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2023-02-17 
Des neurones sensoriels « goûtent » le liquide cérébrospinal pour lutter contre les infections

Les neurones sensoriels captent les informations issues de nos sens et les communiquent au système nerveux central. Mais ce n’est pas là leur unique mission. Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Current Biology, Claire Wyart, directrice de recherche Inserm à l’Institut du Cerveau, et Christina Vandenbroucke-Grauls, aux Centres Médicaux Universitaires d’Amsterdam, ont montré que ces neurones tiennent un rôle de premier plan dans la méningite à pneumocoque, une infection grave à la mortalité élevée et au fort potentiel épidémique : ils participent à la lutte contre l’infection et favorisent la survie de l’hôte.

Au cours des dernières années, la recherche a mis en évidence la présence de récepteurs sensoriels dans des zones inattendues du corps humain. Dans les tissus pulmonaires par exemple, des récepteurs gustatifs provoquent le relâchement des voies respiratoires en présence d'une substance amère. On trouve également des récepteurs du goût sucré dans le cerveau, le cœur, les reins, la vessie, ou l'épithélium nasal. Leur fonction n’est pas toujours claire, et fait l’objet de nombreuses recherches. « Des études récentes de l’université d’Harvard ont montré que les cellules sensorielles de la peau pouvaient contribuer à la lutte contre les infections, en cas d’invasion des tissus sous-cutanés par une bactérie, par exemple, explique Claire Wyart, à la tête de l’équipe Signalisation sensorielle spinale à l’Institut du Cerveau. Le même phénomène se produit en cas d’infection respiratoire : des cellules cillées détectent la trace de bactéries pathogènes, et déclenchent une réaction inflammatoire. Nous voulions savoir s’il existait un système de protection similaire dans le système nerveux central. »

Dans ce but, les chercheurs se sont intéressés au rôle de cellules sensorielles situées le long des parois du canal central de la moelle épinière, et appelées « neurones en contact avec le liquide cérébrospinal » – ou neurones de contact. Très nombreuses chez les vertébrés, ces cellules sont capables de détecter la courbure de la colonne vertébrale en temps réel, et utilisent cette information pour adapter la posture du corps en fonction des contraintes auxquelles il est exposé. Au cours des dix dernières années, l’équipe de Claire Wyart a montré que ce système de détection permet d’optimiser la posture lors d’un effort physique. Mais il intervient aussi lors de la croissance et du vieillissement, pour ajuster la forme de la colonne vertébrale.

« Nous soupçonnions que ces neurones soient impliqués dans la méningite, une maladie caractérisée par une inflammation des méninges – les enveloppes protectrices du cerveau et de la moelle épinière, explique la chercheuse. Dans la méningite à pneumocoque en particulier, la bactérie pathogène Streptococcus pneumoniae envahit le liquide cérébrospinal qui circule depuis les ventricules du cerveau jusqu’au canal central de la moelle épinière… là où sont nichés les fameux neurones de contact. Les patients infectés présentent une raideur importante de la nuque ; en l’absence de traitement, on observe aussi une modification de la posture très caractéristique appelée opisthotonos, dans laquelle le dos est exagérément cambré. Avec tous ces indices, nous devions mener l’enquête ! »
 
Moduler l’inflammation et la réponse immunitaire
Pour comprendre le rôle de ces cellules dans la méningite à pneumocoque, les chercheurs ont utilisé un modèle animal de la maladie. Après avoir injecté Streptococcus pneumoniae dans le cerveau postérieur de larves de poissons zèbre, ils ont observé que les symptômes de la méningite chez les animaux étaient similaires à la manifestation clinique de la maladie à un stade avancé. En particulier, les poissons présentaient une courbure anormale du dos, ainsi que des crises de type épileptique.
« Nous avons également découvert que les neurones de contact s’activaient de manière extraordinaire une fois que la bactérie pathogène avait pénétré le liquide cérébrospinal et envahi le canal central de la moelle épinière », précise Claire Wyart. Le témoin de cette activation ? Des flux de calcium importants. Or, les chercheurs ont également observé ces flux in vitro, lorsque les neurones sensoriels ont été exposés à des sécrétions de S. pneumoniae – qui sont reconnues comme des substances amères.
« Les neurones de contact expriment des récepteurs du goût ; ils reconnaissent l’amertume ! Nous savions que les récepteurs de l'amertume jouaient un rôle important dans l’immunité buccale, puisqu’ils détectent les aliments contaminés avant ingestion. Mais pas qu’ils intervenaient aussi dans les infections du cerveau », s’étonne la chercheuse. « Ces neurones sensoriels sont surprenants : lors d’une infection, ils goûtent le contenu du liquide cérébrospinal, repèrent les bactéries intruses grâce aux récepteurs d’amertume, puis augmentent l’expression des cytokines et autres protéines impliquées dans l’immunité innée – la première ligne défense de l’organisme. »
Pour vérifier que les neurones de contact contribuaient bel et bien à la réponse immunitaire dans l’infection à pneumocoque, les chercheurs ont procédé à leur suppression chez les larves de poisson-zèbre. La durée de vie des animaux s’en est trouvé réduite, et le taux de S. pneumoniae dans leur organisme a augmenté.  
 
La méningite, une maladie redoutable
Streptococcus pneumoniae est la cause la plus fréquente des méningites infectieuses transmises par contact. La maladie touche environ 500 000 personnes par an et est associée à une mortalité élevée, en particulier en Afrique subsaharienne, selon l’OMS. Son incidence annuelle est de 1 à 3 cas pour 100 000 habitants dans les pays industrialisés, où des vaccins sont pourtant disponibles. En outre, elle provoque des lésions cérébrales causées à la fois par l’infection et par la réponse inflammatoire de l’hôte.
« Ce n’est pas la seule forme de méningite dans laquelle les neurones de contact sont impliqués, précise Claire Wyart. Nos résultats montrent que les récepteurs de l’amertume exprimés par ces cellules reconnaissent aussi la bactérie Listeria monocytogenes, une autre source majeure d’infection, ou encore le virus Sindbis. Et nous pensons qu’ils peuvent détecter de nombreux autres pathogènes ! » A terme, une meilleure connaissance de ces neurones sensoriels nous permettra peut-être d’ouvrir des pistes thérapeutiques dans d’autres infections du système nerveux, pour lesquelles nous ne disposons pas encore de vaccins.
 
 

Source
Prendergast, A. et al., CSF-contacting neurons respond to Streptococcus pneunomiae and promote host survival during central nervous system infection, Current Biology. http://doi.org/10.1016/j.cub.2023.01.039
Autres références :
Freund, J.R. et al., (2018). Activation of airway epithelial bitter taste receptors by Pseudomonas aeruginosa quinolones modulates calcium, cyclic-AMP, and nitric oxide signaling. J Biol Chem. 293, 9824-9840. 10.1074/jbc.RA117.001005.
Deshpande DA, et al., (2010). Bitter taste receptors on airway smooth muscle bronchodilate by localized calcium signaling and reverse obstruction". Nature Medicine. 16 (11): 1299–304. doi:10.1038/nm.2237
Lee, RJ. et al., (2015). Taste receptors in innate immunity. Cell. Mol. Life Sci. 72 (2): 217–236. doi:10.1007/s00018-014-1736-7  
 
À propos de l’Institut du Cerveau
Créé en 2010, l’Institut du Cerveau est un centre de recherche scientifique et médical d'excellence de dimension internationale, situé à Paris au cœur de l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Son modèle innovant réunit en un même lieu patients, médecins, chercheurs et entrepreneurs avec un objectif commun : comprendre le cerveau et accélérer la découverte de nouveaux traitements pour les maladies du système nerveux. L’Institut comprend ainsi un réseau de plus de 700 experts, au sein de 25 équipes de recherche, 10 plateformes technologiques de pointe, un centre d’investigation clinique, un organisme de formation et plus de 2000m² destinés à l’incubation de startups. Le modèle original de l’Institut du Cerveau repose sur l’association d’une unité mixte de recherche (APHP, Sorbonne Université, Inserm et CNRS) et d’une fondation privée, reconnue d’utilité publique, la Fondation ICM. institutducerveau-icm.org

 

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