »

Que peut-on faire pour améliorer la situation ?
« L’idéal serait de disposer d’un numéro d’identification unique pour chaque produit biologique, indiquant comment il doit être stocké, par exemple à +4, -18, -80 ou -179°C, et permettant de savoir de quoi il s’agit et comment il a été fabriqué, ainsi que les propriétés qui lui sont associées, concernant notamment la génération de clone ou le passage en culture. Si les bases de données chimiques sont d’excellents outils pour stocker les propriétés des composés telles que les centres chiraux, les poids moléculaires, le nombre d’atomes de carbone et les groupes fonctionnels, il n’existe actuellement aucun schéma conventionnel permettant de délimiter les informations biologiques pertinentes et celles qui doivent pouvoir être recherchées dans un programme de gestion des stocks, par exemple pour les plasmides ou pour les échantillons d’ARN qui auront chacun un ensemble de propriétés bien spécifique. Il serait donc très utile d’avoir la possibilité de sélectionner à tout moment ces attributs dans la base de données, même si cela n’est pas nécessaire pour tous les échantillons. Actuellement, en effet, il nous faut utiliser différentes bases de données pour pouvoir suivre l’ensemble des propriétés pertinentes. »

Des solutions de bibliothèques de composés chimiques, telles que celles que vous avez mentionnées, existent pourtant déjà aujourd’hui, alors pourquoi n’en existe-t-il pas pour les entités biologiques ?
« Il y a de nombreuses années, la SBS (l’actuelle SLAS) a établi des normes américaines pour les microplaques (la « norme SBS »), permettant ainsi aux spécialistes du screening du monde entier de s’entendre sur la taille et le format d’une microplaque ou d’un portoir de tubes à codes-barres 2D. C’était très utile, car tout le monde (les chercheurs comme les fabricants) pouvait ainsi travailler selon le même ensemble de normes, et les activités d’automatisation et d’instrumentation étaient interchangeables entre les projets et les laboratoires. À l’ère du partage d’« informations riches », nous avons désormais besoin de nouvelles normes nous permettant, par exemple, de nous mettre d’accord sur une nomenclature des matériaux biologiques, ainsi que sur les caractéristiques considérées comme importantes pour le criblage biologique. Malheureusement, lorsque Lab Automation a fusionné avec SBS pour former SLAS, la division biologie de l’organisation était relativement peu développée et cela les a conduits à se focaliser sur la gestion des composés chimiques. Nous avons ainsi raté une opportunité de fixer des normes pour le secteur émergent des produits biologiques. De nouveaux goulots d’étranglement ont depuis été identifiés plus en amont dans la chaîne de R&D. À l’époque, les grandes entreprises pharmaceutiques se séparaient de leurs unités de recherche sur les vaccins, car elles n’étaient plus rentables. Vingt ans se sont écoulés et la technologie CRISPR/CAS9 a remis cette recherche au goût du jour, mais nous ne disposons toujours pas des outils de recherche à grande vitesse et à haute densité en biologie, comme il en existe déjà en chimie. »

Quels sont les dangers de l’absence de normes dans ce domaine ?
« Lorsque les études sur les siRNA ont débuté, elles ont mis en évidence le désordre dans lequel nous nous trouvions concernant le volet biologique de la découverte de médicaments. Nous ne disposions d’aucun critère de mesure de qualité pour la rigueur ou l’efficacité des activités de dépistage siRNA. En l’absence de normes établies, il était impossible de comparer les résultats d’un essai à l’autre. Chacun communiquait donc des paramètres différents et il était impossible de comparer les études entre elles. Nous entrons aujourd’hui dans l’ère du dépistage CRISPR, et il est important de ne pas répéter ces erreurs ; nous devons disposer de nouvelles normes pour l’analyse des données. Ces fonctionnalités doivent pouvoir être prises en charge par les systèmes de gestion des stocks modernes, car nous n’essayons pas seulement de reproduire ce que nous avons fait avec les petites molécules : nous cherchons à transformer la façon dont nous stockons les informations sur des entités et des réactifs plus complexes, qui peuvent inclure des cellules et des tissus vivants. »

Dans quelle mesure êtes-vous optimiste sur les développements à venir dans ce domaine ?
« Il me semble que les organismes intersectoriels tels que ELRIG*, le SLAS** ou même le SiLA*** pourront contribuer à la définition de nouvelles normes. Les développeurs de logiciels devront ensuite développer les grandes bases de données qui pourront être configurées pour les besoins spécifiques du biologiste. Nous avons déjà vu comment l’utilisation de tubes standardisés à codes-barres 2D a énormément facilité la maintenance et la gestion de grandes bibliothèques d’échantillons. Il existe aujourd’hui d’excellents outils proposés par des sociétés comme Ziath pour suivre et sélectionner les tubes. Vous pouvez même acheter des entrepôts réfrigérés de la taille d’une simple paillasse jusqu’à des bâtiments entiers ! Il sera également important de les intégrer numériquement aux plateformes de stockage big data et de s’appuyer sur les technologies sans fil, pour permettre un accès complet à la base de données au moment de la récupération d’un échantillon dans un magasin. On doit cependant être en mesure d’identifier et de classer tous les éléments que nous fabriquons et qui constitueront la base de la prochaine génération de médicaments, notamment dans le domaine de la médecine personnalisée, pour laquelle les thérapies par anticorps joueront un rôle vraiment central. »

NB : Le Dr Turlais s’exprimait à titre personnel et ses points de vue sur les sujets abordés ne reflètent pas nécessairement les positions d’Evotec SA.

Pour de plus amples informations sur les nouveaux produits répondant aux défis actuels en matière de gestion des échantillons numériques : www.ziath.com

Contact :
Steve Knight - steve.knight@ziath.com

*European Laboratory Research & Innovation Group (ELRIG) - https://www.elrig.org et https://elrigfr.org/
**Society for Laboratory Automation and Screening (SLAS) - https://www.slas.org/
***SiLA - https://sila-standard.com/


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